Les derniers iroquois. Emile Chevalier. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Emile Chevalier
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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a facilité un mouillage jusqu’au bout de l’île, pour ainsi dire. Dans quelques années probablement, quand les docks projetés par M. Young seront exécutés, le port de Montréal s’étendra de la rue Bonsecours, à l’entrée du faubourg Québec, jusqu’à la pointe Saint-Charles, tête du pont Victoria.

      Alors, les quartiers sous-jacents se dépeupleront au profit des quartiers nouveaux qui s’installeront en amont. Cela s’explique facilement: quand une colonie se fixe près d’un cours d’eau, elle défriche les terres en s’acheminant vers la source. S’il survient d’autres membres à la colonie, ils ne planteront pas leurs tentes au-dessous des précédents parce que les pouvoirs d’eau ont été utilisés d’une façon ou d’une autre par le drainage des campagnes ou le jeu des machines, mais ils s’établissent au-dessus où rien ne les gêne et ne les embarrasse.

      Les terres inférieures étant ainsi les premières mises en culture acquièrent un prix que n’ont pas les terres supérieures, laissées vierges et improductives. Il résulte de là que les manufacturiers, fabricants et entrepreneurs s’échelonnent graduellement devant une ville, en refoulant son cours d’eau, sûrs qu’ils sont d’acheter meilleur marché les emplacements nécessaires à l’établissement de leurs usines ou entrepôts et d’obtenir des forces motrices plus considérables.

      Mais ces entrepreneurs, fabricants et manufacturiers sont les avant-coureurs du commerce. Celui-ci ne peut pas plus vivre sans eux, qu’ils ne peuvent vivre sans lui. Autour des usines se groupent promptement les magasins; car, pour éviter les frais de transport, le consommateur se rapproche constamment du producteur. Bientôt les terrains enserrés par la manufacture montent: ils doublent, ils triplent de valeur. Non seulement le propriétaire ou directeur comprend qu’il aurait avantage à vendre son emplacement et à transférer plus haut ses ateliers, mais il s’aperçoit de l’impossibilité pour lui d’augmenter ses moyens de production par un agrandissement de local, à cause de la cherté excessive des lots avoisinants.

      Il déloge; les chantiers l’accompagnent. La navigation, forcée de déposer ou prendre son fret près de ces chantiers, la navigation bon gré mal gré suit leurs mouvements. Le cours d’eau est-il trop peu profond, on le creuse; est-il semé de rochers, on le drague; est-il hérissé de récifs, de cataractes, on perce un canal, comme celui de Lachine au pied des rapides du Sault Saint-Louis ou Caughnawagha.

      Et toujours, toujours la ville va refluant vers la source. Ne serait-il pas possible de découvrir dans ce phénomène la preuve de notre marche ascensionnelle aussi bien que la preuve de notre penchant à remonter des effets aux causes?

      Quant à la cité, elle subit autant de métamorphoses que de progressions. La manufacture est supplantée par le magasin, qui sera supplanté à son tour par la maison bourgeoise, et peut-être en dernier lieu par la ferme. Montréal nous en présente un exemple frappant. Il y a un siècle, les comptoirs du commerce ne dépassaient pas la rue des Commissaires. La rue des Communes, qui s’annexe à elle, n’existait même pas. Mais là où prend pied le quartier Sainte-Anne, des moulins, des scieries, des fonderies, des forges fonctionnaient du matin au soir. Maintenant forges, fonderies, moulins immigrent, et des stores, des warehouses leur succèdent partout. Le négoce s’enfuit à tire d’ailes du marché Bonsecours vers les rues Saint-Paul, Notre-Dame, Saint-Jacques, et se précipite dans la rue Mac-Gill.

      Avant vingt ans, il aura, nous en avons la conviction, déserté ses vieux foyers et inondé le quartier Sainte-Anne. Ses révolutions passées sont un critérium pour préciser ses révolutions à venir. L’abaissement lent mais continu du prix des loyers dans le faubourg Québec et leur élévation inusitée du côté du faubourg Saint-Antoine suffisent déjà à démontrer d’une façon concluante la justesse de cette assertion. L’achèvement du pont Victoria et l’établissement à la pointe Saint-Charles d’une gare centrale pour la compagnie du chemin de fer du Grand-Tronc, n’ont fait que hâter le transfert du centre commercial au quartier Sainte-Anne ou Griffinton, ce bourbier infect, cette léproserie où grouille une population irlandaise, sordide, déguenillée, fanatique, prête à tous les crimes, la honte et l’effroi de la métropole canadienne, comme les Cinq-Points de New-York, la Cité de Londres ou de Paris, le Ghetto de Rome, furent longtemps la honte et l’effroi des nobles capitales qui recelaient ces clapiers dans leur sein.

      Le Griffinton, une fois assaini, purgé des bandes de misérables qui rendent son séjour dangereux autant que dégoûtant, Montréal, avec ses maisons bien bâties, ses grand édifices publics, civils ou religieux, ses rues régulières parfaitement aérées, ses nombreux instituts, son riche musée de géologie, son jardin botanique, son magnifique port, ses prodigieuses ressources maritimes, industrielles et agricoles, et les splendides campagnes qui se déploient à ses portes, Montréal prendra définitivement rang parmi les villes les plus favorisées et les plus agréables des deux hémisphères.

      III. Les derniers Iroquois

      Quoique Montréal ne possédât pas, en 1837, la moitié de la population et des embellissements dont elle s’enorgueillit, à juste titre, aujourd’hui, c’était déjà, par son vaste négoce et son esprit d’entreprise, une des cités les plus importantes de l’Amérique septentrionale. Cette métropole, qui compte près de cent mille âmes dans son enceinte, n’en avait guère alors que quarante à quarante-cinq[17]. Mais ils étaient doués d’une activité, d’une intelligence commerciale, et d’un amour de l’indépendance qui, dès cette époque, faisaient de leur ville le foyer du libéralisme canadien. Tandis que la capitale politique de la colonie, Québec, demeurait immobile dans son corset de remparts et de préjugés religieux; tandis que ses plus nobles famille françaises acceptaient presque toutes sans murmurer le joug de la domination anglaise, et que beaucoup courtisaient leurs maîtres, adulaient Son Excellence le gouverneur général, les Montréalais ou Montréalistes, comme on les appelle dans le pays, protestaient ouvertement contre toutes les exactions du pouvoir, lui faisaient une opposition énergique, et aspiraient les uns à l’indépendance, les autres à l’annexion aux États-Unis, une certaine, mais faible minorité, à un retour sous l’administration française.

      Les motifs de leur désaffection étaient divers. Pour les Franco-Canadiens, c’était principalement cette vieille inimitié de race que le temps n’a malheureusement pas effacée. D’ailleurs, peuple conquis, il n’eut guère été naturel qu’ils supportassent sans se plaindre leurs conquérants.

      Pour les Anglo-Canadiens, la vue de l’égalité et de la liberté qui régnait aux États-Unis, comparées à l’oligarchie aristocratique et tyrannique du gouvernement colonial, pouvait être un sujet d’envie. Quoi qu’il en soit, le mécontentement avait atteint ses limites extrêmes. Et les mécontents formulèrent, en 1834, leurs griefs dans un factum célèbre, sous le titre Les quatre-vingt-douze résolutions, rédigées, en grande partie, sous la direction de M. Louis-Joseph Papineau, le tribun du parti libéral à l’Assemblée législative[18].

      Ce document fut envoyé à Londres. Mais, loin de faire droit à ses instantes réclamations, quoiqu’elles fussent appuyées par lord John Russell, O’Connell et plusieurs membres éminents de la chambre des communes anglaise, le cabinet de Saint-James ferma l’oreille.

      Des troubles, bientôt réprimés, éclatèrent, au commencement de 1837, à Montréal et dans les environs.

      Alors, le ministère anglais se décida à nommer des commissaires pour s’enquérir des affaires du Canada. Au lieu de pacifier les esprits par quelques concessions, la commission les irrita davantage en provoquant des arrestations.

      À la fin d’avril de cette année, plusieurs Montréalais furent incarcérés, et l’exécutif fit lancer une foule de warrants, ou mandats d’amener, contre différents individus des campagnes avoisinantes, soupçonnés d’être hostiles à la Grande-Bretagne.

      Parmi les suspects se trouvait un Indien habitant le village de Caughnawagha.

      Ainsi que nous l’avons dit, le village de Caughnawagha ou du Sault Saint-Louis s’élève à trois lieues environ de Montréal, sur la rive méridionale du Saint-Laurent.

      Là, comme les Hurons à Lorette, près de Québec[19],