Il semble donc que les correspondances graphème-phonème de la L1 et de la L2 joue un rôle majeur dans l’apprentissage du FLE. Ceci est d’autant plus vrai pour le schwa étant donné que le graphème <e> ne correspond ni en allemand ni en anglais à une voyelle arrondie. Il ne faut donc pas seulement maîtriser les règles d’élision et de réalisation de cette voyelle, mais il est également nécessaire d’apprendre sa prononciation ainsi que de recevoir une instruction explicite des correspondances graphème-phonème.
Concernant la liaison obligatoire, nous constatons avec surprise que les taux de réalisation sont moins élevés en lecture qu’en parole spontanée – contrairement à ce qui s’observe chez les natifs et les apprenant.e.s les plus avancé.e.s étudiés jusqu’à maintenant (cf. section 2). Cela suggère non seulement une compétence sociolinguistique encore peu développée à ce niveau d’apprentissage, mais également des problèmes de déchiffrage des mots ainsi qu’un manque général de fluidité qui diminue au fil du temps. En parole spontanée, comme dans les études précédentes portant sur des apprenant.e.s plus avancé.e.s (cf. section 2.2), les taux de réalisation observés chez les élèves autrichiens s’approchent de ceux des locuteurs natifs après les déterminants et les pronoms. Ici, seule la liaison en [n] après les voyelles nasales pose problème (mon, un). D’autres cas problématiques concernent la préposition monosyllabique en, l’adverbe monosyllabique très, les numéraux deux, trois et neuf et les constructions figées. Dans le cas particulier de très, les étudiant.e.s germanophones avancé.e.s de Pustka 2015 sont, en revanche, clairement meilleurs (89 %) que les élèves du corpus Pro2F (63 %).
En lecture, non seulement les taux globaux restent loin derrière les natifs et les apprenant.e.s plus avancé.e.s (cf. supra), mais cela se confirme contexte par contexte quand on regarde de plus près la lecture du texte PFC pour lequel les projets IPFC-japonais (Detey/Kawaguchi/Kondo 2015) et IPFC-allemand Allemagne (Pustka 2015) et Autriche (Pustka/Forster/Kamerhuber 2018) fournissent un certain nombre de résultats strictement comparables (cf. tableau 6, section 2.2).
Concernant l’adverbe monosyllabique très, par exemple, le texte PFC fournit le contexte très inquiet. Nos apprenant.e.s n’y réalisent la liaison qu’à 29 %, contrairement à 40 %/57 % chez les étudiant.e.s japonais.es et à 89 % chez les étudiant.e.s allemand.e.s ; les étudiant.e.s autrichien.ne.s y produisent un taux considérablement plus bas, avec 31 %. Il est intéressant de constater qu’avec un adjectif connu et familier, la liaison après très est nettement plus fréquente. Ainsi, dans la séquence très intéressant, la liaison est réalisée respectivement à hauteur de 50 % et 64 % dans le texte Pro2F et dans la liste de mots. Ces différences considérables montrent qu’il faudrait multiplier le nombre d’occurrences étudiées par témoin afin d‘obtenir des résultats fiables. En revanche, en ce qui concerne les liaisons variables mais très fréquentes, les élèves en réalisent autant en parole spontanée qu’en lecture. Toutefois, ils en réalisent moins que ce qui a été observé chez les apprenant.e.s avancé.e.s des études précédentes où les taux varient entre 43 % et 78 % en parole spontanée ; pour la lecture, Mastromonaco 1999 rapporte même 98 % (cf. section 2.2). À titre de comparaison ce taux de réalisation s’élève à 28 %–30 % chez les natifs toutes tâches confondues dans le corpus PFC, et dans le corpus de livres-audio pour enfants de Pustka 2015, il est de 87 % (cf. section 2.1).
Le schwa et la liaison sont des phénomènes qui touchent une très grande part du lexique français. Les résultats de cette présente étude permettent de mieux appréhender le type d’instruction à mettre en place afin que les apprenant.e.s de FLE puissent, à terme, maîtriser ces phénomènes. Ainsi, l’apprentissage du vocabulaire pourrait être accompagné d’une transcription en API, p. ex. allemand [almɑ̃] (avec élision du schwa interne), neuf heures [nœvœʁ] (avec liaison en [v]). De plus, il semble crucial d’introduire un enseignement explicite des règles de prononciation ou de l’élargir à davantage de contextes (cf. Pustka 2020, Heiszenberger/Jansen 2020).
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