L'enfant ne se lassait pas; l'enfant suivait toujours.
Après chaque tentative avortée, au lieu de s'éteindre, le désir de la possession augmentait dans son coeur, et, d'un pas de plus en plus rapide, l'oeil de plus en plus ardent, il courait après le beau papillon!
Le pauvre enfant avait couru sans regarder derrière lui; de sorte que, ayant couru longtemps, il était déjà bien loin de sa mère.
De la vallée fraîche et fleurie, le papillon passa dans une plaine aride et semée de ronces.
L'enfant le suivit dans cette plaine.
Et, quoique la distance fût déjà longue et la course rapide, l'enfant, ne sentant point sa fatigue, suivait toujours le papillon, qui se posait de dix pas en dix pas, tantôt sur un buisson, tantôt sur un arbuste, tantôt sur une simple fleur sauvage et sans nom, et qui toujours s'envolait au moment où le jeune homme croyait le tenir.
Car, en le poursuivant, l'enfant était devenu jeune homme.
Et, avec cet insurmontable désir de la jeunesse, et avec cette indéfinissable besoin de la possession, il poursuivait toujours le brillant mirage.
Et, de temps en temps, le papillon s'arrêtait comme pour se moquer du jeune homme, plongeait voluptueusement sa trompe dans le calice des fleurs, et battait amoureusement des ailes.
Mais, au moment où le jeune homme s'approchait, haletant d'espérance, le papillon se laissait aller à la brise, et la brise l'emportait, léger comme un parfum.
Et ainsi se passaient, dans cette poursuite insensée, les minutes et les minutes, les heures et les heures, les jours et les jours, les années et les années, et l'insecte et l'homme étaient arrivés au sommet d'une montagne qui n'était autre que le point culminant de la vie.
En poursuivant le papillon, l'adolescent s'était fait homme.
Là, l'homme s'arrêta un instant, ne sachant pas s'il ne serait pas mieux pour lui de revenir en arrière, tant ce versant de montagne qui lui restait à descendre lui paraissait aride.
Puis, au bas de la montagne, au contraire de l'autre côté, où, dans de charmants parterres, dans de riches enclos, dans des parcs verdoyants, poussaient des fleurs parfumées, des plantes rares, des arbres chargés de fruits; au bas de la montagne, disons-nous, s'étendait un grand espace carré fermé de murs, dans lequel on entrait par une porte incessamment ouverte, et où il ne poussait que des pierres, les unes couchées, les autres debout.
Mais le papillon vint voltiger, plus brillant que jamais, aux yeux de l'homme, et prit sa direction vers l'enclos, suivant la pente de la montagne.
Et, chose étrange! quoiqu'une si longue course eût dû fatiguer le vieillard, car, à ses cheveux blanchissants, on pouvait reconnaître pour tel l'insensé coureur, sa marche, à mesure qu'il avançait, devenait plus rapide; ce qui ne pouvait s'expliquer que par la déclivité de la montagne.
Et le papillon se tenait à égale distance; seulement, comme les fleurs avaient disparu, l'insecte se posait sur des chardons piquants, ou sur des branches d'arbre desséchées.
Le vieillard, haletant, le poursuivait toujours.
Enfin, le papillon passa par-dessus les murs du triste enclos, et le vieillard le suivit, entrant par la porte.
Mais à peine eût-il fait quelques pas, que, regardant le papillon, qui semblait se fondre dans l'atmosphère grisâtre, il heurta une pierre et tomba.
Trois fois il essaya de se relever, et retomba trois fois.
Et, ne pouvant plus courir après sa chimère, il se contenta de lui tendre les bras.
Alors, le papillon sembla avoir pitié de lui, et, quoiqu'il eût perdu ses plus vives couleurs, il vint voltiger au-dessus de sa tête.
Peut-être n'étaient-ce point les ailes de l'insecte qui avaient perdu leurs vives couleurs; peut-être étaient-ce les yeux du vieillard qui s'affaiblissaient.
Les cercles décrits par le papillon devinrent de plus en plus étroits, et il finit par se reposer sur le front pâle du mourant.
Dans un dernier effort, celui-ci leva le bras, et sa main toucha enfin le bout des ailes de ce papillon, objet de tant de désirs et de tant de fatigues; mais, ô désillusion! il s'aperçut que c'était, non pas un papillon, mais un rayon de soleil qu'il avait poursuivi.
Et son bras retomba froid et sans force, et son dernier soupir fit tressaillir l'atmosphère qui pesait sur ce champ de mort…
Et cependant, poursuis, ô poète, poursuis ton désir effréné de l'idéal; cherche, à travers des douleurs infinies, à atteindre ce fantôme aux mille couleurs quî fuit incessamment devant toi, dût ton coeur se briser, dût ta vie s'éteindre, dût ton dernier soupir s'exhaler au moment où ta main le touchera.
UNE MÈRE
(CONTE IMITÉ D'ANDERSEN)
Une mère était assise près du berceau de son enfant. Il n'y avait qu'à la regarder pour lire sur sa physionomie qu'elle était en proie à la plus vive douleur.
L'enfant était pale, ses yeux étaient fermés, il respirait difficilement, et chacune de ses aspirations était profonde comme s'il soupirait.
La mère tremblait de le voir mourir, et regardait le pauvre petit être avec une tristesse déjà muette comme le désespoir.
On frappa trois coups à la porte.
—Entrez, dit la mère.
Et, comme on avait ouvert et refermé la porte, et que cependant elle n'entendait point le bruit des pas, elle se retourna.
Alors elle vit s'approcher un pauvre vieillard, le corps à moitié enveloppé, dans une couverture de cheval.
C'était un triste vêtement pour qui n'en avait pas d'autre. L'hiver était rigoureux; derrière les vitres blanchies et ramagées par le givre, il faisait dix degrés de froid et le vent coupait le visage.
Le vieillard était pieds nus; c'était sans doute pour cela que ses pas ne faisaient pas de bruit sur le parquet.
Comme le vieillard tremblait de froid, et que, depuis qu'il était là, l'enfant paraissait dormir plus profondément, la mère se leva pour ranimer le feu du poêle.
Le vieillard s'assit à sa place et se mit à bercer l'enfant, en chantant une chanson mortellement triste dans une langue inconnue.
—N'est-ce pas que je le conserverai? dit la mère en s'adressant à son hôte sombre.
Celui-ci fit de la tête un signe qui ne voulait dire ni oui ni non, et de la bouche un sourire étrange.
La mère baissa les yeux, de grosses larmes coulèsent sur ses joues, sa tête tomba sur sa poitrine. Il y avait trois jours et trois nuits qu'elle n'avait ni dormi ni mangé!
Son front devint si lourd, qu'un instant elle s'assoupit malgré elle; mais bientôt elle se réveilla en sursaut et toute glacée.
Le vieillard n'était plus là.
—Où donc est le vieillard? cria-t-elle.
Et elle se leva et courut au berceau.
Le berceau était vide.
Le vieillard avait emporté l'enfant.
En ce moment, la vieille horloge qui était pendue dans un