La Querelle d'Homère dans la presse des Lumières. David D. Reitsam. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: David D. Reitsam
Издательство: Bookwire
Серия: Biblio 17
Жанр произведения: Документальная литература
Год издания: 0
isbn: 9783823302872
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de l’Académie française de 1694 ou de 1718. Il faut en attendre même la 9e version pour qu’y entrent le substantif « épistémologie » et l’adjective qui en est dérivée. Selon les Immortels, l’« épistémologie » forme l’« [e]xamen critique des principes et méthodes qui gouvernent les sciences8 ». Ainsi, il décrit bien notre approche dans la troisième partie de ce livre : nous voudrons y découvrir l’étendue du triomphe de la méthode cartésienne du fait que même les Anciens reconnaissent les progrès effectués dans certains domaines, comme, par exemple, la médecine. Concrètement, cela signifie que nous nous interrogerons d’abord sur la place accordée aux savoirs hérités de l’Antiquité avant de questionner la notion de « progrès » pour finir sur les limites de la méthode géométrique. D’une certaine manière, ce dernier grand chapitre formera le point culminant de notre étude. En adoptant une nouvelle perspective, nous serons à même de reprendre certaines pistes que nous aurons esquissées dans les parties précédentes et de les approfondir, comme par exemple les rapports entre la culture dans un sens large et la raison d’inspiration cartésienne.

      Les textes qui nous permettront de répondre à toutes ces questions sont de deux natures : la littérature de recherche et les textes primaires, tels que le Nouveau Mercure galant qui constitue notre corpus principal.

      Premièrement, il faut ajouter quelques précisions techniques à propos de la revue de Le Fèvre de Fontenay qui complètent notre description déjà évoquée de la nature du Nouveau Mercure galant. De nos jours, le périodique est entièrement numérisé. Les 29 livraisons de la revue sont principalement accessibles sur « Gallica », la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France9, ou sur le « Gazetier universel », une « bibliothèque virtuelle de la presse de l’Ancien Régime10 » dont s’occupe Denis Reynaud de l’Université Lumière – Lyon 2. Par conséquent, nous avons souvent accès à plusieurs versions d’une même livraison du Mercure, ce qui nous permet d’éviter les numérisations de mauvaise qualité. Ensuite, il ne faut pas oublier que les Mercures sont constitués d’un grand nombre de contributions différentes qui traitent de la Querelle d’Homère à des degrés divers, ce qui signifie que nous devons justifier le choix de nos textes. Si une contribution fait de la querelle son sujet principal, comme un compte-rendu des Causes de la corruption du goût, Gisela Bock et Margarete Zimmermann le décrivent comme un texte de querelle de premier ordre. En revanche, un texte qui n’évoque qu’indirectement les enjeux de la querelle est considéré comme un texte de querelle de deuxième ordre11 ; un bon exemple en est une nouvelle galante qui met en avant les vertus d’un bon noble. Afin d’esquisser une carte plus complète des discours dans lesquels le Nouveau Mercure galant s’inscrit, nous n’excluons aucun texte de nos études tout en partant – si possible – des textes de querelle de premier ordre. Néanmoins, nous devons admettre que certaines sortes de textes de la revue ne joueront guère un rôle dans nos travaux : nous pensons notamment aux partitions, aux chansons12 ainsi qu’aux annonces, hormis celles des nouveaux livres13.

      Deuxièmement, nous tenons à indiquer également quelques chercheurs dont les travaux jouent un rôle important pour nos propres recherches, sans pouvoir évoquer ici tous les auteurs consultés. Notre compréhension générale de la Querelle des Anciens et des Modernes ainsi que de la Querelle d’Homère est principalement fondée sur les recherches de Noémi Hepp14, Marc Fumaroli15 et Larry F. Norman16. Ils nous fournissent les informations qui nous permettent de situer la Querelle d’Homère et d’en comprendre les enjeux. Le grand ouvrage de référence est l’Homère en France au XVIIe siècle d’Hepp et, même s’il date de 1968, il constitue toujours un pilier incontournable qui résume la réception d’Homère au siècle classique. Fumaroli a donc parfaitement raison d’écrire à propos de ce livre qu’« une belle et vaste culture est ici à l’œuvre, une profonde connaissance du XVIIe siècle dans sa riche diversité17 » et qu’il forme un « instrument de travail […] admirable18 ». Tandis qu’Hepp met l’accent sur Homère, Fumaroli lui-même s’intéresse, dans son essai « Les Abeilles et les Araignées », à « la mythique ‘Querelle’ […] [dont il] retrace la genèse et […] éclaire les implications les plus profondes19 ». Cette étude, parue en 2001, forme avec les textes de querelle réunis par Anne-Marie Lecoq et un essai de Jean-Robert Armogathe un livre intitulé La Querelle des Anciens et des Modernes. Celui-ci peut être considéré, selon Jean-Pierre Landry, comme une réponse à Noémi Hepp qui déclare que les Modernes ont remporté la victoire dans la Querelle d’Homère20. Fumaroli, Lecoq et Armogathe parviennent notamment à nuancer le bilan d’Hepp en soulignant que la véritable culture n’est ni ancienne, ni moderne, mais un « va-et-vient permanent entre le passé et le présent21 ». La revalorisation des Anciens se poursuit avec l’ouvrage de Norman pour qui « les vrais modernes, ce sont les Anciens, précurseurs des Lumières et du sensualisme22 ». Dans The Shock of the Ancient, Norman décrit d’abord la distance qui sépare la France galante de l’Antiquité homérique. Ensuite, il explique dans quelle mesure la littérature antique choque les Modernes sur un plan politique, religieux et moral et, enfin, il précise « le passage de la poétique, domaine des règles de fabrication, à celui de l’esthétique naissante23 ». Cette étude nous aide énormément parce que Norman y décrit moins des événements que des idées et des discours.

      Tout comme la Querelle d’Homère, le Nouveau Mercure galant constitue un sujet de recherche complexe puisque, tout en faisant partie de l’histoire de la presse, la revue d’Hardouin Le Fèvre de Fontenay échappe – comme les autres titres de l’Ancien Régime – aux règles du journalisme des XIXe ou XXe siècle. À cela s’ajoute encore une autre difficulté : le Nouveau Mercure galant n’a été guère étudié jusqu’ici. En revanche, nous disposons de quelques études sur le Mercure galant de Jean Donneau de Visé [Devizé], JeanDonneau de Visé24 et sur la presse du XVIIIe siècle qui nous permettent de mieux comprendre le fonctionnement et la nature du périodique d’Hardouin Le Fèvre de Fontenay. C’est d’ailleurs l’apport principal du Mercure galant de Monique Vincent que Amy Wygant compare à un « guide25 » qui nous permet de découvrir un corpus peu accessible autrement. Si Vincent présente toute la richesse textuelle du Mercure, Christophe Schuwey26 accentue davantage son étude sur le fonctionnement éditorial du périodique de Donneau de Visé [Devizé], JeanDonneau de Visé qu’il décrit plutôt comme un recueil. Étant donné que Schuwey analyse aussi les attentes du public et décrit le Mercure galant comme un « salon de papier27 » ainsi qu’un « espace social virtuel », ses résultats rejoignent ceux de Suzanne Dumouchel qui propose dans Le Journal littéraire une « étude des pratiques culturelles à l’œuvre dans le journal littéraire28 » au XVIIIe siècle. Ainsi favorise-t-elle en avant les lecteurs, leurs pratiques et leurs rapports avec le périodique. Contrairement à Schuwey qui revendique une « démarche endogène29 », Dumouchel est influencée par les sciences de la communication, ce qui est un changement de perspective fructueux puisqu’elle nous permet de bien situer le Nouveau Mercure galant dans la longue histoire des médias30.

      Par conséquent, nous verrons dans cette étude dans quelle mesure le Nouveau Mercure galant s’inscrit dans les discours anciens et modernes de la Querelle d’Homère, tout en découvrant mieux le périodique d’Hardouin Le Fèvre de Fontenay souvent ignoré par les chercheurs d’aujourd’hui.

      Partie I – Dimension politique

      « Les bruits des parlements ne sont plus de saison1. » Ces mots de Jean-Baptiste Colbert, Jean-BaptisteColbert résument bien les premières années du règne personnel de Louis XIVLouis XIV. À partir de 1661, le jeune monarque commence à centraliser le pouvoir : il réduit massivement le droit de remontrance des parlements et change leurs statuts ; ils perdent notamment le droit de s’appeler « cours souveraines » et deviennent des « cours suprêmes ». Ce changement de titre n’est qu’une mesure symbolique, mais éloquente des nouveaux rapports de force qui s’installent et dont bénéficie principalement le roi2. Dans le même temps, la noblesse d’épée perd de l’influence au profit des ministres dotés d’un savoir-faire technique, comme