La Querelle d'Homère dans la presse des Lumières. David D. Reitsam. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: David D. Reitsam
Издательство: Bookwire
Серия: Biblio 17
Жанр произведения: Документальная литература
Год издания: 0
isbn: 9783823302872
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pas à une fouille généralisée d’un site historique. Au vu de notre centre d’intérêt, nous avons malheureusement dû renoncer à des recherches supplémentaires et systématiques dans les archives dans lesquelles nous aurions pu « exhumer » quelques documents méconnus concernant le Nouveau Mercure galant. Tout en assumant cette faiblesse, le périodique d’Hardouin Le Fèvre de Fontenay avec ses 29 livraisons27, dont chacune compte plusieurs centaines de pages, reste un corpus digne d’une étude plus approfondie puisqu’il parvient – d’après les recherches de Monique Vincent – à toucher un public en dehors des cercles des salons littéraires de la haute société parisienne. Toujours est-il que ce public n’en reste pas moins galant et mondain, tout en étant pour une part populaire, c’est-à-dire socialement moins influent au niveau du royaume ou de la République européenne des lettres que, par exemple, les habitués du salon de Madame de Lambert, Madame deLambert. Par conséquent, il est possible de décrire nos travaux comme une microhistoire littéraire et culturelle, pour reprendre l’expression de Carlo Ginzburg, l’auteur de l’ouvrage Le Fromage et les vers28, qui a popularisé cette façon d’étudier l’histoire, même si le terme en tant que tel est attesté avant Ginzburg.

      Bien évidemment, le Nouveau Mercure galant n’est pas le « meunier du Frioul, Domenico Scandella, DomenicoScandella dit MenocchioMenocchioScandella, Domenico, qui mourut brûlé sur l’ordre du Saint-Office après une vie passée dans l’obscurité la plus complète29 » étant donné qu’il n’est pas du tout condamné au silence, mais forme même une voix semi-officielle. Malgré quelques interdits dans le sens foucaldien30, le Nouveau Mercure galant constitue effectivement un « forum31 » sur lequel les contemporains peuvent se prononcer librement. Néanmoins, les deux objets de recherche ont des caractéristiques en commun. Ginzburg nous renseigne à ce sujet : « Réduire l’échelle d’observation revenait à transformer en un livre ce qui, pour un autre chercheur, aurait seulement été l’objet d’une note de bas de page dans une monographie sur la Réforme dans le Frioul32. » Cet autre chercheur évoqué par Ginzburg est, dans le cas de la Querelle d’Homère, Noémi Hepp. Dans son Homère en France au XVIIe siècle, elle consacre certes environ une page au Nouveau Mercure galant et l’évoque dans quelques notes de bas de page, mais elle passe rapidement à autre chose et ne s’intéresse guère à la revue. Cette analyse – comme celle d’un cas particulier sous un microscope – reste pourtant dangereuse puisque nous risquons de tomber dans l’« histoire événementielle33 ». Ce risque est également identifié par Michel Foucault :

      L’histoire, telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, ne se détourne pas des événements ; elle en élargit au contraire sans cesse des couches nouvelles, plus superficielles ou plus profondes ; elle en isole sans cesse de nouveaux ensembles où ils sont parfois nombreux, denses et interchangeables, parfois rares et décisifs : des variations quasi quotidiennes de prix on va aux inflations séculaires34.

      Dans notre contexte, l’étude détaillée d’un seul texte, voire d’un seul poème, constitue cet événement singulier, intéressant et, en même temps, dangereux. Or, face à notre ignorance du Nouveau Mercure galant, ce travail d’« une minutie presque obsessionnelle35 » permet de compléter notre image du périodique et de ses auteurs36. Il en résulte donc que l’étude parfois pénible et souvent descriptive reste nécessaire, mais il ne faut pas s’arrêter là. En ce qui concerne l’analyse du discours, Foucault explique notamment qu’il n’est guère pensable d’analyser l’un sans l’autre : les événements sans la série et inversement37. Par la même occasion, il rend légitime notre approche : « [C]ette analyse des discours à laquelle je songe s’articule […] sur le travail effectif des historiens38. » Sur le plan de la microhistoire, Ginzburg, qui est d’ailleurs un lecteur de Foucault39, essaie d’échapper à ce piège d’une façon similaire. En se référant à Siegfried Kracauer et à Marc Bloch, il écrit :

      Ce qui signifie que la conciliation entre macro- et microhistoire n’a rien d’évident […]. Et néanmoins c’est elle qu’il faut rechercher. Selon Kracauer, la meilleure solution est celle qu’a adoptée Marc Bloch dans La Société féodale : un aller-retour continu entre macro- et microhistoire, entre gros plans […] et plans d’ensemble […] ou généraux […] qui permet de tarauder la vision globale du processus historique par le moyen d’exceptions apparentes et de causes qui se déroulent dans un temps limité40.

      Ce sera justement le pari que nous tiendrons : décrire les différents discours présents dans le Nouveau Mercure galant, c’est-à-dire déterminer s’ils sont novateurs ou s’ils suivent surtout d’autres hommes de lettres, sans négliger l’indispensable critique des sources.

      Structure et repères

      Cet outil méthodologique, qui tente de concilier l’histoire des idées et l’analyse du discours, résulte de notre volonté d’entamer une « lecture horizontale » et d’étudier les dimensions politique, esthétique et épistémologique de la Querelle d’Homère1. À première vue, cette approche paraît pourtant anachronique. Ni l’adjectif « esthétique », ni le mot « épistémologique » ne figurent dans le Dictionnaire universel d’Antoine Furetière, AntoineFuretière, seul le terme « politique2 » s’y trouve. Toutefois, ces trois angles d’attaque nous permettent de perfectionner la problématique générale et d’approfondir nos analyses.

      Tout d’abord, nous nous intéresserons à la dimension politique de la querelle. Selon Furetière, AntoineFuretière, l’adjectif politique « concerne le gouvernement, la conduite de la vie3 ». Cette définition résume l’approche de notre première partie dans laquelle nous nous intéresserons à la vie politique dans le sens du gouvernement, sans entrer toutefois dans la discussion de mesures concrètes qui, à l’exception des campagnes militaires, ne figurent pas dans le Nouveau Mercure galant. Inspiré par les recherches d’Andreas Gestrich qui souligne l’importance d’une communication active de la part d’un prince absolu afin de légitimer son pouvoir face à ses sujets4, nous chercherons à découvrir de quelle manière les contributeurs du Nouveau Mercure galant et son responsable se prononcent sur les enjeux socio-politiques de la Querelle d’Homère. Nous voudrons, par conséquent, savoir ce qui distingue un bon d’un mauvais noble, dans quelle mesure la revue, et plus particulièrement sa réception de la querelle, contribuent à l’unification du royaume et ce qui caractérise la bonne glorification du roi, un sujet indissociable de la Querelle des Anciens et des Modernes depuis la lecture du « Siècle de Louis le Grand » à l’Académie française en 16875. Afin de mettre en relief nos résultats, nous nous pencherons également sur le changement de régime après la mort de Louis XIVLouis XIV. Le but en sera de découvrir de quelle façon l’avènement de la Régence se manifeste dans le périodique. Enfin, nous nous intéressons encore à la place des galantes femmes dans le champ littéraire ce qui nous permet d’aborder – au moins, partiellement – les attentes sociales à leur égard.

      Ensuite, nous nous tournerons vers la dimension esthétique de la Querelle d’Homère. Au début du XVIIIe siècle, ce mot n’existe pas encore et il serait plus approprié de parler de la critique du goût. Cependant, au moins deux raisons justifient l’emploi anachronique de l’adjectif « esthétique ». D’un côté, selon la 9e édition du Dictionnaire de l’Académie française, il désigne la « science du beau6 » et, par conséquent, renvoie également à la question de savoir ce qu’est la belle littérature, ici dans le sens d’une littérature moralement irréprochable et divertissante. De l’autre, l’adjectif « esthétique » rappelle que la Querelle des Anciens et des Modernes préfigure les travaux de Jean-Baptiste Du Bos, Jean-BaptisteDu Bos ou d’Alexander Baumgarten, AlexanderBaumgarten7 et qu’elle s’inscrit dans un processus historique plus long. C’est là une perspective que nous ne voudrions pas perdre de vue, même si le cadre de nos recherches sera plus restreint : nous commencerons par la critique de l’Iliade et des traductions d’Anne Dacier et d’Houdar de La Motte avant d’étudier des réflexions plus théoriques sur ce qu’est un bon écrivain. Pour conclure cette deuxième partie, nous analyserons des exemples concrets de la littérature