Haine d'amour. Daniel Lesueur. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Daniel Lesueur
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066078973
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êtres, qui en sont réduits à la ruse pour deviner la vie, où, brusquement ensuite, on les jette, sans transition entre la brutalité de cette vie et le vague univers providentiel et maniéré, dans lequel on les tenait en cage. Il les plaignait et les dédaignait, comme des créatures factices, dont la femme, plus tard, se dégagera sous l’influence de la passion et de la vie, mais qui, dans leur uniforme insignifiance, ne peuvent donner à prévoir ce que sera cette femme un jour.

      Et voilà, parce que Gilberte Méricourt avait un certain visage, un certain regard, et, sur sa peau fraîche, certaines nuances exquises, que Vincent commençait à lui prêter une valeur intime, déniée de parti pris à toutes ses pareilles.

      Peut-être aussi subissait-il la suggestion de la cérémonie religieuse, dont la beauté, la solennité, donnaient tant d’importance au mariage qui s’accomplissait là, et tant de prix, par suite, à la virginité, qui se symbolisait toute blanche, devant les somptuosités de l’autel, éblouissant d’orfèvreries, de lumières et de fleurs.

      Lorsque Robert Dalgrand glissa l’alliance au doigt de Lucienne, dont la petite main dégantée mit une rose lueur de chair sous le nuage mystique du voile, M. de Villenoise éprouva comme une vague nostalgie, comme un mécontentement de sa propre existence, et un désir indistinct de quelque chose qui lui aurait manqué.

      Un instant après, le suisse étant venu s’incliner devant lui, en murmurant deux ou trois mots, il vit Gilberte se lever. Elle lui tendit son bouquet, et il comprit qu’il s’agissait de faire la quête. Alors il prit une main de la jeune fille, qui, de l’autre, présentait son aumônière. Elle allait de rang en rang, se penchait en allongeant le bras d’un geste souple, et se redressait avec un sourire de remerciement, tandis que les pièces de métal tintaient en tombant les unes sur les autres. Et cela recommençait toujours, car la vaste église était remplie de monde; quand ils eurent fini d’un côté il leur fallut changer de main et remonter dans l’autre sens.

      Or c’était justement les minutes que Vincent considérait d’avance avec le plus d’appréhension dans cette journée de noce, celles de cette quête, où le garçon d’honneur ne peut tenir que la plus gauche des attitudes, tandis que la demoiselle exhibe sa toilette et se soucie de recueillir plus d’œillades admiratives pour elle-même que de pièces blanches pour la paroisse.

      Maintenant, s’il leur reprochait quelque chose, à ces minutes charmantes, c’était de fuir trop vite. Il marchait dans un rêve très doux, pas à pas sur ce tapis rouge d’église, avec la main de cette jolie fille appuyée sur sa main. Quand Gilberte s’inclinait pour tendre l’aumônière aux personnes les plus éloignées, Vincent serrait un peu les doigts pour la retenir et sentait au bras le poids de son jeune corps; puis il pliait le coude et la redressait en l’attirant vers lui. Et il éprouvait la sensation d’être très loin, seul avec elle, et de lui prêter, d’une façon efficace, nécessaire, la protection de sa force. Lorsque la quête fut finie, tous deux revenus à leur place, et que Mlle Méricourt s’isola pour s’agenouiller sur le prie-Dieu, Vincent eut comme un tressaillement de réveil, comme un serrement de cœur désappointé.

      Pourtant, au cours de cette journée qu’il avait prévue si longue et qui passa comme un éclair,—au lunch, et durant la réception de l’après-midi chez le général, et au dîner de l’Hôtel Continental où elle fut sa voisine, et dans le bal où la valse les enlaça,—il ne lui fit pas la cour. Aussi fut-il étonné de surprendre par instants, dans les yeux bruns de Gilberte, comme un rayonnement attendri qui répondait à quelque chose au fond de son âme à lui, quelque chose qu’il ne s’expliquait pas et qu’il ne croyait pas avoir trahi le moins du monde. Toutefois, c’était bien une réponse et non point une offensive de coquetterie, ce joli regard un peu moqueur, un peu troublé, mais d’une si spontanée confiance, dont parfois elle accueillit celles de ses phrases qu’il aurait jugées les plus banales. M. de Villenoise commença donc—mais bien tard—à se surveiller avec rigueur; car, s’étant interdit, pour des raisons qu’il s’imaginait indestructibles, de songer au mariage, il s’interdisait également de laisser deviner à cette jeune fille l’immense sympathie qu’elle lui inspirait.

      Ils parlèrent ensemble fort peu d’ailleurs, la parole ne servant à rien lorsque entrent en jeu les mystérieuses affinités d’où va naître l’amour. Cette façon de se consulter sur ses goûts réciproques, de découvrir que l’on aime l’un et l’autre la musique ou les voyages, que l’on éprouve un égal ennui dans les réunions mondaines et qu’on leur préfère la solitude des bois et autres beautés de la nature; tous ces préliminaires d’une attraction simultanée ne sont que des symptômes, sous couleur d’être des moyens. On ne se plaît pas parce que l’on s’est exprimé des penchants identiques; mais on s’exprime des penchants identiques, et même on croit les posséder, parce que l’on se plaît ou que l’on veut se plaire.

      M. de Villenoise apprit donc, sans que son cœur, déjà secrètement touché, en battît plus ou moins vite, que Gilberte ne prenait aucun plaisir aux quadrilles, mais trouvait la valse une chose très amusante; qu’elle avait encore des professeurs de littérature anglaise, de piano et d’italien; qu’elle adorait l’Opéra-Comique, mais qu’elle préférait l’équitation.

      Il était beaucoup plus curieux de savoir pourquoi elle avait pleuré à la mairie et pourquoi son visage, à plusieurs reprises, s’était voilé d’une tristesse contre laquelle elle semblait se défendre.

      Comme elle ne pouvait guère lui parler confidentiellement que pendant qu’ils dansaient, ce fut en valsant qu’elle le lui expliqua.

      —Ma sœur Lucienne et moi, dit-elle, nous ne nous quittions jamais. Nos leçons, nos promenades, nos emplettes, nous les faisions ensemble. Qu’est-ce que je vais devenir sans ma petite Luce? Voyez-vous, monsieur, quand j’y pense, la vie me semble tellement triste que je voudrais mourir.

      Il sourit à ce mot, que prononcent si vite les désespoirs de la vingtième année.

      Elle reprit:

      —Vous ne me croyez pas? C’est parce que vous n’avez pas de sœur. Mais l’idée de retrouver sa chambre vide!... (La voix de Gilberte s’étrangla.) Ah! si ce n’était pas pour mon père... je voudrais vraiment mourir ce soir.

      —Mais vous vous marierez à votre tour.

      Elle rougit, haussa légèrement les épaules.

      —Bah! qui sait?

      —Comment, qui sait? dit-il en riant. Auriez-vous prononcé des vœux devant l’autel de sainte Catherine?

      —Oh! non.

      —Alors?

      Elle se tut d’un petit air mystérieux. M. de Villenoise insista.

      —Vous voulez savoir?... dit-elle avec un regard sincère de ses beaux yeux bruns. Eh bien, moi, je ne consentirai à me marier que comme Lucienne, seulement avec quelqu’un qui me plaira tout à fait.

      —Et... vous ne prévoyez donc pas qu’on puisse vous plaire... tout à fait?

      Elle répondit—peut-être un peu trop vivement:

      —Oh! si...

      Puis elle resta interdite une seconde, rougit plus fort, et ajouta:

      —Mais je connais bien la vie, allez. Celui qui me plaira, je ne lui plairai pas. C’est toujours ainsi.

      —Toujours?... Non. Voyez votre sœur et mon ami Robert.

      —Oh! Lucienne est plus jolie et meilleure que moi. D’ailleurs, il y a des exceptions. Et cette chance-là ne se rencontrera pas deux fois dans une même famille.

      —Vous êtes donc modeste, mademoiselle Gilberte? Voilà une qualité presque invraisemblable chez une jeune fille.

      —Ces pauvres jeunes filles! Vous avez l’air de leur en vouloir. Qu’est-ce qu’elles vous ont fait?

      —Elles