Ce ne fut pas tout: par une belle matinée de mai, la jeune reine traversa Londres dans toute sa longueur, et s'en alla avec son évêque, ses aumôniers, ses femmes, s'agenouiller au gibet de Tyburn, où avait été, vingt ans auparavant, lors de la conspiration des poudres, pendu le père Garnet et ses jésuites et, aux yeux de Londres indignée, fit sa prière pour le repos de l'âme de ces illustres assassins, qui, à l'aide de trente-six tonneaux de poudre, voulaient d'un seul coup faire sauter le roi, les ministres et le Parlement.
Le roi ne pouvait croire à cet outrage fait à la morale publique et à la religion de l'Etat: il entra dans une de ces violentes colères qui font tout oublier, ou plutôt qui font souvenir de tout. «Qu'on les chasse comme des bêtes sauvages—écrivit-il—ces prêtres et ces femmes qui vont prier au gibet des meurtriers!» La reine cria, la reine pleura, ses évêques et ses aumôniers excommunièrent et maudirent, les femmes se lamentèrent, comme les filles de Sion emmenées en esclavage, quand elles mouraient, au fond du cœur, de l'envie de rentrer en France.
Le reine courut à la fenêtre pour leur faire des signes d'adieux. Charles Ier, qui entrait en ce moment dans sa chambre, la pria de ne pas donner ce scandale si en dehors des mœurs anglaises, la reine cria plus fort, Charles la prit à bras-le-corps pour l'éloigner de la fenêtre, la reine se cramponna aux barreaux, Charles l'en arracha par violence, la reine s'évanouit, étendant vers le ciel ses mains ensanglantées, pour appeler la vengeance de Dieu sur son mari. Dieu répondit, le jour où, par une autre fenêtre, celle de White-Hall, Charles marcha à l'échafaud.
De cette querelle entre mari et femme, notre brouille avec l'Angleterre. Charles Ier fut mis au ban des reines de la chrétienté, comme un Barbe-Bleue britannique, et Urbain VIII, sur cette vague donnée d'une écorchure douteuse, dit à l'ambassadeur espagnol:—Votre maître est tenu de tirer l'épée pour une princesse affligée, ou il n'est ni catholique, ni chevalier!—La jeune reine d'Espagne, de son côté, sœur d'Henriette, écrivit de sa main au cardinal de Richelieu, appelant sa galanterie au secours d'une reine opprimée; l'infante de Bruxelles et la reine mère s'adressèrent au roi; Bérulle brocha sur le tout; on n'eut pas de peine à faire croire à Louis XIII, faible comme tous les petits esprits, que l'expulsion de ces Français était un outrage à sa couronne! Richelieu seul tint bon, de là le secours donné par l'Angleterre aux protestants de La Rochelle, l'assassinat de Buckingham, le deuil de cœur d'Anne d'Autriche, et cette ligue universelle des reines et des princesses contre Richelieu.
Maintenant, revenons en Italie, en Italie où nous allons trouver l'explication de toutes ces lettres que nous avons vu le comte de Moret remettre à la reine, à la reine mère et à Gaston d'Orléans, dans la situation politique du Montferrat et du Piémont, et dans l'exposition des intérêts rivaux du duc de Mantoue et du duc de Savoie.
Le duc de Savoie, Charles-Emmanuel, d'autant plus ambitieux que sa souveraineté était plus exiguë, l'avait augmentée violemment du marquisat de Saluces, lorsque, allant en France pour discuter la légitimité de sa conquête, ne pouvant rien obtenir de Henri IV, à cet endroit, il entra dans la conspiration de Biron, conspiration non-seulement de haute trahison contre le roi, mais de lèse-patrie contre la France, qu'il s'agissait de morceler.
Toutes les provinces du Midi devaient appartenir à Philippe III.
Biron recevait la Bourgogne et la Franche-Comté avec une infante d'Espagne en mariage.
Le duc de Savoie avait le Lyonnais, la Provence et le Dauphiné.
La conspiration fut découverte: la tête de Biron tomba.
Henri IV eût laissé le duc de Savoie tranquille dans ses Etats, si celui-ci n'eût point été poussé à la guerre par l'Autriche. Il s'agissait, par le besoin d'argent, de forcer Henri à épouser Marie de Médicis. Henri se décida, toucha la dot, battit à plate couture le duc de Savoie, le força de traiter avec lui, et lui laissant le marquisat de Saluces, lui prit la Bresse entière, le Bugey, le Valromey, le pays de Gex, les deux rives du Rhône, depuis Genève jusqu'à Saint-Genix, et enfin le château Dauphin, situé au sommet de la vallée de Vraita.
A part Château-Dauphin, Charles-Emmanuel n'avait rien perdu en Piémont; au lieu d'être à cheval sur les Alpes, il n'en gardait plus que le versant oriental, mais il restait le maître des passages qui conduisaient de la France en Italie.
Ce fut à cette occasion que notre spirituel Béarnais baptisa Charles-Emmanuel du nom de prince des Marmottes, qui lui resta.
Il fallut bien qu'à partir de ce moment le prince des Marmottes se regardât comme un prince italien.
Il ne s'agissait plus pour lui que de s'agrandir en Italie.
Il y fit plusieurs tentatives infructueuses, quand une occasion se présenta, qu'il crut non-seulement opportune mais immanquable.
François de Gonzague, duc de Mantoue et du Montferrat, mourut ne laissant de son mariage avec Marguerite de Savoie, fille de Charles-Emmanuel, qu'une fille unique. Son grand-père réclama la tutelle de l'enfant pour la douairière de Montferrat. Il comptait marier un jour avec elle son fils aîné Victor-Amédée, et réunir ainsi le Mantouan et le Montferrat au Piémont. Mais le cardinal Ferdinand de Gonzague, frère du duc mort, accourut de Rome, s'empara de la régence et fit enfermer sa nièce au château de Goïto, de peur qu'elle ne tombât au pouvoir de son oncle maternel.
Le cardinal Ferdinand mourut à son tour, et il y eut un moment d'espoir pour Charles-Emmanuel; mais le troisième frère, Vincent de Gonzague, vint réclamer la succession et s'en empara sans conteste.
Charles-Emmanuel prit patience; accablé d'infirmités, le nouveau duc ne pouvait durer longtemps. Il tomba malade en effet, et Charles-Emmanuel se crut sûr cette fois de tenir le Montferrat et le Mantouan.
Mais il ne voyait pas l'orage qui se formait contre lui de ce côté-ci des monts.
Il y avait en France un certain Louis de Gonzague, duc de Nevers, chef d'une branche cadette; il avait eu pour fils Charles de Nevers, qui se trouvait oncle des trois derniers souverains du Montferrat; son fils, le duc de Rethellois, se trouvait donc cousin de Marie de Gonzague, héritière de Mantoue et du Montferrat.
Or, l'intérêt du cardinal de Richelieu—et l'intérêt du cardinal de Richelieu était toujours celui de la France—l'intérêt du cardinal de Richelieu voulait qu'il y eût un partisan zélé des fleurs de lis au milieu des puissances lombardes, toujours prêtes à se déclarer pour l'Autriche ou l'Espagne; le marquis de Saint-Chamont, notre ambassadeur près Vincent de Gonzague reçut ses instructions, et Vincent de Gonzague déclarait, en mourant, le duc de Nevers son héritier universel.
Le duc de Rethellois vint prendre possession, au nom de son père, avec le titre de vicaire général, et la princesse Marie fut envoyée en France, où on la mit sous la sauvegarde de Catherine de Gonzague, duchesse douairière de Longueville, femme de Henri Ier d'Orléans, et qui se trouvait être la tante de Marie, étant fille de ce même Charles de Gonzague qui venait d'être appelé au duché de Mantoue.
Un des concurrents de Charles de Nevers était César de Gonzague, duc de Guastalla, dont le grand-père avait été accusé d'avoir empoisonné le Dauphin, frère aîné de Henri II, et d'avoir assassiné cet infâme Pierre-Louis Farnèse,