—Souscarrières breveté des chaises à porteurs, chef de ma police laïque, pour faire pendant à du Tremblay, chef de ma police religieuse.
—La reine absente du ballet pour cause de migraine.»
—Qu'y a-t-il encore? voyons!
Et il chercha dans sa mémoire.
—Ah! dit-il tout à coup, et cette lettre soustraite dans le portefeuille du médecin du roi, Senelle, et vendue à du Tremblay par son valet de chambre. Voyons un peu ce qu'elle dit, maintenant que Rossignol en a retrouvé le chiffre, et il appela:
—Rossignol! Rossignol!
Le même petit bonhomme à lunettes reparut.
—La lettre et le chiffre, dit le cardinal.
—Les voici, monseigneur.
Le cardinal les prit.
—C'est bien, dit-il, à demain, et si je suis content de votre traduction, c'est un bon de quarante pistoles, au lieu d'un bon de vingt, que vous aurez à faire.
—J'espère que Votre Eminence en sera contente.
Rossignol sorti, le cardinal ouvrit la lettre et la lut:
Voici textuellement ce qu'elle disait:
«Si Jupiter est chassé de l'Olympe, il peut se réfugier en Crète, Minos lui offrira l'hospitalité avec grand plaisir. Mais la santé de Céphale ne peut durer; pourquoi, en cas de mort, ne ferait-on pas épouser Procris à Jupiter? Le bruit court que l'Oracle veut se débarrasser de Procris pour faire épouser Vénus à Céphale. En attendant, que Jupiter continue de faire la cour à Hébé, et à feindre à propos de cette passion la plus grande mésintelligence avec Junon. Il est important que tout fin qu'il est, ou plutôt qu'il se croit, l'Oracle se trompe en croyant Jupiter amoureux d'Hébé.
«Minos.»
—Maintenant, dit le cardinal après avoir lu, voyons le chiffre:
Le chiffre, comme nous l'avons dit, était joint à la lettre; il était tel que nous le mettons sous les yeux de nos lecteurs.
CÉPHALE, | LE ROI. |
PROCRIS, | LA REINE. |
JUPITER, | MONSIEUR. |
JUNON, | MARIE DE MÉDICIS. |
L'OLYMPE, | LE LOUVRE. |
L'ORACLE, | LE CARDINAL. |
VÉNUS, | Mme DE COMBALET. |
HÉBÉ, | MARIE DE GONZAGUE. |
HÉBÉ, | MARIE DE GONZAGUE. |
MINOS, | CHARLES IV, DUC DE LORRAINE. |
LA CRÈTE, | LA LORRAINE. |
«Si Monsieur est chassé du Louvre, il peut se réfugier en Lorraine; le duc Charles IV lui offrira l'hospitalité avec le plus grand plaisir, mais la santé du Roi ne peut durer; pourquoi, en cas de mort, ne ferait-on pas épouser la Reine à Monsieur? Le bruit court que le Cardinal veut marier Mme de Combalet au Roi. En attendant, que Monsieur continue de faire la cour à Marie de Gonzague et à feindre à propos de cette passion la plus grande mésintelligence avec Marie de Médicis; il est important que tout fin qu'il est, ou plutôt qu'il se croit, le Cardinal se trompe en croyant Monsieur amoureux de Marie de Gonzague.
«Charles IV.»
Richelieu relut la dépêche une seconde fois, puis avec le sourire du joueur triomphant:
—Allons, dit-il, je commence à voir clair sur mon échiquier.
FIN DU PREMIER VOLUME.
DEUXIÈME VOLUME.
CHAPITRE Ier.
ÉTAT DE L'EUROPE EN 1628.
Arrivés au point où nous en sommes, nous croyons qu'il n'y aurait point de mal à ce que le lecteur, comme le cardinal de Richelieu, vît un peu clair sur son échiquier.
Le fiat lux nous sera plus facile à faire, à nous, après deux cent trente-sept ans, qu'au cardinal, qui, entouré de mille trames diverses, rebondissant de conspirations en conspirations, ne se dégageant d'un complot que pour retomber dans un autre, trouvait toujours un voile étendu entre lui et les horizons qu'il avait besoin de découvrir, et qui, des feux follets flottant sur les intérêts de chacun, était forcé de faire jaillir une clarté générale.
Si ce livre était simplement un de ces livres que l'on expose entre un keepsake ou un album, sur une table de salon, pour que les visiteurs en admirent les gravures, ou qui, après avoir amusé le boudoir, sont destinés à faire rire ou pleurer les antichambres, nous passerions par-dessus certains détails, que les esprits frivoles ou pressés peuvent traiter d'ennuyeux; mais comme nous avons la prétention que nos livres deviennent, sinon de notre vivant, du moins après notre mort, des livres de bibliothèque, nous demanderons à nos lecteurs la permission de leur faire passer sous les yeux, au commencement de ce chapitre, une revue de la situation de l'Europe, revue nécessaire au frontispice de notre second volume, et qui, rétrospectivement, ne sera point inutile à l'intelligence du premier.
Depuis les dernières années du règne de Henri IV et depuis les premières années du ministère de Richelieu, la France, non-seulement avait pris rang au nombre des grandes nations, mais encore était devenue le point sur lequel se fixaient tous les regards, et déjà à la tête des autres royaumes européens par son intelligence, elle était à la veille de prendre la même place comme puissance matérielle.
Disons en quelques lignes quel était l'état du reste de l'Europe.
Commençons par le grand centre religieux, rayonnant à la fois sur l'Autriche, sur l'Espagne et sur la France; commençons par Rome.
Celui qui règne temporellement sur Rome et spirituellement sur le reste du monde catholique, est un petit vieillard morose, âgé de soixante ans, Florentin et avare comme un Florentin, Italien avant tout, prince avant tout, oncle surtout, avant tout. Il pense à acquérir des morceaux de terre pour le Saint Siége et des richesses pour ses neveux, dont trois sont cardinaux: François et les deux Antoine, et le quatrième, Thaddée, général des troupes papales. Pour satisfaire aux exigences de ce népotisme, Rome est au pillage:—«Ce que ne firent point les Barbares,» dit Marforio, ce Caton, le censeur des papes,—«les Barberini l'ont fait.» Et, en effet, Matteo Barberini, exalté au pontificat, sous le nom d'Urbain VIII, a réuni au patrimoine de saint Pierre le duché dont il porte le nom. Sous lui, le Gésu et la Propagande, fondés par le beau neveu de Grégoire XV, Mgr Ludoviso, florissent, organisent, au nom et sous le drapeau d'Ignace de Loyola: le Gésu, la police du globe, et la Propagande, sa conquête. De là sortiront ces armées de prêcheurs, tendres pour les Chinois, féroces pour l'Europe. A l'heure qu'il est, sans vouloir personnellement se mettre en avant, il essaye de contenir les Espagnols dans leur duché de Milan, et d'empêcher les Autrichiens de franchir les Alpes. Il pousse la France à secourir Mantoue et à faire lever le siége de Cazal; mais il refuse de l'aider d'un seul homme ou d'un seul baïoque; dans ses moments perdus, il corrige les hymnes de l'Eglise et compose des poésies anacréontiques.
Dès 1624,