Poignet-d'acier, Ou, Les Chippiouais. H. Emile Chevalier. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: H. Emile Chevalier
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066085728
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dans la baie d'Hudson, à l'Océan Nord.—Introduction.]

      Tout commentaire pâlirait devant la sinistre éloquence de ces

       Instructions.

      Je poursuis donc mon sujet.

      Le fort du Prince-de-Galles est un des postes les plus septentrionaux que possède la Compagnie de la baie d'Hudson sur ses immenses territoires. On y fait principalement la traite des pelleteries provenant des régions polaires.

      Cette importante factorerie est parfaitement défendue par des bastions et des courtines en pierre de taille, garnis de lourdes couleuvrines. Quelques canons d'un fort calibre ont même été braqués aux angles.

      Dans l'enceinte de la forteresse s'élève la maison du gouverneur, les bâtiments affectés au commis, les magasins pour les fourrures et les articles d'échange, la poudrière, les ateliers de construction, et le vaste bâtiment destiné aux trappeurs, voyageurs, coureurs des bois, aventuriers de toutes origines, je pourrais dire de toutes couleurs, qui, chaque jour, y viennent chercher un abri.

      La plupart sont des gens au service de la Compagnie; mais bon nombre n'ont de commun avec elle que l'hospitalité temporaire qu'elle leur accorde.

      Autour du fort, on voit des tentes dressées par les Indiens descendus du nord pour troquer, contre des armes, des ustensiles de ménage, des outils, des colifichets et trop souvent de l'eau-de-feu,—le lait des blancs, comme ils disent fréquemment,—les produits de leur chasse et de leur pêche.

      Des parcs, protégés par des palissades, se montrent aussi ça et là, et, au bord de la mer, un pont en bois a été jeté sur une des bouches de la rivière Churchill.

      Du reste, partout où porte l'oeil, la plaine est nue, triste, couverte de rares bruyères, maigres mélèzes, genévriers on saules nains, quand la neige ne la revêt pas d'un blanc suaire. Jadis des forêts magnifiques l'ombrageaient mais ces forêts on les a abattues, sans mesure, sans préoccupation de l'avenir, et aujourd'hui les gens du fort sont obligés d'aller chercher leur combustible à trente et quarante milles à l'intérieur des terres. Ils y emploient les deux ou trois mois de temps chaud que laisse l'inclémence de cette haute latitude; car, du 1er septembre au 1er juillet et même plus tard, la baie d'Hudson est fermée par les glaces, tandis que son littoral reste enseveli sous une couche de neige dont l'épaisseur dépasse parfois six pieds.

      Horrible région que celle-là! épouvantable en hiver! Les pierres craquent et volent en pièces. Les arbres se gercent; ils éclatent avec un bruit semblable à des détonations d'armes à feu. L'alcool gèle, le mercure se fige!

      Ce qui n'empêche pas la gaieté de régner dans le fort du

       Prince-de-Galles, alors même que le thermomètre marque 40°

       Réaumur,—mais quand le manque de provisions ne vient pas s'allier au

       froid, pour faire la guerre à l'homme.

      Aussi, comme la chasse et la pêche avaient été des plus abondantes pendant l'été de 1882, menait-on joyeuse vie à la factorerie, vers la fin de l'automne de cette même année.

      Chaque soir, après les rudes travaux de la journée, mêlés aux Indiens, les braves trappeurs contaient des histoires merveilleuses, chantaient des chansons plus qu'égrillardes, et buvaient force whiskey, à la santé de leurs belles.

      Il fallait entendre résonner les échos de la grand'salle! et la voir donc! Quel spectacle! quel tohu-bohu! quel pêle-mêle de costumes, de physionomies, de races hétérogènes!

      Pénétrons-y. Il est sept heures de relevée. La flamme jaillit par torrents dans les deux cheminées cyclopéennes qui se font face des deux côtés de la pièce et l'éclairent. Que vous semble de ces costumes de peaux, de ces mines étranges, de ces armes barbares? Le vent souffle avec rage au dehors. Il y fait un froid mortel, et la neige tombe en bordée. Mais qu'importe? chacun ici a le sourire aux lèvres. Qui se croirait jamais à quinze cents lieues des établissements civilisés?

      Voici pourtant une de nos connaissances, James Mac Carthy, l'avocat de Québec. Il a endossé le vêtement de chasseur septentrional: casque de peau de loup marin, tunique en cuir de daim, doublée de peau de cygne et ornée de pimpantes broderies en rassade, mitas et mocassins en même matière.

      Il cause chaleureusement avec un chef indien, Kit-chi-ou-a-pous, le

       Grand-Lièvre, sagamo illustre dans la tribu des Chippiouais.

      C'est un homme d'une taille géante. Il mesure près de sept pieds. Son profil offre de l'analogie avec celui d'un bélier. Son front est fuyant, son nez busqué, ses yeux rapprochés et inclinés comme ceux de la race mongole. Deux plumes d'aigle, symbole de sa puissance, sont passées en croix dans l'unique touffe de cheveux qu'il étale au sommet de la tête. De longs anneaux d'argent pendent de ses oreilles et cliquettent contre ses épaules. Sur sa poitrine est fièrement étalé un collier composé de griffes d'ours et de dents de morse.

      Une peau de boeuf musqué l'enveloppe des pieds à la tête.

      Mais ce qui rend surtout remarquable ce personnage, ce sont cinq bandes, larges d'un demi-pouce, l'une rouge, l'autre bleue, la troisième jaune d'or, la quatrième verte, la cinquième blanche, qui se partagent horizontalement sa face, tandis qu'une sixième, noire comme l'ébène, descend perpendiculairement de son front jusque sous Se menton.

      Kit-chi-ou-a-pous fume avec une lenteur calculée son poagan, ou calumet, au fourneau en pierre rouge, représentant une figure bizarre,—sans doute quelque vague souvenir traditionnel de l'art des Asiatiques,—et au long tuyau enguirlandé de plumes omnicolores.

      Mac Carthy le presse de questions, mais le chef se contente de répondre, de temps en temps, entre deux bouffées de tabac, par une phrase brève et sentencieuse, qui irrite davantage encore l'impatience du jeune homme.

      —Tu dis, mon frère, qu'il y a une distance bien grande entre ce fort et la rivière des Mines, s'écrie James.

      —La distance d'une saison d'hiver à l'autre.

      —Et la route est pénible!

      —Pénible pour un coeur faible.

      —Mais, est-il vrai qu'on y trouve de l'or!

      —Les yeux de Kit-chi-ou-a-pous n'y ont point vu de ce sable jaune dont parle mon frère.

      —On m'a raconté qu'il y en avait en quantité.

      —Si mon frère sait mieux que Kit-chi-ou-a-pous, pourquoi l'interroge-t-il? répliqua sèchement le sagamo.

      —Voudrais-tu m'y conduire? répliqua Mac Carthy.

      Le Chippiouais secoua la tête.

      —Je te ferai, continua James, tel présent de poudre, de balles, d'eau-de-feu que tu me demanderas.

      Une lueur fauve raya les noires pupilles du sagamo, mais il répondit avec son impassibilité accoutumée:

      —L'homme demi-blanc a la langue crochue.

      —Veux-tu un gage de ma parole!

      —Non, je réfléchirai aux propositions de mon frère.

      —Alors, je puis compter sur toi pour aller à ces mines?

      —Si j'accepte les présents de mon frère, je le conduirai jusqu'au grand lac d'eau salée; mais je ne promets pas de lui montrer ce qu'il demande, car ce qu'il demande n'est plus.

      Mac Carthy fit un geste d'incrédulité.

      Mais le Grand-Lièvre, cessant de pétuner, dit d'un ton mesuré et grave:

      —Que mon frère écoute, afin que jamais il n'accuse Kit-chi-ou-a-pous de l'avoir faussement détourné de son sentier.

      —J'ouvre mon oreille à ton discours.

      —Il y a bien des hivers, dit le sauvage, les cavernes de pierre