Le chasseur noir. H. Emile Chevalier. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: H. Emile Chevalier
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066086312
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où se tenait tapi Nicolas.

      Le guerrier aux sept plumes, qui était le chef du parti, fit peu attention à ce détail; toute tentative d'évasion de ce côté semblait du reste complètement inutile, car nul, si audacieux qu'il fût n'aurait osé pousser un cheval sur cette montée rocheuse, presque perpendiculaire.

      Pour le trappeur c'était, toutefois, un moment propice. La providence favorisait apparemment ses intentions.

      Les Indiens se tenaient toujours immobiles près de la rivière.

      Débuchant à demi de sa cachette et tirant de sa gaine un couteau bien affilé, Nicolas se disposa à exécuter son hardi projet.

      Un tressaillement, une exclamation pouvait le trahir. Il imita le sifflement du serpent.

      Le captif tourna légèrement la tête, Nicolas saisit,—qu'on nous pardonne l'expression,—l'occasion aux cheveux.

      —Trappeur, souffla-t-il tout bas, un ami est là, soyez sur vos gardes!

      Si faiblement que fussent dits ces mots, ils arrivèrent aux oreilles du prisonnier qui dressa soudain la tête et regarda autour de lui.

      —Chut! ajouta Nicolas, sortant du buisson.

      Le captif l'aperçut. Mais il comprima l'émotion que cette apparition imprévue avait soulevée en lui.

      Les dangers incessants qui environnent un trappeur du Nord lui ont appris à sentir et à réfléchir promptement…

      Nicolas coupa les lanières qui assujettissaient le captif à son cheval, puis, tranchant les liens mis à ses poignets, il lui plaça entre les mains une paire de pistolets.

      Tout cela se fit avec une rapidité et une dextérité dont les lourds habitants des villes ne peuvent se faire une idée exacte.

      Un novice eût certainement échoué, mais l'habitude et l'adresse aplanissent la surface rugueuse des impossibilités apparentes.

      Nicolas se retira ensuite derrière la roche et l'autre trappeur, se coulant sans bruit à bas du cheval, le suivit. Aussitôt le cri de guerre des Pieds-noirs retentit dans le vallon.

      —Maintenant, étranger, en avant! escaladons cette montagne. Tenez-vous près de moi et je vous garantis que nous ferons faire plus d'une culbute à ces damnés païens. Feu, quand vous trouverez une chance! Mais ne gaspillez pas votre plomb!

      Et là-dessus Nicolas s'élança sur les rochers avec l'agilité d'une antilope.

      —Mes membres sont pas mal engourdis, mais n'ayez pas peur, dit l'autre, j'en ferai bon usage.

      Les Pieds-noirs les poursuivaient en hurlant de désappointement.

      Par bonheur, les fugitifs avaient un peu d'avance. Et comme ils étaient rompus aux vicissitudes de l'existence et aux périls du Far-west ils n'appréhendaient guère de tomber entre les mains de leurs ennemis.

      Les Indiens envoyèrent plusieurs coups de fusil, mais sans les atteindre. En dix minutes nos fuyards furent au sommet de la montagne.

      Ils respirèrent un moment, et Nicolas rouvrit la marche en conduisant son compagnon vers une partie plus accessible de cette contrée.

       Table des matières

      LA PORTE DU DIABLE

      Nicolas désirait vivement voir le visage de son compagnon; mais l'obscurité l'empêchait de distinguer ses traits.

      Ce ne fut qu'à une heure avancée, quand la lune se leva, qu'il put se satisfaire à cet égard.

      Un examen plus attentif de l'individu le confirma dans son idée première. C'était le type du franc-trappeur nomade, sur lequel les moeurs indiennes avaient fortement déteint.

      Il était sans doute adonné aux habitudes de cette race, car il avait sur la vie des principes faciles, et un mépris cordial pour les gens en dehors de sa profession.

      La physionomie qu'il offrit à Nicolas, éclairée par les premiers rayons de la lune, n'était pas propre à attirer l'amitié ou à assurer la confiance.

      Il avait les yeux enfoncés, et d'une expression sinistre. Son front était bas, contracté par un froncement perpétuel. Un nez épaté et aplati, surmontait sa bouche, démesurément fendue, comme celle d'un animal carnassier. Le menton était court, le cou gros, les épaules larges.

      La vétusté et l'usure avaient rongé ses vêtements d'étoffe grossière.

       Pour compléter ce vilain portrait, le trappeur louchait.

      Nicolas se dit dans son for intime que sa dernière aventure n'avait pas ajouté une acquisition importante au nombre de ses amis. Bref, il n'était pas content de celui qu'il venait de sauver; car si ce dernier ne payait pas de mine, il ne séduisait pas plus par son langage.

      Il avait la parole sèche, cassante. Ses phrases partaient comme les décharges d'une catapulte ou d'une batterie. De plus il les accentuait d'un certain grognement rien moins que plaisant.

      Dans la rapidité de leur fuite, au milieu des ténèbres, Nicolas s'était écarté de la route qu'il avait l'intention de prendre.

      Il se trouvait alors sur une éminence, entourée par un paysage d'un caractère sauvage et pittoresque. Jetant les yeux à l'est, il lui sembla apercevoir les ruines d'une grande cité.

      L'apparition était produite par de longs et énormes amas de rochers, empilés les uns sur les autres, découpés en forme de murailles, de tours chancelantes et de colonnes brisées.

      Cette ville fantastique couvrait les flancs et le sommet d'une montagne, et s'étendait à perte de vue dans les profondeurs d'une sombre vallée.

      Jamais, dans toutes ses excursions, le trappeur n'avait vu un spectacle plus digne d'attention. Il le contemplait avec émerveillement quand son compagnon lui dit:

      —Une chique, hein, étranger?

      Nicolas tourna la tête et rencontra le regard lourd du quémandeur.

      —Vous avez faim d'un morceau de tabac, pas de gêne, je puis vous satisfaire, quoique je n'en use pas fort moi-même, dit-il. Mais vous vous étiez fourré dans une maudite petite difficulté, n'est-il pas vrai?

      —Difficulté! peuh! ce n'est pas pour la première fois, étranger, ni pour la dernière, j'espère. C'est plein d'accidents comme ça, dans ce pays-ci. On s'habitue à tout, après un bout de temps, vous savez?

      Le franc-trappeur s'arrêta, mordit à pleines dents dans la torquette[11] que lui présentait Nicolas, puis roulant, avec la langue, la masse narcotique contre la joue droite, il ajouta:

      —Vous avez l'air de regarder ce tas de rochers. Nous l'appelons la

       Ville hantée.

      [Note 11: Torquette de tabac. Tabac pressé et roulé en forme de corde pour en diminuer le volume.]

      —Nous? qui? demanda Nicolas.

      Après un instant d'hésitation, l'inconnu balbutia:

      —Eh! nous, francs-trappeurs donc!

      —Je ne savais pas, répliqua Nicolas, que certaines gens tendaient des trappes dans les rochers. Généralement je place les miennes dans les vallées ou sur le bord des ruisseaux et des lacs.

      —Oh! sans doute. Mais quand on est dans le voisinage de pareils amas de roches, on ne peut s'empêcher de les voir. En tout cas c'est un lieu mal famé. Nous autres nous le tenons à distance. Des trappeurs et chasseurs isolés ont disparu dans les environs de la Ville hantée.

      Nicolas branla la tête en signe d'incrédulité, tandis que son