Le chasseur noir. H. Emile Chevalier. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: H. Emile Chevalier
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066086312
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c'est toi, Sébastien?

      —Oui, c'est moi, Nicolas. Je vous ai vu glisser sur le versant pour observer quelque chose, et je suis venu. Montagnais[9], vous vous parliez à vous-même?

      [Note 9: Locution canadienne, pour montagnard.]

      —Tu as de bons yeux et de bonnes oreilles, garçon, ô Dieu, oui! Mais, suis mon avis, et ne t'éloigne pas du camp.

      —C'est que, voyez-vous, le camp est bien seul quand vous n'y êtes pas, répliqua Sébastien d'un ton de bouderie enfantine. Et je n'aime pas à vous perdre de vue, père Nicolas.

      —Le camp, bien seul! bien seul, quand Infortune et Maraudeur y sont—une paire de bêtes aussi friandes de toi que d'une bosse de bison fraîche. Dieu te bénisse, garçon, quelle meilleure compagnie veux-tu? Eh! n'est-ce pas plaisir que de s'asseoir à la porte du camp et de voir l'Hérissé brouter l'herbe tendre, ou faire gigoter ses sabots en l'air quand il est de belle humeur?

      Nous ferons remarquer en passant qu'Infortune et Maraudeur étaient deux honnêtes chiens—les fidèles amis et compagnons du trappeur—tandis que l'Hérissé était le nom d'un cheval favori, éprouvé par mille pérégrinations à travers les prairies.

      —Ce sont sans doute d'excellentes créatures, répliqua l'adolescent, mais si bonnes qu'elles soient, elles ne valent pas le montagnais Nicolas, à qui je suis redevable…

      —Ne parlons pas de ça, petiot; car, je te le répète, ça soulèvera une diablesse de maudite petite difficulté entre nous, si tu ne cesses de bavasser de dette de reconnaissance et d'un tas de bêtises pareilles! Crois-tu donc qu'un grossier trappeur comme moi ait jamais fait plus que son devoir? As-tu jamais vu un individu qui ait fait plus que son devoir? l'as-tu vu? l'as-tu jamais vu?

      Le chasseur leva les yeux au ciel, soupira et accentua ces gestes de l'exclamation suivante:

      —O Dieu, non!

      —La bénédiction du Seigneur s'étende sur vous, mon vieux ami! s'écria le jeune, garçon, pressant tendrement les grosses mains calleuses du trappeur.

      —Câlin, va! tu n'es qu'un câlin, et je t'appellerai ainsi tant que tu seras avec moi. Ça n'est pas bien à toi de m'appeler vieux. Est-ce que j'ai l'air d'un vieux, voyons? Non, je ne suis pas vieux, ni de corps, ni d'esprit, car le maître de la vie, en me donnant un brin d'intelligence a balancé le compte par un coeur plein d'espoir et de dispositions joyeuses. Je n'aime pas les soucis et ne les ai jamais engendrés, quoique dans ma famille il y eût des gars qui ne faisaient qu'enfanter des soucis et qui sont morts sans rien payer pour ça, ô Dieu, oui! votre serviteur! Mais vois… les chiens sont sur la trace, car voilà Maraudeur qui rencontre en haut du plateau et Infortune qui goûte une voie derrière lui. Va-t-en, Câlin; je te rejoindrai dans un moment.

      —Mais vous, vous ne m'avez pas dit ce que vous voyiez?

      —Quatre Peaux-rouges, avec un captif, un blanc, un franc-trappeur, je parierais. Il était presque aussi sale qu'un Indien, oui bien, je le jure! Mais le feu l'aura bientôt purifié, répliqua soucieusement Nicolas. Allons, allons, retourne avec les chiens, et je serai à toi dès que j'aurai donné un coup d'oeil à mes attrappes[10].

      [Note 10: Du vieux mot français, conservé par les Canadiens et dont nous avons fait trappe.]

      —Vos attrappes! fit Sébastien d'un accent incrédule; vos attrappes! vous allez donner un coup d'oeil à vos attrappes, père Nicolas! Non, non; vous allez suivre ce parti d'Indiens. Je le lis dans vos yeux; vous aurez pitié du prisonnier. Mais si vous étiez tué, si vous étiez tué, père Nicolas! ce serait un bien mauvais jour pour Sébastien Delaunay. Songez quelle terrible chose pour lui d'être laissé seul dans ces incommensurables solitudes!

      —Tu oublies les chiens, mon cher enfant, dit Nicolas, avec un sourire bienveillant. Heureusement pour l'affection qu'ils te portent, ils ne t'ont pas entendu faire cette remarque. Maraudeur en eût mangé sa queue de dépit, et Infortune ne se fût jamais pardonné d'être née chienne. Éloigne-toi, je te prie. Tu ne voudrais pas me faire de la peine, n'est-ce point?

      —Vous êtes brave, Nicolas, et vous ne pouvez voir une créature dans l'embarras, je le sais. Mais je crains que vous ne vous exposiez, que vous ne risquiez votre vie pour ce captif. Ne secouez pas la tête. J'en suis aussi sûr que si je vous voyais à l'oeuvre. J'irai avec vous.

      —Pour quoi faire, bonté divine! gêner mes mouvements, me retarder; te mettre dans une méchante difficulté. Merci, garçon. Mais j'ai dit non et c'est non. Celui qui sent une piste doit aller vite; comme l'ombre il doit passer d'un point à un autre et aussi mollement que l'ombre.

      —Je vous obéirai, dit tristement Sébastien. Mais promettez moi de faire bien attention et de ne pas me priver de mon unique protecteur.

      —Je le promets. La témérité et l'imprudence seraient nuisibles. Je ne courrai aucun risque… si je puis. Je serai subtil comme le serpent, dangereux autant que possible. Appelle les chiens; qu'ils ne viennent pas avec moi!

      Le jeune garçon partit avec répugnance et remonta lentement vers le plateau, tandis que Nicolas descendait rapidement à la vallée.

      Le soleil éteignait ses feux à l'horizon et les brumes du crépuscule se traînaient déjà dans les gorges de la montagne. Le trappeur atteignit une piste fraîche. Il s'y arrêta un moment, inspecta sa carabine et son équipement, serra sa ceinture et reprit sa marche comme un homme qui a pris un grand parti. Ses allures fermes et sûres prouvaient que la contrée lui était familière.

      —Je sais à peu près où ils iront, se disait-il; étant à cheval, ils seront obligés de longer les sinuosités de la vallée. Mais je trouverai un chemin plus court.

      Cessant alors de suivre les ondulations du terrain, il coupa droit à travers l'éperon de la montagne. Pendant deux heures, il parcourut un pays, tantôt montueux, tantôt marécageux et inaccessible aux pieds inexpérimentés; au bout de ce temps, il était au terme de son excursion.

      C'était un vallon entre deux montagnes et arrosé par un petit tributaire de la branche orientale de la Saskatchaouane. Sur la rive sud s'étendait une passe étroite à demi masquée par des rochers et des buissons. Cette passe menait aux prairies de la Saskatchaouane et aux territoires de chasses des Pieds-noirs.

      Deux cavaliers ne pouvaient marcher de front dans ce sentier.

      D'après les calculs du trappeur Nicolas, les Indiens et le prisonnier devaient passer là pour se rendre à leur village. Il résolut de se poster près de l'eau, et de les attendre, car il espérait qu'en arrivant, ils abreuveraient leurs chevaux et peut-être feraient une halte avant de se remettre en route.

      Une grosse roche couverte de mousse et entourée de halliers épais de mesquites se dressait sur la rive. Nicolas se blottit derrière.

      La nuit devenait plus noire. Les chaînes de montagnes s'abîmaient dans ses plis épais.

      Le val ressemblait à un temple désert dont les passes et les défilés étaient les ailes mystérieuses; les rochers abrupts, les murs rongés par le temps, et le ciel sans étoiles, le dôme immense.

      La prévision du chasseur se réalisa.

      Un piétinement de chevaux, assourdi, lointain d'abord, clair et plus rapproché ensuite, se fit bientôt entendre.

      Les scènes et les incidents de la vie du désert n'affectent pas les nerfs d'un trappeur aguerri, comme ceux de l'homme sortant des établissements civilisés. Aussi, Nicolas reçut-il avec son calme habituel ces signes de l'arrivée des sauvages.

      Dans certaines circonstances sang-froid vaut bravoure. Il permet de saisir tous les avantages et d'en profiter.

      Pénétrant dans le vallon, les sauvages marchèrent à la rivière qu'ils traversèrent immédiatement. Ce mouvement les conduisit tout près de la retraite que s'était choisie le trappeur. Ils échangèrent ensuite quelques mots dans leur idiome, mirent pied à terre, et firent boire