j'aime le plus au monde avec l'homme que je hais le plus. Car je le hais, animalement, et sans que j'en puisse donner d'autre motif, sinon qu'il a pris la première place dans ce cœur qui fut tout à moi. Allons, j'entendrai les heures sonner, une fois au clocher d'une église voisine, et une fois à l'horloge de notre collège,—un tintement grave, puis un tintement grêle. J'entendrai le vieux Sorbelle marcher le long du dortoir, tristement éclairé de quelques quinquets, puis rentrer dans la chambre qu'il occupe à une des extrémités. Que les deux rangées de nos petits lits sont lugubres à regarder, avec leurs boules de cuivre qui brillent dans l'ombre, et le ronflement des dormeurs odieux à entendre! D'intervalle à intervalle, un veilleur passe, un ancien soldat à la face large, à la grosse moustache noire. Il est engoncé dans un caban de drap brun et porte une lanterne sourde. Est-ce qu'il n'a pas peur la nuit, tout seul, le long des escaliers de pierre du lycée où le vent s'engouffre avec un bruit sinistre? Que je n'aimerais pas à en descendre les marches, dans ce frisson des ténèbres, de crainte d'y rencontrer un revenant! Je chasse cette nouvelle idée, mais vainement encore, et puis je songe... Où est celui qui a tué mon père? Est-ce d'épouvante, est-ce d'horreur que je frémis à cette question? Et je songe toujours... Sait-il que je suis ici? Et la panique m'affole, et je me demande si l'assassin ne serait pas capable de se déguiser en garçon de collège pour venir me frapper à mon tour? Je recommande mon âme à Dieu, et c'est sur ces affreuses pensées que je m'endors enfin, très tard, pour être réveillé en sursaut à cinq heures et demie du matin, la tête lassée, les nerfs tendus, ma pauvre âme malade, d'une maladie qui ne peut pas guérir.