Les grandes espérances. Charles Dickens. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Charles Dickens
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066086763
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pas? s'écria l'homme, en frappant sa joue gauche, sans miséricorde, avec le plat de la main.

      —Oui... là!

      —Où est-il?»

      En disant ces mots, il déposa dans la poche de sa jaquette grise le peu de nourriture qui restait.

      «Montre-moi le chemin qu'il a pris, je le tuerai comme un chien! Maudit fer, qui m'empêche de marcher! Passe-moi la lime, mon garçon.»

      Je lui indiquai la direction que l'autre avait prise, à travers le brouillard. Il regarda un instant, puis il s'assit sur le bord de l'herbe mouillée et commença à limer le fer de sa jambe, comme un fou, sans s'inquiéter de moi, ni de sa jambe, qui avait une ancienne blessure qui saignait et qu'il traitait aussi brutalement que si elle eût été aussi dépourvue de sensibilité qu'une lime. Je recommençais à avoir peur de lui, maintenant que je le voyais s'animer de cette façon; de plus j'étais effrayé de rester aussi longtemps dehors de la maison. Je lui dis donc qu'il me fallait partir; mais il n'y fit pas attention, et je pensai que ce que j'avais de mieux à faire était de m'éloigner. La dernière fois que je le vis, il avait toujours la tête penchée sur son genou, il limait toujours ses fers et murmurait de temps à autre quelque imprécation d'impatience contre ses fers ou contre sa jambe. La dernière fois que je l'entendis, je m'arrêtai dans le brouillard pour écouter et j'entendis le bruit de la lime qui allait toujours.

       Table des matières

      Je m'attendais, en rentrant, à trouver dans la cuisine un constable qui allait m'arrêter; mais, non-seulement il n'y avait là aucun constable, mais on n'avait encore rien découvert du vol que j'avais commis. Mrs Joe était tout occupée des préparatifs pour la solennité du jour, et Joe avait été posté sur le pas de la porte de la cuisine pour éviter de recevoir la poussière, chose que malheureusement sa destinée l'obligeait à recevoir tôt ou tard, toutes les fois qu'il prenait fantaisie à ma sœur de balayer les planchers de la maison.

      «Où diable as-tu été?»

      Tel fut le salut de Noël de Mrs Joe, quand moi et ma conscience nous nous présentâmes devant elle.

      Je lui dis que j'étais sorti pour entendre chanter les noëls.

      «Ah! bien, observa Mrs Joe, tu aurais pu faire plus mal.»

      Je pensais qu'il n'y avait aucun doute à cela.

      «Si je n'étais pas la femme d'un forgeron, et ce qui revient au même, une esclave qui ne quitte jamais son tablier, j'aurais été aussi entendre les noëls, dit Mrs Joe, je ne déteste pas les noëls, et c'est sans doute pour cette raison que je n'en entends jamais.

      Joe, qui s'était aventuré dans la cuisine après moi, pensant que la poussière était tombée, se frottait le nez avec un petit air de conciliation pendant que sa femme avait les yeux sur lui; dès qu'elle les eut détournés, il mit en croix ses deux index, ce qui signifiait que Mrs Joe était en colère[2]. Cet état était devenu tellement habituel, que Joe et moi nous passions des semaines entières à nous croiser les doigts, comme les anciens croisés croisaient leurs jambes sur leurs tombes.

      Nous devions avoir un dîner splendide, consistant en un gigot de porc mariné aux choux et une paire de volailles rôties et farcies. On avait fait la veille au matin un magnifique mince-pie, (ce qui expliquait qu'on n'eût pas encore découvert la disparition du hachis), et le pudding était en train de bouillir. Ces énormes préparatifs nous forcèrent, avec assez peu de cérémonie, à nous passer de déjeuner.

      «Je ne vais pas m'amuser à tout salir, après avoir tout nettoyé, tout lavé comme je l'ai fait, dit Mrs Joe, je vous le promets!»

      On nous servit donc nos tartines dehors, comme si, au lieu d'être deux à la maison, un homme et un enfant, nous eussions été deux mille hommes en marche forcée; et nous puisâmes notre part de lait et d'eau à même un pot sur la table de la cuisine, en ayant l'air de nous excuser humblement de la grande peine que nous lui donnions. Cependant Mrs Joe avait fait voir le jour à des rideaux tout blancs et accroché un volant à fleurs tout neuf au manteau de la cheminée, pour remplacer l'ancien; elle avait même découvert tous les ornements du petit parloir donnant sur l'allée, qui n'étaient jamais découverts dans un autre temps, et restaient tous les autres jours de l'année enveloppés dans une froide et brumeuse gaze d'argent, qui s'étendait même sur les quatre petits caniches en faïence blanche qui ornaient le manteau de la cheminée, avec leurs nez noirs et leurs paniers de fleurs à la gueule, en face les uns des autres et se faisant pendant. Mrs Joe était une femme d'une extrême propreté, mais elle s'arrangeait pour rendre sa propreté moins confortable et moins acceptable que la saleté même. La propreté est comme la religion, bien des gens la rendent insupportable en l'exagérant.

      Ma sœur avait tant à faire qu'elle n'allait jamais à l'église que par procuration, c'est à dire quand Joe et moi nous y allions. Dans ses habits de travail, Joe avait l'air d'un brave et digne forgeron; dans ses habits de fête, il avait plutôt l'air d'un épouvantail dans de bonnes conditions que de toute autre chose. Rien de ce qu'il portait ne lui allait, ni ne semblait lui appartenir. Toutes les pièces de son habillement étaient trop grandes pour lui, et lorsqu'à l'occasion de la présente fête il sortit de sa chambre, au son joyeux du carillon, il représentait la Misère revêtue des habits prétentieux du dimanche. Quant à moi, je crois que ma sœur avait eu quelque vague idée que j'étais un jeune pécheur, dont un policeman-accoucheur s'était emparé, et qu'il lui avait remis pour être traité selon la majesté outragée de la loi. Je fus donc toujours traité comme si j'eusse insisté pour venir au monde, malgré les règles de la raison, de la religion et de la morale, et malgré les remontrances de mes meilleurs amis. Toutes les fois que j'allais chez le tailleur pour prendre mesure de nouveaux habits, ce dernier avait ordre de me les faire comme ceux des maisons de correction et de ne me laisser sous aucun prétexte, le libre usage de mes membres.

      Joe et moi, en nous rendant à l'église, devions nécessairement former un tableau fort émouvant pour les âmes compatissantes. Cependant ce que je souffrais en allant à l'église, n'était rien auprès de ce que je souffrais en moi-même. Les terreurs qui m'assaillaient toutes les fois que Mrs Joe se rapprochait de l'office, ou sortait de la chambre, n'étaient égalées que par les remords que j'éprouvais de ce que mes mains avaient fait. Je me demandais, accablé sous le poids du terrible secret, si l'Église serait assez puissante pour me protéger contre la vengeance de ce terrible jeune homme, au cas où je me déciderais à tout divulguer. J'eus l'idée que je devais choisir le moment où, à la publication des bans, le vicaire dit: «Vous êtes priés de nous en donner connaissance,» pour me lever et demander un entretien particulier dans la sacristie. Si, au lieu d'être le saint jour de Noël, c'eût été un simple dimanche, je ne réponds pas que je n'eusse procuré une grande surprise à notre petite congrégation, en ayant recours à cette mesure extrême.

      M. Wopsle, le chantre, devait dîner avec nous, ainsi que M. Hubble; le charron, et Mrs Hubble; et aussi l'oncle Pumblechook (oncle de Joe, que Mrs Joe tâchait d'accaparer), fort grainetier de la ville voisine, qui conduisait lui-même sa voiture. Le dîner était annoncé pour une heure et demie. En rentrant, Joe et moi nous trouvâmes le couvert mis, Mrs Joe habillée, le dîner dressé et la porte de la rue (ce qui n'arrivait jamais dans d'autres temps), toute grande ouverte pour recevoir les invités. Tout était splendide. Et pas un mot sur le larcin.

      La compagnie arriva, et le temps, en s'écoulant, n'apportait aucune consolation à mes inquiétudes. M. Wopsle, avec un nez romain, un front chauve et luisant, possédait, en outre, une voix de basse dont il n'était pas fier à moitié. C'était un fait avéré parmi ses connaissances, que si l'on eût pu lui donner une autre tête, il eût été capable de devenir clergyman, et il confessait lui-même que si l'Église eût été «ouverte à tous,» il n'aurait pas manqué d'y faire figure;