Les grandes espérances. Charles Dickens. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Charles Dickens
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066086763
Скачать книгу
bien, monsieur,» répondis-je.

      Ma sœur me montra son poing crispé.

      «Assez bien? répéta Pumblechook; assez bien n'est pas une réponse. Dis-nous ce que tu entends par assez bien, mon garçon.»

      Peut-être le blanc de chaux endurcit-il le cerveau jusqu'à l'obstination: ce qu'il y a de certain, c'est qu'avec le blanc de chaux du mur qui était resté sur mon front, mon obstination s'était durcie à l'égal du diamant. Je réfléchis un instant, puis je répondis, comme frappé d'une nouvelle idée:

      «Je veux dire assez bien...»

      Ma sœur eut une exclamation d'impatience et allait s'élancer sur moi. Je n'avais aucun moyen de défense, car Joe était occupé dans la forge, quand M. Pumblechook intervint.

      «Non! calmez-vous... laissez-moi faire, ma nièce... laissez-moi faire.»

      Et M. Pumblechook se tourna vers moi, comme s'il eût voulu me couper les cheveux, et dit:

      «D'abord, pour mettre de l'ordre dans nos idées, combien font quarante-trois pence?»

      Je calculai les conséquences qui pourraient résulter, si je répondais: «Quatre cents livres,» et les trouvant contre moi, j'en retranchai quelque chose comme huit pence. M. Pumblechook me fit alors suivre après lui la table de multiplication des pence et dit:

      «Douze pence font un shilling, donc quarante pence font trois shillings et quatre pence.»

      Puis il me demanda triomphalement:

      «Eh bien! maintenant, combien font quarante-trois pence?»

      Ce à quoi je répondis après une mûre réflexion:

      «Je ne sais pas.»

      M. Pumblechook me secoua alors la tête comme un marteau pour m'enfoncer de force le nombre dans la cervelle et dit:

      «Quarante-trois pence font-ils sept shillings, six pence trois liards, par hasard?

      —Oui, dis-je.

      —Mon garçon, recommença M. Pumblechook en revenant à lui et se croisant les bras sur la poitrine, comment est miss Havisham?

      —Elle est grande et noire, dis-je.

      —Est-ce vrai, mon oncle?» demanda ma sœur.

      M. Pumblechook fit un signe d'assentiment, duquel je conclus qu'il n'avait jamais vu miss Havisham, car elle n'était ni grande ni noire.

      «Bien! fit M. Pumblechook, c'est le moyen de le prendre; nous allons savoir ce que nous désirons.

      —Je voudrais bien, mon oncle, dit ma sœur, que vous le preniez avec vous; vous savez si bien en faire ce que vous voulez.

      —Maintenant, mon garçon, que faisait-elle, quand tu es entré?

      —Elle était assise dans une voiture de velours noir,» répondis-je.

      M. Pumblechook et ma sœur se regardèrent tout étonnés, comme ils en avaient le droit, et répétant tous deux:

      «Dans une voiture de velours noir?

      —Oui, répondis-je. Et miss Estelle, sa nièce, je pense, lui tendait des gâteaux et du vin par la portière, sur un plateau d'or, et nous eûmes tous du vin et des gâteaux sur des plats d'or, et je suis monté sur le siège de derrière pour manger ma part, parce qu'elle me l'avait dit.

      —Y avait-il là d'autres personnes? demanda mon oncle.

      —Quatre chiens, dis-je.

      —Gros ou petits?

      —Énormes! m'écriai-je; et ils se sont battus pour avoir quatre côtelettes de veau, renfermées dans un panier d'argent.

      Mrs Joe et M. Pumblechook se regardèrent de nouveau avec étonnement. J'étais tout à fait monté, complètement indifférent à la torture, et je comptais leur en dire bien d'autres.

      Où était cette voiture, au nom du ciel? demanda ma sœur.

      —Dans la chambre de miss Havisham.»

      Ils se regardèrent encore.

      «Mais il n'y avait pas de chevaux, ajoutai-je, en repoussant avec force l'idée des quatre coursiers richement caparaçonnés, que j'avais eu d'abord la singulière pensée d'y atteler.

      —Est-ce possible, mon oncle? demanda Mrs Joe; que veut dire cet enfant?

      —Je vais vous l'expliquer, ma nièce, dit M. Pumblechook. Mon avis est que ce doit être une chaise à porteurs; elle est bizarre, vous le savez, très bizarre et si extraordinaire, qu'il n'y aurait rien d'étonnant qu'elle passât ses jours dans une chaise à porteurs.

      —L'avez-vous jamais vue dans cette chaise? demanda Mrs Joe.

      —Comment l'aurais-je pu? reprit-il, forcé par cette question, quand jamais de ma vie je ne l'ai vue, même de loin.

      —Bonté divine! mon oncle, et pourtant vous lui avez parlé?

      —Vous savez bien, continua l'oncle, que lorsque j'y suis allé, la porte était entr'ouverte; je me tenais d'un côté, elle de l'autre, et nous nous causions de cette manière. Ne dites pas, ma nièce, que vous ne saviez pas cela. Quoi qu'il en soit, ce garçon est allé chez elle pour jouer. À quoi as-tu joué, mon garçon?

      —Nous avons joué avec des drapeaux,» dis-je.

      Je dois avouer que je suis très étonné aujourd'hui, quand je me rappelle les mensonges que je fis en cette occasion.

      «Des drapeaux? répéta ma sœur.

      —Oui, dis-je; Estelle agitait un drapeau bleu et moi un rouge, et miss Havisham en agitait un tout parsemé d'étoiles d'or; elle l'agitait par la portière de sa voiture, et puis nous brandissions nos sabres en criant: Hourra! hourra!

      —Des sabres?... répéta ma sœur; où les aviez-vous pris?

      —Dans une armoire, dis-je, où il y avait des pistolets et des confitures et des pilules. Le jour ne pénétrait pas dans la chambre, mais elle était éclairée par des chandelles.

      —Cela est vrai, ma nièce, dit M. Pumblechook avec un signe de tête plein de gravité, je puis vous garantir cet état de choses, car j'en ai moi-même été témoin.»

      Tous deux me regardèrent, et moi-même, prenant un petit air candide, je les regardai aussi, en plissant avec ma main droite la jambe droite de mon pantalon.

      S'ils m'eussent adressé d'autres questions, je me serais indubitablement trahi, car j'étais sur le point de déclarer qu'il y avait un ballon dans la cour, et j'aurais même hasardé cette absurde déclaration, si mon esprit n'eût pas balancé entre ce phénomène et un ours enfermé dans la brasserie. Cependant, ils étaient tellement absorbés par les merveilles que j'avais déjà présentées à leur admiration, que j'échappai à cette dangereuse alternative. Ce sujet les occupait encore, quand Joe revint de son travail et demanda une tasse de thé. Ma sœur lui raconta ce qui m'était arrivé, plutôt pour soulager son esprit émerveillé que pour satisfaire la curiosité de mon bon ami Joe.

      Quand je vis Joe ouvrir ses grands yeux bleus et les promener autour de lui, en signe d'étonnement, je fus pris de remords; mais seulement en ce qui le concernait lui, sans m'inquiéter en aucune manière des deux autres. Envers Joe, mais envers Joe seulement, je me considérais comme un jeune monstre, pendant qu'ils débattaient les avantages qui pourraient résulter de la connaissance et de la faveur de miss Havisham. Ils étaient certains que miss Havisham ferait quelque chose pour moi, mais ils se demandaient sous quelle forme. Ma sœur entrevoyait le don de quelque propriété rurale. M. Pumblechook s'attendait à une récompense magnifique, qui m'aiderait à apprendre quelque joli commerce, celui de grainetier, par exemple. Joe tomba dans la plus profonde disgrâce pour avoir osé suggérer que j'étais, aux yeux de miss Havisham, l'égal des chiens