Les aventures complètes d'Arsène Lupin. Морис Леблан. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Морис Леблан
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066387921
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Destange.

      Arsène Lupin sortit presque aussitôt, et par les rues de Constantinople et de Londres, se dirigea vers le centre de Paris. À cent pas derrière lui marchait Herlock.

      Minutes délicieuses pour l’Anglais ! Il reniflait avidement l’air, comme un bon chien qui sent la piste toute fraîche. Vraiment, cela lui semblait une chose infiniment douce que de suivre son adversaire. Ce n’était plus lui qui était surveillé, mais Arsène Lupin, l’invisible Arsène Lupin. Il le tenait pour ainsi dire au bout de son regard, comme attaché par des liens impossibles à briser. Et il se délectait à considérer, parmi les promeneurs, cette proie qui lui appartenait.

      Mais un phénomène bizarre ne tarda pas à le frapper au milieu de l’intervalle qui le séparait d’Arsène Lupin, d’autres gens s’avançaient dans la même direction, notamment deux grands gaillards en chapeau rond sur le trottoir de gauche, deux autres sur le trottoir de droite en casquette et la cigarette aux lèvres.

      Il n’y avait là peut-être qu’un hasard. Mais Sholmès s’étonna davantage quand Lupin, ayant pénétré dans un bureau de tabac, les quatre hommes s’arrêtèrent – et davantage encore – quand ils repartirent en même temps que lui, mais isolément, chacun suivant de son côté la Chaussée d’Antin.

      « Malédiction, pensa Sholmès, il est donc filé ! »

      L’idée que d’autres étaient sur la trace d’Arsène Lupin, que d’autres lui raviraient, non pas la gloire – il s’en inquiétait peu – mais le plaisir immense, l’ardente volupté de réduire, à lui seul, le plus redoutable ennemi qu’il eût jamais rencontré, cette idée l’exaspérait. Cependant l’erreur n’était pas possible, les hommes avaient cet air détaché, cet air trop naturel de ceux qui, tout en réglant leur allure sur l’allure d’une autre personne, ne veulent pas être remarqués.

      « Ganimard en saurait-il plus long qu’il ne le dit ? murmura Sholmès… se joue-t-il de moi ? »

      Il eut envie d’accoster l’un des quatre individus, afin de se concerter avec lui. Mais aux approches du boulevard, la foule devenant plus dense, il craignit de perdre Lupin et pressa le pas. Il déboucha au moment où Lupin gravissait le perron du restaurant hongrois, à l’angle de la rue Helder. La porte en était ouverte de telle façon que Sholmès, assis sur un banc du boulevard, de l’autre côté de la rue, le vit qui prenait place à une table luxueusement servie, ornée de fleurs, et où se trouvaient déjà trois messieurs en habit et deux dames d’une grande élégance, qui l’accueillirent avec des démonstrations de sympathie.

      Herlock chercha des yeux les quatre individus et les aperçut, disséminés dans des groupes qui écoutaient l’orchestre de tziganes d’un café voisin. Chose curieuse, ils ne paraissaient pas s’occuper d’Arsène Lupin, mais beaucoup plus des gens qui les entouraient.

      Tout à coup, l’un d’eux tira de sa poche une cigarette et aborda un Monsieur en redingote et en chapeau haut de forme. Le Monsieur présenta son cigare, et Sholmès eut l’impression qu’ils causaient, et plus longtemps même que ne l’eût exigé le fait d’allumer une cigarette. Enfin, le Monsieur monta les marches du perron et jeta un coup d’œil dans la salle du restaurant. Avisant Lupin, il s’avança, s’entretint quelques instants avec lui, puis il choisit une table voisine, et Sholmès constata que ce Monsieur n’était autre que le cavalier de l’avenue Henri-Martin.

      Alors il comprit. Non seulement Arsène Lupin n’était pas filé, mais ces hommes faisaient partie de sa bande ! Ces hommes veillaient à sa sûreté !

      C’était sa garde du corps, ses satellites, son escorte attentive. Partout où le maître courait un danger, les complices étaient là, prêts à l’avertir, prêts à le défendre. Complices les quatre individus ! Complice le Monsieur en redingote !

      Un frisson parcourut l’Anglais. Se pouvait-il que jamais il réussît à s’emparer de cet être inaccessible ? Quelle puissance illimitée représentait une pareille association, dirigée par un tel chef !

      Il déchira une feuille de son carnet, écrivit au crayon quelques lignes qu’il inséra dans une enveloppe, et dit à un gamin d’une quinzaine d’années qui s’était couché sur le banc :

      – Tiens, mon garçon, prends une voiture et porte cette lettre à la caissière de la taverne suisse, place du Châtelet. Et rapidement…

      Il lui remit une pièce de cinq francs. Le gamin disparut.

      Une demi-heure s’écoula. La foule avait grossi, et Sholmès ne distinguait plus que de temps en temps les acolytes de Lupin. Mais quelqu’un le frôla, et une voix lui dit à l’oreille :

      – Eh bien ! Qu’y a-t-il, Monsieur Sholmès ?

      – C’est vous, Monsieur Ganimard ?

      – Oui, j’ai reçu votre mot à la taverne. Qu’y a-t-il ?

      – Il est là.

      – Que dites-vous ?

      – Là-bas… au fond du restaurant… penchez-vous à droite… vous le voyez ?

      – Non.

      – Il verse du champagne à sa voisine.

      – Mais ce n’est pas lui.

      – C’est lui.

      – Moi, je vous réponds… ah cependant… en effet il se pourrait… ah ! le gredin, comme il se ressemble ! murmura Ganimard naïvement… et les autres, des complices ?

      – Non, sa voisine c’est lady Cliveden, l’autre, c’est la duchesse de Cleath, et, vis-à-vis, l’ambassadeur d’Espagne à Londres.

      Ganimard fit un pas. Herlock le retint.

      – Quelle imprudence ! Vous êtes seul.

      – Lui aussi.

      – Non, il a des hommes sur le boulevard qui montent la garde… sans compter, à l’intérieur de ce restaurant, ce Monsieur…

      – Mais moi, quand j’aurai mis la main au collet d’Arsène Lupin en criant son nom, j’aurai toute la salle pour moi, tous les garçons.

      – J’aimerais mieux quelques agents.

      – C’est pour le coup que les amis d’Arsène Lupin ouvriraient l’œil… non, voyez-vous, Monsieur Sholmès, nous n’avons pas le choix.

      Il avait raison, Sholmès le sentit. Mieux valait tenter l’aventure et profiter de circonstances exceptionnelles. Il recommanda seulement à Ganimard :

      – Tâchez qu’on vous reconnaisse le plus tard possible…

      Et lui-même se glissa derrière un kiosque de journaux, sans perdre de vue Arsène Lupin qui, là-bas, penché sur sa voisine, souriait.

      L’inspecteur traversa la rue, les mains dans ses poches, en homme qui va droit devant lui. Mais, à peine sur le trottoir opposé, il bifurqua vivement et d’un bond escalada le perron.

      Un coup de sifflet strident… Ganimard se heurta contre le maître d’hôtel, planté soudain en travers de la porte et qui le repoussa avec indignation, comme il aurait fait d’un intrus dont la mise équivoque eût déshonoré le luxe du restaurant. Ganimard chancela. Au même instant, le Monsieur en redingote sortait. Il prit parti pour l’inspecteur, et tous deux, le maître d’hôtel et lui, disputaient violemment, tous deux d’ailleurs accrochés à Ganimard, l’un le retenant, l’autre le poussant, et de telle manière que, malgré tous ses efforts, malgré ses protestations furieuses, le malheureux fut expulsé jusqu’au bas du perron.

      Un rassemblement se produisit aussitôt. Deux agents de police, attirés par le bruit, essayèrent de fendre la foule, mais une résistance incompréhensible les immobilisa, sans qu’ils parvinssent à se dégager des épaules qui les pressaient, des dos qui leur barraient la route…

      Et tout à coup, comme