– Elle est fermée.
– On l’ouvrira.
– Qui ?
– Veuillez appeler ces deux policemen qui déambulent sur l’avenue.
– Mais…
– Mais quoi ?
– C’est fort humiliant… que dira-t-on quand on saura que vous, Herlock Sholmès, et moi Wilson, nous avons été prisonniers d’Arsène Lupin ?
– Que voulezvous, mon cher, on rira à se tenir les côtes, répondit Herlock, la voix sèche, le visage contracté. Mais nous ne pouvons pourtant pas élire domicile dans cette maison.
– Et vous ne tentez rien ?
– Rien.
– Cependant l’homme qui nous a apporté le panier de provisions n’a traversé le jardin ni à son arrivée, ni à son départ. Il existe donc une autre issue. Cherchons-la et nous n’aurons pas besoin de recourir aux agents.
– Puissamment raisonné. Seulement vous oubliez que, cette issue, toute la police de Paris l’a cherchée depuis six mois et que, moi-même, tandis que vous dormiez, j’ai visité l’hôtel du haut en bas. Ah ! mon bon Wilson, Arsène Lupin est un gibier dont nous n’avons pas l’habitude. Il ne laisse rien derrière lui, celui-là…
À onze heures, Herlock Sholmès et Wilson furent délivrés… et conduits au poste de police le plus proche, où le commissaire, après les avoir sévèrement interrogés, les relâcha avec une affectation d’égards tout à fait exaspérante.
– Je suis désolé, Messieurs, de ce qui vous arrive. Vous allez avoir une triste opinion de l’hospitalité française. Mon Dieu, quelle nuit vous avez dû passer ! Ah ! Ce Lupin manque vraiment d’égards.
Une voiture les mena jusqu’à l’Élysée-Palace. Au bureau, Wilson demanda la clef de sa chambre.
Après quelques recherches, l’employé répondit, très étonné :
– Mais, Monsieur, vous avez donné congé de cette chambre.
– Moi ! Et comment ?
– Par votre lettre de ce matin, que votre ami nous a remise.
– Quel ami ?
– Le Monsieur qui nous a remis votre lettre… tenez, votre carte de visite y est encore jointe. Les voici.
Wilson les prit. C’était bien une de ses cartes de visite, et, sur la lettre, c’était bien son écriture.
– Seigneur Dieu, murmura-t-il, voilà encore un vilain tour.
Et il ajouta anxieusement :
– Et les bagages ?
– Mais votre ami les a emportés.
– Ah ! … et vous les avez donnés ?
– Certes, puisque votre carte nous y autorisait.
– En effet… en effet…
Ils s’en allèrent tous deux à l’aventure, par les Champs-Élysées, silencieux et lents. Un joli soleil d’automne éclairait l’avenue. L’air était doux et léger.
Au rond-point, Herlock alluma sa pipe et se remit en marche. Wilson s’écria :
– Je ne vous comprends pas, Sholmès, vous êtes d’un calme. On se moque de vous, on joue avec vous comme un chat joue avec une souris… et vous ne soufflez pas mot !
Sholmès s’arrêta et lui dit :
– Wilson, je pense à votre carte de visite.
– Eh bien ?
– Eh bien, voilà un homme qui, en prévision d’une lutte possible avec nous, s’est procuré des spécimens de votre écriture et de la mienne, et qui possède, toute prête dans son portefeuille, une de vos cartes. Songez-vous à ce que cela représente de précaution, de volonté perspicace, de méthode et d’organisation ?
– C’est-à-dire ?…
– C’est-à-dire, Wilson, que pour combattre un ennemi si formidablement armé, si merveilleusement préparé – et pour le vaincre – il faut être… il faut être moi. Et encore, comme vous le voyez, Wilson, ajouta t-il en riant, on ne réussit pas du premier coup.
À six heures l’Écho de France, dans son édition du soir, publiait cet entrefilet :
« Ce matin, M. Thénard, commissaire de police du 16e arrondissement, a libéré MM. Herlock Sholmès et Wilson, enfermés par les soins d’Arsène Lupin dans l’hôtel du défunt Baron d’Hautrec, où ils avaient passé une excellente nuit. »
« Allégés en outre de leurs valises, ils ont déposé une plainte contre Arsène Lupin. »
« Arsène Lupin qui, pour cette fois, s’est contenté de leur infliger une petite leçon, les supplie de ne pas le contraindre à des mesures plus graves. »
– Bah ! fit Herlock Sholmès, en froissant le journal, des gamineries ! C’est le seul reproche que j’adresse à Lupin… un peu trop d’enfantillages… la galerie compte trop pour lui… il y a du gavroche dans cet homme !
– Ainsi donc, Herlock, toujours le même calme ?
– Toujours le même calme répliqua Sholmès avec un accent où grondait la plus effroyable colère. À quoi bon m’irriter ? JE SUIS TELLEMENT SÛR D’AVOIR LE DERNIER MOT !
4
Quelques lueurs dans les ténèbres
Si bien trempé que soit le caractère d’un homme – et Sholmès est de ces êtres sur qui la mauvaise fortune n’a guère de prises – il y a cependant des circonstances où le plus intrépide éprouve le besoin de rassembler ses forces avant d’affronter de nouveau les chances d’une bataille.
– Je me donne vacances aujourd’hui, dit-il.
– Et moi ?
– Vous, Wilson, vous achèterez des vêtements et du linge pour remonter notre garde-robe. Pendant ce temps je me repose.
– Reposez-vous, Sholmès. Je veille.
Wilson prononça ces deux mots avec toute l’importance d’une sentinelle placée aux avant-postes et par conséquent exposée aux pires dangers. Son torse se bomba. Ses muscles se tendirent. D’un œil aigu, il scruta l’espace de la petite chambre d’hôtel où ils avaient élu domicile.
– Veillez, Wilson. J’en profiterai pour préparer un plan de campagne mieux approprié à l’adversaire que nous avons à combattre. Voyez-vous, Wilson, nous nous sommes trompés sur Lupin. Il faut reprendre les choses à leur début.
– Avant même si possible. Mais avons-nous le temps ?
– Neuf jours, vieux camarade ! C’est cinq de trop.
Tout l’après-midi, l’Anglais le passa à fumer et à dormir. Ce n’est que le lendemain qu’il commença ses opérations.
– Wilson, je suis prêt, maintenant nous allons marcher.
– Marchons, s’écria Wilson, plein d’une ardeur martiale. J’avoue que pour ma part j’ai des fourmis dans les jambes.
Sholmès eut trois longues entrevues – avec Maître Detinan d’abord, dont il étudia l’appartement dans ses moindres détails ; avec Suzanne Gerbois à laquelle il avait télégraphié de venir et qu’il interrogea sur la Dame blonde ; avec la sœur Auguste enfin, retirée au couvent