Une femme d'argent. Hector Malot. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Hector Malot
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066088194
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à la fenêtre.

      —Voyons donc s'il est changé.

      —Et pourquoi voulez-vous qu'il soit changé?

      —Dame, un mois de Céline Faravel!

      —Eh bien, après?

      —A son âge.

      —Il est plus jeune que vous qui avez trente ans; et puis ce n'est pas pour Céline Faravel qu'il a été à Londres, c'est pour ses chevaux.

      —Mettons que c'est pour ses chevaux et pour sa maîtresse.

      —Pour ses chevaux seulement, et il a joliment tiré profit de son voyage, il a vendu une part de son écurie de course à Naïma-Effendi pour cinq cent mille francs et il en garde la direction; si le Turc gagne quelque chose, je connais quelqu'un qui sera bien étonné.

      —Pas maladroit, le patron, quand il veut s'en donner la peine.

      —Le malheur est qu'il ne se donne de la peine que pour ce qui n'en vaut pas la peine; ah! s'il voulait employer son habileté au profit de la maison!

      —Enfin, le trouvez-vous changé?

      —Pas du tout; aussi vert, aussi fringant, aussi vainqueur que toujours, il ne changera jamais.

      Pendant ce temps, il avait monté l'escalier et, arrivé dans son cabinet, il avait tiré un cordon de sonnette, puis, quand il avait été installé dans un fauteuil en face de la fenêtre ouverte, il avait jeté sa jambe droite par dessus sa jambe gauche, et au domestique qui s'était empressé d'accourir, il avait adressé sa phrase habituelle:

      —Prévenez M. Fourcy que je suis arrivé.

      Pourcy s'était présenté presque aussitôt, suivi de son secrétaire chargé de papiers et M. Charlemont lui avait dit, comme d'ordinaire, sans se lever et en lui tendant la main:

      —Bonjour, Jacques, comment vas-tu?

      —C'est à vous, monsieur, qu'il faut adresser cette demande.

      —Bien, très bien, comme tu vois; quoi de nouveau?

      —Mes lettres, dit Fourcy, en s'asseyant au bureau, ont dû vous tenir au courant.

      —Elles ont dû, cela est vrai, seulement je t'avoue que je n'ai pas eu le temps de les lire toutes; j'ai été entraîné dans un tourbillon; c'était la fin de la saison, à peine ai-je trouvé le temps de faire ma toilette; sais-tu qu'à Londres, dans ce pays de la suie, il faut, pour être à peu près propre, changer de chemise trois ou quatre fois par jour; alors, tu comprends, n'est-ce pas?

      Fourcy comprit d'autant mieux qu'il était habitué à ces façons de son chef, l'homme de Paris assurément qui avait la plus vive répugnance pour la lecture manuscrite aussi bien qu'imprimée, et, tout de suite, sans perdre son temps en plaintes ou en remontrances vaines, il se mit à exposer, pièces en mains, ce qu'il avait déjà raconté par ses lettres, c'est-à-dire ce qui s'était passé pendant l'absence de M. Charlemont.

      Tout d'abord celui-ci écouta assez attentivement, décidant d'un mot les cas qui étaient soumis à son appréciation et qui exigeaient une solution; mais bientôt il donna des signes manifestes de fatigue et d'ennui; il s'agita sur son fauteuil, se pencha en avant, se rejeta en arrière, alluma un cigare, le lança dans le jardin après quelques bouffées; enfin, n'y tenant plus, il interrompit Fourcy:

      —Assez d'affaires pour aujourd'hui, dit-il, autre chose si tu veux bien.

      —Mais…

      —Autre chose que tu me pardonneras en ta qualité de père de famille, de bon père: donne-moi des nouvelles de Robert; rentré de cette nuit, je l'ai fait appeler ce matin, mais monsieur mon fils n'a pas couché chez lui; comment va-t-il?

      —Très bien et les nouvelles que je vous donne sont toutes fraîches, de ce matin même, car il a couché chez moi à Nogent; rassurez-vous donc.

      —Ce n'était pas de savoir où mon fils avait couché que j'étais préoccupé, mon brave Jacques, je ne suis pas un père bien sévère, d'ailleurs Robert a dix-neuf ans, et il est assez grand garçon pour coucher où bon lui semble; ces exigences sont bonnes pour un père tel que toi et non pour un père tel que moi, car si j'adressais cette question à mon fils: «Où as-tu couché?» il pourrait très bien me répondre: «Et toi?» ce qui serait quelquefois gênant.

      —Il ne se permettrait pas une pareille question.

      —Heu, heu; enfin je voulais tout simplement savoir comment il allait, car pendant cette absence, il ne m'a pas accablé de ses lettres…. Il est vrai que de mon côté je ne l'ai pas non plus accablé des miennes; pour tout dire, il me semble qu'il ne m'a pas écrit.

      —Dites que vous n'avez pas reçu ses lettres.

      —C'est possible; enfin, tu l'as vu pendant cette absence?

      —Très souvent, surtout en ces derniers temps, car je vous avoue que j'ai cherché à l'attirer à Nogent, et, grâce à sa camaraderie avec Lucien, j'ai réussi; depuis huit jours, il est à la maison et, comme j'ai donné un congé de quinze jours à Lucien, ils restent tous les deux à se promener aux environs, à pêcher, à faire du canotage.

      —Je suis enchanté de cela, Robert a tout à gagner avec Lucien, car ton fils est un brave garçon, il est digne de toi.

      La figure de Fourcy s'épanouit, non pour le compliment qui lui était adressé, mais pour celui qui était fait à son fils, dont il était fier; mais ce sourire de bonheur et d'orgueil paternel ne fut qu'un éclair, son front se contracta et son regard s'obscurcit; évidemment il était sous le coup d'une préoccupation pénible.

      —Je dois vous expliquer, dit-il, pourquoi j'ai tenu si vivement à attirer Robert dans mon intérieur et à l'y retenir.

      —N'est-ce pas tout naturel? ton fils et le mien ont fait leurs classes ensemble, ils sont camarades.

      —Cette raison ne m'eût pas déterminé si je n'en avais pas eu d'autres d'un ordre plus élevé, car, par sa position, son nom, sa fortune, Robert doit vivre dans un autre monde que le nôtre.

      —Quelles raisons? Tu m'inquiètes, parle.

      Mais, avant de parler, Fourcy chercha un dossier, et, l'ayant trouvé, il prit une feuille de papier dont un des côtés était occupé par une colonne de chiffres et il la présenta à M. Charlemont:

      —Voici le relevé des sommes qui ont été payées depuis trois mois pour le compte de Robert; vous voyez le total.

      —Bigre!

      —Ce n'est pas seulement le total qui est grave, c'est aussi le détail des sommes payées: Haupois-Daguillon, orfèvre, 5,400 francs; Damain, joaillier, 17,000 francs, et les autres, que vous pouvez voir en suivant; évidemment ce ne sont pas là des dépenses excusables ou tout au moins justifiables chez un jeune nomme de dix-neuf ans.

      —D'autant mieux qu'on ne lui connaît pas de maîtresse en titre.

      —J'ai dû croire cependant qu'il en avait une, car il n'est pas probable qu'il achète des bijoux pour lui-même, et il n'est pas probable non plus que ce soit pour ses dépenses personnelles qu'il ait eu recours aux usuriers et particulièrement à Carbans qui a ruiné tant de jeunes gens: Carbans a d'autant plus facilement prêté qu'il sait que dans deux ans Robert sera mis en possession de son héritage maternel.

      —Et que doit-il à Carbans?

      —Je n'en sais rien, mais le certain, c'est qu'il est entre les mains de ce coquin; ce sera à voir au moment de le tirer de là; pour le présent, en vous attendant, j'ai fait le possible pour l'arracher à la vie de Paris et l'attirer à Nogent.

      —Et tu dis qu'il est resté chez toi?

      —Depuis huit jours.

      —Sans venir à Paris?

      —Sans venir