Horace. George Sand. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: George Sand
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066088934
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avec lui, je lui proposai de rester avec moi jusqu'à l'heure du dîner, et ensuite de venir dîner rue de l'Ancienne-Comédie, chez Pinson, le plus honnête et le plus affable des restaurateurs du quartier latin.

      Je le traitai de mon mieux, et il est certain que la cuisine de M. Pinson est excellente, très-saine et à bon marché: son petit restaurant est le rendez-vous des jeunes aspirants à la gloire littéraire et des étudiants rangés. Depuis que son collègue et rival Dagnaux, officier de la garde nationale équestre, avait fait des prodiges de valeur dans les émeutes, toute une phalange d'étudiants, ses habitués, avait juré de ne plus franchir le seuil de ses domaines, et s'était rejetée sur les côtelettes plus larges et les biftecks plus épais du pacifique et bienveillant Pinson.

      Après dîner, nous allâmes à l'Odéon, voir madame Dorval et Lockroy, dans Antony. De ce jour, la connaissance fut faite, et l'amitié nouée complètement entre Horace et moi.

      «Ainsi, lui disais-je dans un entr'acte, vous trouvez l'étude de la médecine encore plus repoussante que celle du droit?

      —Mon cher, répondit-il, je vous avoue que je ne comprends rien à votre vocation. Se peut-il que vous puissiez plonger chaque jour vos mains, vos regards et votre esprit dans celle boue humaine, sans perdre tout sentiment de poésie et toute fraîcheur d'imagination?

      —Il y a quelque chose de pis que de disséquer les morts, lui dis-je, c'est d'opérer les vivants: là, il faut plus de courage et de résolution, je vous assure. L'aspect du plus hideux cadavre fait moins de mal que le premier cri de douleur arraché à un pauvre enfant qui ne comprend rien au mal que vous lui faites. C'est un métier de boucher, si ce n'est pas une mission d'apôtre.

      —On dit que le coeur se dessèche à ce métier-là, reprit Horace; ne craignez-vous pas de vous passionner pour la science au point d'oublier l'humanité, comme ont fait tous ces grands anatomistes que l'on vante, et dont je détourne les yeux comme si je rencontrais le bourreau?

      —J'espère, répondis-je, arriver juste au degré de sang-froid nécessaire pour être utile, sans perdre le sentiment de la pitié et de la sympathie humaine. Pour arriver au calme indispensable, j'ai encore du chemin à faire, et je ne crois pas, d'ailleurs, que le coeur s'endurcisse.

      —C'est possible, mais enfin, les sens s'énervent, l'imagination se détend, le sentiment du beau et du laid se perd; on ne voit plus de la vie qu'un certain côté matériel où tout l'idéal arrive à l'idée d'utilité. Avez-vous jamais connu un médecin poëte?

      —Je pourrais vous demander également si vous connaissez beaucoup de députés poëtes? Il ne me semble pas que la carrière politique, telle que je l'envisage de nos jours, soit propre à conserver la fraîcheur de l'imagination et le fragile coloris de la poésie.

      —Si la société était réformée, s'écria Horace, cette carrière pourrait être le plus beau développement pour la vigueur du cerveau et la sensibilité du coeur; mais il est certain que la route tracée aujourd'hui est desséchante. Quand je songe que pour être apte à juger des vérités sociales, où la philosophie devrait être l'unique lumière, il faut que je connaisse le Code et le Digeste; que je m'assimile Pothier, Ducaurroy et Rogron; que je travaille, en un mot, à m'abrutir, et que, afin de me mettre en contact avec les hommes de mon temps, je descende à leur niveau... oh! alors je songe sérieusement à me retirer de la politique.

      —Mais, dans ce cas, que feriez-vous de cet enthousiasme qui vous dévore, de cette grandeur d'âme qui déborde en vous? Et quel aliment donneriez-vous à cette volonté de fer dont vous me faisiez un reproche de douter, il y a peu de jours?»

      Il prit sa tête entre ses deux mains, appuya ses coudes sur la barre qui sépare le parterre de l'orchestre, et resta plongé dans ses réflexions jusqu'au lever de la toile; puis il écouta le troisième acte d'Antony avec une attention et une émotion très-grandes.

      «Et les passions! s'écria-t-il lorsque l'acte fut fini. Pour combien comptez-vous les passions dans la vie?

      —Parlez-vous de l'amour? lui répondis-je. La vie, telle que nous nous la sommes faite, admet en ce genre tout ou rien. Vouloir être à la fois amant comme Antony et citoyen comme vous, n'est pas possible. Il faut opter.

      —C'est bien justement là ce que je pensais en écoutant cet Antony si dédaigneux de la société, si outré contre elle, si révolté contre tout ce qui fait obstacle à son amour... Avez-vous jamais aimé, vous?

      —Peut-être. Qu'importe? Demandez à votre propre coeur ce que c'est que l'amour.

      —Dieu me damne si je m'en doute, s'écria-t-il en haussant les épaules. Est-ce que j'ai jamais eu le temps d'aimer, moi? Est-ce que je sais ce que c'est qu'une femme? Je suis pur, mon cher, pur comme une oie, ajouta-t-il en éclatant de rire avec beaucoup de bonhomie; et dussiez-vous me mépriser, je vous dirai que, jusqu'à présent, les femmes m'ont fait plus de peur que d'envie. J'ai pourtant beaucoup de barbe au menton et beaucoup d'imagination à satisfaire. Eh bien! c'est là surtout ce qui m'a préservé des égarements grossiers où j'ai vu tomber mes camarades. Je n'ai pas encore rencontré la vierge idéale pour laquelle mon coeur doit se donner la peine de battre. Ces malheureuses grisettes que l'on ramasse à la Chaumière et autres bergeries immondes, me font tant de pitié, que pour tous les plaisirs de l'enfer, je ne voudrais pas avoir à me reprocher la chute d'un de ces anges déplumés. Et puis, cela a de grosses mains, des nez retroussés; cela fait des pa-ta-qu'est-ce, et vous reproche son malheur dans des lettres à mourir de rire. Il n'y a pas même moyen d'avoir avec cela un remords sérieux. Moi, si je me livre à l'amour, je veux qu'il me blesse profondément, qu'il m'électrise, qu'il me navre, ou qu'il m'exalte au troisième ciel et m'enivre de voluptés. Point de milieu: l'un ou l'autre, l'un et l'autre si l'on veut; mais pas de drame d'arrière-boutique, pas de triomphe d'estaminet! Je veux bien souffrir, je veux bien devenir fou, je veux bien m'empoisonner avec ma maîtresse ou me poignarder sur son cadavre; mais je ne veux pas être ridicule, et surtout je ne, veux pas m'ennuyer un milieu de ma tragédie et la finir par un trait de vaudeville. Mes compagnons raillent beaucoup mon innocence; ils font les don Juan sous mes yeux pour me tenter ou m'éblouir, et je vous assure qu'ils le font à bon marché. Je leur souhaite bien du plaisir; mais j'en désire un autre pour mon compte. A quoi songez-vous? ajouta-t-il en me voyant détourner la tête pour lui cacher une forte envie de rire.

      —Je songe, lui dis-je, que j'ai demain à déjeuner chez moi une grisette fort aimable, à laquelle je veux vous présenter.

      —Oh! que Dieu me préserve de ces parties-là! s'écria-t-il. J'ai cinq ou six de mes amis que je suis condamné à ne plus entrevoir qu'à travers le fantôme léger de leurs ménagères à la quinzaine. Je sais par coeur le vocabulaire de ces femelles. Fi, vous me scandalisez, vous que je croyais plus grave que tous ces absurdes compagnon! Je les fuis depuis huit jours pour m'attacher à vous, qui me semblez un homme sérieux, et qui, à coup sûr, avez des moeurs élégantes pour un étudiant; et voilà que vous avez une femme, vous aussi! Mon Dieu, où irai-je me cacher pour ne plus rencontrer de ces femmes-là?

      —Il faudra pourtant vous risquer à voir la mienne. Je vous dis que j'y tiens, et que j'irai vous chercher si vous ne venez pas déjeuner demain avec elle chez moi.

      —Si vous êtes dégoûté d'elle, je vous avertis que je ne suis pas l'homme qui vous en débarrasserai.

      —Mon cher Horace, je vais vous rassurer en vous déclarant que si vous étiez tenté de la débarrasser de moi, il faudrait commencer par me couper la gorge.

      —Parlez-vous sérieusement?

      —Le plus sérieusement du monde.

      —En ce cas, j'accepte votre invitation. J'aurai du plaisir à voir de plus près un véritable amour...

      —Pour une grisette, n'est-ce pas, cela vous étonne?

      —Eh bien! oui, cela m'étonne. Quant à moi, je n'ai jamais vu qu'une femme que j'aurais pu aimer, si elle avait eu vingt ans de moins. C'était une douairière de province, une châtelaine encore blonde, jadis