Le jour suivant, je lui demandai pourquoi, ayant une telle répugnance pour le droit, il ne se livrait pas à l'étude de quelque autre science. «Mon cher Monsieur, me dit-il avec une assurance qui n'était pas de son âge, et qui semblait empruntée à l'expérience d'un homme de quarante ans, il n'y a aujourd'hui qu'une profession qui conduise à tout, c'est celle d'avocat.
—Qu'est-ce donc que vous appelez tout? lui demandai-je?
—Pour le moment, me répondit-il, la députation est tout. Mais attendez un peu, et nous verrons bien autre chose!
—Oui, vous comptez sur une nouvelle révolution? Mais si elle n'arrive pas, comment vous arrangerez-vous pour être député? Vous avez donc de la fortune?
—Non pas précisément; mais j'en aurai.
—A la bonne heure. En ce cas, il s'agit pour vous d'avoir votre diplôme, et vous n'aurez pas besoin d'exercer.
Je le croyais sincèrement dans une position de fortune assez éminente pour légitimer sa confiance. Il hésita quelques instants; puis, n'osant me confirmer dans mon erreur, ni m'en tirer brusquement, il reprit: «Il faut exercer pour être connu... sans aucun doute, avant deux ans les capacités seront admises à la candidature; il faut donc faire preuve de capacité.
—Deux ans? cela me paraît bien peu; d'ailleurs il vous faut bien le double pour être reçu avocat et pour avoir fait vos preuves de capacité; encore serez-vous loin de l'âge...
—Est-ce que vous croyez que l'âge ne sera pas abaissé comme le cens, à la prochaine session, peut-être?...
—Je ne le crois pas; mais enfin, c'est une question de temps, et je crois qu'un peu plus tôt ou un peu plus tard, vous arriverez, si vous en avez la ferme résolution.
—N'est-il pas vrai, me dit-il avec un sourire de béatitude et un regard étincelant de fierté, qu'il ne faut que cela dans le monde? Et que, de si bas que l'on parte, on peut gravir aux sommités sociales, si l'on a dans le sein une pensée d'avenir?
—Je n'en doute pas, lui répondis-je; le tout est de savoir si l'on aura plus ou moins d'obstacles à renverser, et cela est le secret de la Providence.
—Non, mon cher! s'écria-t-il en passant familièrement son bras sous le mien; le tout est de savoir si l'on aura une volonté plus forte que tous les obstacles; et cela, ajouta-t-il en frappant avec force sur son thorax sonore, je l'ai!
Nous étions arrivés, tout en causant, en face de la Chambre des pairs. Horace semblait prêt à grandir comme un géant dans un conte fantastique. Je le regardai, et remarquai que, malgré sa barbe précoce, la rondeur des contours de son visage accusait encore l'adolescence. Son enthousiasme d'ambition rendait le contraste encore plus sensible.—Quel âge avez-vous donc? lui demandai-je.
—Devinez! me dit-il avec un sourire.
—Au premier abord on vous donnerait vingt-cinq ans, lui répondis-je. Mais vous n'en avez peut-être pas vingt.
—Effectivement, je ne les ai pas encore. Et que voulez-vous conclure?
—Que votre volonté n'est âgée que de deux ou trois ans, et que par conséquent elle est bien jeune et bien fragile encore.
—Vous vous trompez, s'écria Horace. Ma volonté est née avec moi, elle a le même âge que moi.
—Cela est vrai dans le sens d'aptitude et d'innéité; mais enfin je présume que cette volonté ne s'est pas encore exercée beaucoup dans la carrière politique! Il ne peut pas y avoir longtemps que vous songez sérieusement à être député; car il n'y a pas longtemps que vous savez ce que c'est qu'un député?
—Soyez certain que je l'ai su d'aussi bonne heure qu'il est possible à un enfant. A peine comprenais-je le sens des mots, qu'il y avait dans celui-là pour moi quelque chose de magique. Il y a là une destinée, voyez-vous; la mienne est d'être un homme parlementaire. Oui, oui, je parlerai et je ferai parler de moi!
—Soit! lui répondis-je, vous avez l'instrument: c'est un don de Dieu. Apprenez maintenant la théorie.
—Qu'entendez-vous par là? le droit, la chicane?
—Oh! si ce n'était que cela! Je veux dire: Apprenez la science de l'humanité, l'histoire, la politique, les religions diverses; et puis, jugez, combinez, formez-vous une certitude...
—Vous voulez dire des idées? reprit-il avec ce sourire et ce regard qui imposaient par leur conviction triomphante; j'en ai déjà, des idées, et si vous voulez que je vous le dise, je crois que je n'en aurai jamais de meilleures; car nos idées viennent de nos sentiments, et tous mes sentiments, à moi, sont grands! Oui, Monsieur, le ciel m'a fait grand et bon. J'ignore quelles épreuves il me réserve; mais, je le dis avec un orgueil qui ne pourrait faire rire que des sots, je me sens généreux, je me sens fort, je me sens magnanime; mon âme frémit et mon sang bouillonne à l'idée d'une injustice. Les grandes choses m'enivrent jusqu'au délire. Je n'en tire et n'en peux tirer aucune vanité, ce me semble; mais, je le dis avec assurance, je me sens de la race des héros!»
Je ne pus réprimer un sourire; mais Horace, qui m'observait, vit que ce sourire n'avait rien de malveillant.
«Vous êtes surpris, me dit-il, que je m'abandonne ainsi devant vous, que je connais à peine, à des sentiments qu'ordinairement on ne laisse pas percer, même devant son meilleur ami? Croyez-vous qu'on soit plus modeste pour cela?
—Non, certes, et l'on est moins sincère.
—Eh bien, donc, sachez que je me trouve meilleur et moins ridicule que tous ces hypocrites qui, se croyant in petto des demi-dieux, baissent sournoisement la tête et affectent une pruderie prétendue de bon goût. Ceux-là sont des égoïstes, des ambitieux dans le sens haïssable du mot et de la chose. Loin de laisser étaler cet enthousiasme qui est sympathique et autour duquel viennent se grouper toutes les idées fortes, toutes les âmes généreuses (et par quel autre moyen s'opèrent les grandes révolutions?), ils caressent en secret leur étroite supériorité, et, de peur qu'on ne s'en effraie, ils la dérobent aux regards jaloux, pour s'en servir adroitement le jour où leur fortune sera faite. Je vous dis que ces hommes-là ne sont bons qu'à gagner de l'argent et à occuper des places sous un gouvernement corrompu; mais les hommes qui renversent les pouvoirs iniques, ceux qui agitent les passions généreuses, ceux qui remuent sérieusement et noblement le monde, les Mirabeau, les Danton, les Pitt, allez voir s'ils s'amusent aux gentillesses de la modestie!»
Il y avait du vrai dans ce qu'il disait, et il le disait avec tant de conviction qu'il ne me vint pas dans l'idée de le contredire, quoique j'eusse dès lors par éducation, peut-être autant que par nature, l'outrecuidance en horreur. Mais Horace avait cela de particulier, qu'en le voyant et en l'écoutant, on était sous le charme de sa parole et de son geste. Quand on le quittait, on s'étonnait de ne pas lui avoir démontré son erreur; mais quand on le retrouvait, on subissait de nouveau le magnétisme de son paradoxe.
Je me séparai de lui ce jour-là, très-frappé de son originalité, et me demandant si c'était un fou ou un grand homme. Je penchais pour la dernière opinion.
«Puisque vous aimez tant les révolutions, lui dis-je le lendemain, vous avez dû vous battre, l'an dernier, aux journées de Juillet?
—Hélas! j'étais en vacances, me répondit-il; mais là aussi, dans ma petite province, j'ai agi, et si je n'ai pas couru de dangers, ce n'est pas ma faute. J'ai été de ceux qui se sont organisés en garde urbaine volontaire, et qui ont veillé au maintien de la conquête. Nous passions des nuits de faction, le fusil sur l'épaule, et si l'ancien système eût lutté, s'il eût envoyé de la troupe contre nous comme nous nous y attendions, je me flatte que nous nous serions mieux conduits que tous ces vieux épiciers qui ont été ensuite admis à faire partie de la garde nationale, lorsque le gouvernement l'a organisée. Ceux-là n'avaient pas bougé de leurs boutiques lorsque l'événement était encore incertain, et c'est nous qui faisions la ronde autour de la ville, pour les préserver d'une