«Peut-être c'est un soupçon mal fondé; mais je doute que MM. d'Épernon et de Candale tireront de longue à faire une réponse définitive sur le mariage[292], et que, donnant toujours de bonnes paroles, ils tâcheront cependant de tirer tous les avantages qu'ils pourront. C'est pourquoi je crois qu'il ne leur en faut accorder aucun, mais tenir les choses en suspens, et se conduire en sorte qu'ils connaissent qu'on ne veut rien faire qu'on ne voie auparavant la résolution qu'ils prendront sur ledit mariage, et il ne serait pas mal que vous en dissiez un mot comme de vous à M. de Miossens[293].»
On voit, par ces lettres, que Mazarin était vivement préoccupé des intrigues du cardinal de Retz, et qu'il cherchait à les déjouer. En effet, cet ancien chef de la Fronde, toujours ambitieux et prêt à profiter des circonstances, voyait le parti des princes en décadence, et la bourgeoisie avide de paix, mais encore hostile à Mazarin; il espéra que le tiers parti, qu'il avait tenté plusieurs fois d'établir, pourrait enfin triompher[294]. Sous[T.I pag.163] prétexte d'aller recevoir la barette, ou bonnet de cardinal, des mains du roi, il résolut de se rendre un grande pompe à Compiègne, qu'habitaient alors Louis XIV et la reine Anne. L'abbé Fouquet s'opposa avec beaucoup d'énergie à ce que la cour reçût cet ambitieux. C'est Retz lui-même qui nous l'apprend. «L'abbé Fouquet, dit-il[295], revenait à la charge, et soutenait que les intelligences qu'il avait dans Paris y rétabliraient le roi au premier jour, sans qu'il en eût obligation à des gens qui ne proposaient de l'y remettre que pour être plus en état de s'y maintenir eux-mêmes contre lui.» Ce témoignage d'un ennemi ne laisse aucun doute sur le zèle que mettait l'abbé Fouquet à soutenir les intérêts de Mazarin. Il dut céder en cette occasion, et, le 9 septembre, le cardinal de Retz partit en grande pompe pour Compiègne. Il dit lui-même, dans ses Mémoires[296], qu'il avait dans son cortège près de deux cents gentilshommes et cinquante gardes du duc d'Orléans. Les députés du chapitre de Notre-Dame, les curés de Paris et des congrégations religieuses, telles que celles de Saint-Victor, Sainte-Geneviève, Saint-Germain des Prés, Saint-Martin des Champs, le suivaient et remplissoient vingt-huit carrosses à six chevaux[297].
Le 11 septembre, M. de Berlise, introducteur des ambassadeurs, vint prendre dans un carrosse du roi le camérier du pape et le cardinal de Retz. Il les conduisit[T.I pag.164] au château de Compiègne, où le roi remit au cardinal le bonnet rouge. Le cardinal prononça ensuite une harangue, qu'il a eu soin de nous conserver[298]. Il y retraçait les maux de la France: «Nous voyons, disait-il, nos campagnes ravagées, nos villes désertes, nos maisons abandonnées, nos temples violés, nos autels profanés.» Pour mettre un terme à ces malheurs, il exhortait le roi à rentrer dans sa bonne ville de Paris, et à imiter les exemples de clémence que lui avait donnés son aïeul Henri IV. Le roi manifesta, dans sa réponse, des dispositions bienveillantes pour les Parisiens, mais en se tenant dans de vagues généralités.
Après ces pompeuses cérémonies et ces discours d'apparat, qui étaient bons pour amuser la foule, le cardinal de Retz voulut entrer dans le secret des affaires[299]. Il promit, au nom du duc d'Orléans, que Gaston se séparerait du prince de Condé et signerait la paix de bonne foi, pourvu que Condé conservât ses gouvernements. Un l'écouta; mais on ne prit pas au sérieux ses propositions. Lui-même avoue que l'abbé Fouquet, qui se trouvait alors à Compiègne avec la mission d'éclairer toutes ses démarches, se moquait de la dépense qu'il faisait[300]. «Il est vrai, ajoute Retz, qu'elle fut immense pour le peu de temps qu'il dura. Je tenais sept tables servies en même temps, et j'y dépensais huit cents écus par jour.» Le cardinal prétend qu'il fut dédommagé de ces dépenses excessives et des railleries de la cour par l'accueil qu'il[T.I pag.165] reçut à Paris. Ce qui est certain, c'est que sa négociation échoua complètement. L'abbé Fouquet, au contraire, réussit à provoquer dans Paris une manifestation énergique en faveur de la cause royale. Quant à l'intrigue secrète qu'il avait nouée avec Chavigny et Goulas, il la poursuivit mystérieusement jusqu'au jour où il devint inutile de dissimuler les projets et les forces du parti de la cour.
Le but principal de cette négociation était de séparer le duc d'Orléans du prince de Condé, Mazarin était persuadé que le second ne voulait pas sincèrement la paix. «M. le Prince, écrivait-il à l'abbé Fouquet le 24 septembre, n'a veine qui tende à l'accommodement, entrant en de nouveaux engagements et se liant tous les jours de plus en plus avec les Espagnols. Quoi qu'il en soit, il importe d'en être éclairci promptement et de façon ou d'autre, pour prendre résolution là-dessus. J'ai écrit au long à M. le Tellier sur ce sujet, et comme l'on vous aura donné connaissance de tout pour vous former la réponse que vous avez eue à faire à Paris, je n'ai rien à ajouter sur cette matière. C'est à ceux qui agissent sur les lieux par ordre de Leurs Majestés à y mettre la dernière main. Surtout la diligence est nécessaire, et il ne faut plus faire de renvoi vers moi pour cet effet.
«Il faut cultiver soigneusement les bonnes intentions de M. Goulas et s'en prévaloir pour détacher Son Altesse Royale de M. le Prince, en cas que M. le Prince ne veuille point la paix. Il faudra aussi se souvenir en son temps de ce qu'il propose pour le cardinal de Retz. Cependant[T.I pag.166] je vous prie de l'assurer de la bonne manière de mon amitié et de mon estime.
«C'est bien fait d'insinuer à M. de Chavigny qu'il ne sera pas épargné, si M. le Prince commence une fois à maltraiter, les serviteurs du roi en leurs biens. Au reste, je ne sais quel sujet nouveau il peut avoir de me haïr depuis les protestations qu'il me fit du contraire à Saint-Germain[301], et qu'il m'a confirmées par diverses voies.
«La reine a grande raison d'être satisfaite de M. le procureur général. Je ne vous puis celer l'inquiétude que j'ai de voir que vous me mandez qu'il mérite bien qu'on prenne quelque soin de le ménager; car si cela regarde la confiance, je pense que M. le Tellier n'en use point autrement avec lui qu'il ferait avec moi-même. Et pour l'affection, je ne cède à personne, comme je crois qu'il est entièrement de mes amis.
«Ce que vous m'écrivez à l'égard de madame la Palatine[302] est superflu. S'il est besoin qu'elle agisse, vous n'avez qu'à conférer avec M. Servien et M. le Tellier de ce qu'elle aura à faire, et après, sur un mot de la reine, je vous assure qu'elle fera tout ce qu'on voudra sans hésiter. Ce qui est d'autant plus vrai que je puis vous dire confidemment qu'elle n'est pas trop satisfaite du cardinal de Retz.»
La fin de la lettre de Mazarin est surtout remarquable.[T.I pag.167] Elle prouve qu'il avait le cœur plus français que ces princes qui laissaient les Espagnols s'emparer de Gravelines et de Dunkerque. Après avoir parlé de la difficulté de secourir Barcelone, qui était encore au pouvoir des Français, il ajoutait: «Je vous avoue que je suis fort touché de voir que, nonobstant toutes les peines que j'ai prises, la Catalogne se perd, et le roi en souffre un préjudice qu'on ne saurait réparer en des siècles entiers.»
Le jour même où Mazarin écrivait cette lettre, 24 septembre, quatre ou cinq cents bourgeois, dirigés par M. le Prévost, chanoine de Notre-Dame de Paris et conseiller clerc de la Grand'Chambre, se réunirent au Palais-Royal, et, plaçant à leurs chapeaux des morceaux de papier au lieu de la paille des frondeurs, annoncèrent l'intention de rappeler le roi dans Paris, malgré les princes[303]. Le duc d'Orléans envoya le maréchal d'Étampes pour connaître le but de cette réunion. Les bourgeois ne le dissimulèrent pas, et quelques-uns même, poussant des cris de menace et de provocation, s'écrièrent: La paille est rompue. Point de princes; vive le roi, notre seul souverain[304]!