Qu’il en pensa perdre la vie:
Un os lui demeura bien avant au gosier.
De bonheur pour ce loup, qui ne pouvoit crier,
Près de là passe une cigogne.
Il lui fait signe, elle accourt.
Voilà l’opératrice aussitôt en besogne.
Elle retira l’os; puis, pour un si bon tour,
Elle demanda son salaire.
Votre salaire! dit le loup:
Vous riez, ma bonne commère!
Quoi! ce n’est pas encor beaucoup
D’avoir de mon gosier retiré votre cou?
Allez, vous êtes une ingrate:
Ne tombez jamais sous ma patte.
X
LE LION ABATTU PAR L’HOMME.
On exposoit une peinture
Où l’artisan avoit tracé
Un lion d’immense stature
Par un seul homme terrassé.
Les regardants en tiroient gloire.
Un lion en passant rabattit leur caquet.
Je vois bien, dit-il, qu’en effet
On vous donne ici la victoire:
Mais l’ouvrier vous a déçus;
Il avoit liberté de feindre.
Avec plus de raison nous aurions le dessus,
Si mes confrères savoient peindre.
XI
LE RENARD ET LES RAISINS.
Certain renard gascon, d’autres disent normand,
Mourant presque de faim, vit au haut d’une treille
Des raisins, mûrs apparemment,
Et couverts d’une peau vermeille.
Le galant en eût fait volontiers un repas;
Mais comme il n’y pouvoit atteindre:
Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats.
Fit-il pas mieux que de se plaindre?
XII
LE CYGNE ET LE CUISINIER.
Dans une ménagerie
De volatiles remplie
Vivoient le cygne et l’oison:
Celui-là destiné pour les regards du maître;
Celui-ci pour son goût: l’un qui se piquoit d’être
Commensal du jardin; l’autre, de la maison.
Des fossés du château faisant leurs galeries,
Tantôt on les eût vus côte à côte nager,
Tantôt courir sur l’onde, et tantôt se plonger,
Sans pouvoir satisfaire à leurs vaines envies.
Un jour, le cuisinier, ayant trop bu d’un coup,
Prit pour oison le cygne; et, le tenant au cou,
Il alloit l’égorger, puis le mettre en potage.
L’oiseau, près de mourir, se plaint en son ramage.
Le cuisinier fut fort surpris,
Et vit bien qu’il s’étoit mépris.
Quoi! je mettrois, dit-il, un tel chanteur en soupe!
Non, non, ne plaise aux dieux que jamais ma main coupe
La gorge à qui s’en sert si bien.
Ainsi dans les dangers qui nous suivent en croupe
Le doux parler ne nuit de rien.
XIII
LES LOUPS ET LES BREBIS.
Après mille ans et plus de guerre déclarée,
Les loups firent la paix avecque les brebis.
C’étoit apparemment le bien des deux partis;
Car si les loups mangeoient mainte bête égarée,
Les bergers de leurs peaux se faisoient maints habits.
Jamais de liberté, ni pour les pâturages,
Ni d’autre part pour les carnages;
Ils ne pouvoient jouir qu’en tremblant de leurs biens.
La paix se conclut donc; on donne des otages:
Les loups, leurs louveteaux; et les brebis, leurs chiens.
L’échange en étant fait aux formes ordinaires,
Et réglé par des commissaires,
Au bout de quelque temps que messieurs les louvats
Se virent loups parfaits, et friands de tuerie,
Ils vous prennent le temps que dans la bergerie
Messieurs les bergers n’étoient pas,
Étranglent la moitié des agneaux les plus gras,
Les emportent aux dents, dans les bois se retirent:
Ils avoient averti leurs gens secrètement.
Les chiens, qui sur leur foi reposoient sûrement,
Furent étranglés en dormant:
Cela fut sitôt fait qu’à peine ils