Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle.
Eh! la peur se corrige-t-elle?
Je crois même qu’en bonne foi
Les hommes ont peur comme moi.
Ainsi raisonnoit notre lièvre,
Et cependant faisoit le guet.
Il étoit douteux, inquiet:
Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnoit la fièvre.
Le mélancolique animal,
En rêvant à cette matière,
Entend un léger bruit: ce lui fut un signal
Pour s’enfuir devers sa tanière.
Il s’en alla passer sur le bord d’un étang.
Grenouilles aussitôt de sauter dans les ondes;
Grenouilles de rentrer en leurs grottes profondes.
Oh! dit-il, j’en fais faire autant
Qu’on m’en fait faire! Ma présence
Effraye aussi les gens! je mets l’alarme au camp!
Et d’où me vient cette vaillance?
Comment! des animaux qui tremblent devant moi!
Je suis donc un foudre de guerre!
Il n’est, je le vois bien, si poltron sur la terre
Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi.
XV
LE COQ ET LE RENARD.
Sur la branche d’un arbre étoit en sentinelle
Un vieux coq adroit et matois.
Frère, dit un renard, adoucissant sa voix,
Nous ne sommes plus en querelle:
Paix générale cette fois.
Je viens te l’annoncer; descends, que je t’embrasse:
Ne me retarde point, de grâce;
Je dois faire aujourd’hui vingt postes sans manquer.
Les tiens et toi pouvez vaquer
Sans nulle crainte à vos affaires;
Nous vous y servirons en frères.
Faites-en les feux[12] dès ce soir, Et cependant viens recevoir Le baiser d’amour fraternelle.— Ami, reprit le coq, je ne pouvois jamais Apprendre une plus douce et meilleure nouvelle Que celle De cette paix; Et ce m’est une double joie De la tenir de toi. Je vois deux lévriers, Qui, je m’assure, sont courriers Que pour ce sujet on envoie: Ils vont vite, et seront dans un moment à nous. Je descends: nous pourrons nous entre-baiser tous.— Adieu, dit le renard; ma traite est longue à faire: Nous nous réjouirons du succès de l’affaire Une autre fois. Le galant aussitôt Tire ses grègues[13], gagne au haut, Mal content de son stratagème. Et notre vieux coq en soi-même Se mit à rire de sa peur; Car c’est double plaisir de tromper le trompeur.
XVI
LE CORBEAU VOULANT IMITER L’AIGLE.
L’oiseau de Jupiter enlevant un mouton,
Un corbeau, témoin de l’affaire,
Et plus foible de reins, mais non pas moins glouton,
En voulut sur l’heure autant faire.
Il tourne à l’entour du troupeau,
Marque entre cent moutons le plus gras, le plus beau,
Un vrai mouton de sacrifice:
On l’avoit réservé pour la bouche des dieux.
Gaillard corbeau disoit, en le couvant des yeux:
Je ne sais qui fut ta nourrice;
Mais ton corps me paroît en merveilleux état:
Tu me serviras de pâture.
Sur l’animal bêlant à ces mots il s’abat.
La moutonnière créature
Pesoit plus qu’un fromage; outre que sa toison
Étoit d’une épaisseur extrême,
Et mêlée à peu près de la même façon
Que la barbe de Polyphême.
Elle empêtra si bien les serres du corbeau,
Que le pauvre animal ne put faire retraite:
Le berger vient, le prend, l’encage bien et beau,
Le donne à ses enfants pour servir d’amusette.
Il faut se mesurer; la conséquence est nette:
Mal prend aux volereaux de faire les voleurs.
L’exemple est un dangereux leurre:
Tous les mangeurs de gens ne sont pas grands seigneurs;
Où la guêpe a passé, le moucheron demeure.
XVII
LE PAON SE PLAIGNANT A JUNON.
Le paon se plaignoit à Junon.
Déesse, disoit-il, ce n’est pas sans raison
Que je me plains, que je murmure:
Le chant dont vous m’avez fait don
Déplaît à toute la nature;
Au lieu qu’un rossignol, chétive créature,
Forme des sons aussi doux qu’éclatants,
Est lui seul l’honneur du printemps.
Junon répondit en colère:
Oiseau jaloux, et qui devrois te taire,
Est-ce à toi d’envier la voix du rossignol,
Toi que l’on voit porter à l’entour de ton col
Un arc-en-ciel nué de cent sortes de soies;
Qui te panades, qui déploies
Une si riche queue et qui semble à nos yeux
La boutique d’un lapidaire?