Elle frappe à sa porte, elle entre, elle se montre.
Que vois-je! cria-t-il: ôtez-moi cet objet!
Qu’il est hideux! que sa rencontre
Me cause d’horreur et d’effroi!
N’approche pas, ô Mort! ô Mort, retire-toi!
Mécénas fut un galant homme;
Il a dit quelque part: Qu’on me rende impotent,
Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu’en somme
Je vive, c’est assez, je suis plus que content.
Ne viens jamais, ô Mort! on t’en dit tout autant.
Ce sujet a été traité d’une autre façon par Ésope, comme la fable suivante le fera voir. Je composai celle-ci pour une raison qui me contraignoit de rendre la chose ainsi générale. Mais quelqu’un me fit connoître que j’eusse beaucoup mieux fait de suivre mon original, et que je laissois passer un des plus beaux traits qui fût dans Ésope. Cela m’obligea d’y avoir recours. Nous ne saurions aller plus avant que les anciens: ils ne nous ont laissé pour notre part que la gloire de les bien suivre. Je joins toutefois ma fable à celle d’Ésope, non que la mienne le mérite, mais à cause du mot de Mécénas, que j’y fais entrer, et qui est si beau et si à propos, que je n’ai pas cru le devoir omettre.
XVI
LA MORT ET LE BUCHERON.
Un pauvre bûcheron, tout couvert de ramée,
Sous le faix du fagot aussi bien que des ans
Gémissant et courbé, marchoit à pas pesants,
Et tâchoit de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin, n’en pouvant plus d’efforts et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu’il est au monde?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos:
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
Le créancier et la corvée,
Lui font d’un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la Mort. Elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu’il faut faire.
C’est, dit-il, afin de m’aider
A recharger ce bois; tu ne tarderas guère.
Le trépas vient tout guérir,
Mais ne bougeons d’où nous sommes:
Plutôt souffrir que mourir,
C’est la devise des hommes.
XVII
L’HOMME ENTRE DEUX AGES ET SES DEUX MAITRESSES.
Un homme de moyen âge,
Et tirant sur le grison,
Jugea qu’il étoit saison
De songer au mariage.
Il avoit du comptant,
Et partant
De quoi choisir; toutes vouloient lui plaire:
En quoi notre amoureux ne se pressoit pas tant:
Bien adresser n’est pas petite affaire.
Deux veuves sur son cœur eurent le plus de part:
L’une encore verte; et l’autre un peu bien mûre,
Mais qui réparoit par son art
Ce qu’avoit détruit la nature.
Ces deux veuves, en badinant,
En riant, en lui faisant fête,
L’alloient quelquefois têtonnant,
C’est-à-dire ajustant sa tête.
La vieille, à tous moments, de sa part emportoit
Un peu du poil noir qui restoit,
Afin que son amant en fût plus à sa guise.
La jeune saccageoit les poils blancs à son tour.
Toutes deux firent tant, que notre tête grise
Demeura sans cheveux, et se douta du tour.
Je vous rends, leur dit-il, mille grâces, les belles,
Qui m’avez si bien tondu.
J’ai plus gagné que perdu.
Car d’hymen point de nouvelles.
Celle que je prendrois voudroit qu’à sa façon
Je vécusse, et non à la mienne.
Il n’est tête chauve qui tienne:
Je vous suis obligé, belles, de la leçon.
XVIII
LE RENARD ET LA CIGOGNE.
Compère le renard se mit un jour en frais,
Et retint à dîner commère la cigogne.
Le régal fut petit, et sans beaucoup d’apprêts:
Le galant, pour toute besogne,
Avoit un brouet clair: il vivoit chichement.
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette:
La cigogne au long bec n’en put attraper miette,
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour se venger de cette tromperie,
A quelque temps de là, la cigogne le prie.
Volontiers, lui dit-il; car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie.
A l’heure dite, il courut au logis