A partir de 1793, la dictature de la Convention se fait redoutable. L’exécutif est assuré par deux Comités dont le Comité de salut public. De ce Comité, le jacobin Robespierre, surnommé « l’incorruptible », est le véritable inspirateur. Pour lutter contre les « ennemis de la Révolution », la Terreur est à l’ordre du jour. A la guerre étrangère s’ajoute la guerre civile, notamment en Vendée. Au bout d’un an, la Terreur n’est plus supportable. Un coup d’Etat venu de l’Assemblée élimine Robespierre et les siens. Dans son roman Les Dieux ont soif, Anatole France revient sur cet épisode.
« La Seine charriait les glaces de nivôse. Les bassins des Tuileries, les ruisseaux, les fontaines étaient gelés. Le vent du nord soulevait dans les rues des ondes de frimas. Les chevaux expiraient par les naseaux une vapeur blanche; les citadins regardaient en passant le thermomètre à la porte des opticiens. Un commis essuyait la buée sur les vitres de l’Amour peintre et les curieux jetaient un regard sur les estampes à la mode: Robespierre pressant au-dessus d’une coupe un cœur comme un citron, pour en boire le sang, et de grandes pièces allégoriques telles que la Tigrocratie de Robespierre: ce n’était qu’hydres, serpents, monstres affreux déchaînés sur la France par le tyran. Et l’on voyait encore: l’Horrible Conspiration de Robespierre, l’Arrestation de Robespierre, la Mort de Robespierre.
Ce jour-là, après le dîner de midi, Philippe Desmahis entra, son carton sous le bras, à l’Amour peintre et apporta au citoyen Jean Blaise une planche qu’il venait de graver au pointillé, le Suicide de Robespierre. Le burin picaresque du graveur avait fait Robespierre aussi hideux que possible. Le peuple français n’était pas encore saoul de tous ces monuments qui consacraient l’opprobre et l’horreur de cet homme chargé de tous les crimes de la Révolution. Pourtant le marchand d’estampes, qui connaissait le public, avertit Desmahis qu’il lui donnerait désormais à graver des sujets militaires.
– Il va nous falloir des victoires et conquêtes, des sabres, des panaches, des généraux. Nous sommes partis pour la gloire. Je sens cela en moi; mon cœur bat au récit des exploits de nos vaillantes armées. Et quand j’éprouve un sentiment, il est rare que tout le monde ne l’éprouve pas en même temps. Ce qu’il nous faut, ce sont des guerriers et des femmes, Mars et Vénus.
– Citoyen Blaise, j’ai encore chez moi deux ou trois dessins de Gamelin, que vous m’avez donnés à graver. Est-ce pressé ?
– Nullement.
– À propos de Gamelin: hier, en passant sur le boulevard du Temple, j’ai vu chez un brocanteur, qui a son échoppe vis-à-vis la maison de Beaumarchais, toutes les toiles de ce malheureux. Il y avait là son Oreste et Électre. La tête de l’Oreste, qui ressemble à Gamelin, est vraiment belle, je vous assure… la tête et le bras sont superbes… Le brocanteur m’a dit qu’il n’était pas embarrassé de vendre ces toiles à des artistes qui peindront dessus… Ce pauvre Gamelin ! il aurait eu peut-être un talent de premier ordre, s’il n’avait pas fait de politique.
– Il avait l’âme d’un criminel ! répliqua le citoyen Blaise. Je l’ai démasqué, à cette place même, alors que ses instincts sanguinaires étaient encore contenus. Il ne me l’a jamais pardonné… Ah ! c’était une belle canaille.
– Le pauvre garçon ! Il était sincère. Ce sont les fanatiques qui l’ont perdu.
– Vous ne le défendez pas, je pense, Desmahis !… Il n’est pas défendable.
– Non, citoyen Blaise, il n’est pas défendable.
Et le citoyen Blaise, tapant sur l’épaule du beau Desmahis:
– Les temps sont changés. On peut vous appeler « Barbaroux », maintenant que la Convention rappelle les proscrits… J’y songe: Desmahis, gravez-moi donc un portrait de Charlotte Corday.
Une femme grande et belle, brune, enveloppée de fourrures, entra dans le magasin et fit au citoyen Blaise un petit salut intime et discret. C’était Julie Gamelin; mais elle ne portait plus ce nom déshonoré: elle se faisait appeler « la citoyenne veuve Chassagne » et était habillée, sous son manteau, d’une tunique rouge, en l’honneur des chemises rouges de la Terreur. »
Anatole France – Анатоль Франс (1844–1924), настоящее имя Франсуа Анатоль Тибо (François-Anatole Thibault). Известный французский писатель и литературный критик III Республики. Занимал активную гражданскую позицию, считался нравственным и литературным авторитетом своего времени. Член Французской академии (1896). В 1921 г. получил Нобелевскую премию по литературе «за блестящие литературные достижения, отмеченные изысканностью стиля, глубоко выстраданным гуманизмом и истинно галльским темпераментом».
«Les Dieux ont soif» – «Боги жаждут» (1912), роман Анатоля Франса, действие которого происходит во время Французской революции (1789–1794). А. Франс точно воссоздает политическую обстановку и повседневную жизнь эпохи, основываясь на многочисленнных документах того времени, которые он хорошо изучил. Названием романа стала последняя фраза последнего номера газеты однокашника Робеспьера Камиля Демулена, где она выдаётся за слова, сказанные испанскими священниками Монтесуме.
Convention f – Конвент, высший законодательный и исполнительный орган Франции (21 сентября 1792 – 26 октября 1795) Первой Республики во время Французской революции. В выборах членов Конвента, сменившего Законодательное собрание, участвовали все мужчины (исключая домашнюю прислугу), достигшие 21 года.
Comité m de salut public – Комитет общественного спасения, один из многочисленных комитетов Конвента. Создан 6 апреля 1793 г. с целью противостоять