Elle hocha la tête d’un côté à l’autre, en faisant semblant de l’imiter. « Oh, je suis désolé, chérie, » dit-elle, d’une voix qui se voulait masculine. « Il faut que je parte sauver le monde. Je ne sais pas si je serai encore vivant dans trois jours. Mais occupe-toi bien de notre fils, OK ? Je ne fais juste que mon devoir de patriote. »
Elle bouillonnait de rage. Puis sa voix revint lentement à la normale. « Tu fais ça parce que ça t’amuse, Luke. Tu fais ça parce que tu es quelqu’un d’irresponsable. Pour toi, il n’y a aucune conséquence. De toute façon, tu t’en fous de mourir. Et les autres n’ont qu’à se débrouiller pour gérer leur stress. »
Elle éclata en sanglots. « J’en ai vraiment terminé avec toi. Je ne veux plus te voir. » Elle lui fit un geste de la main. « Je suis sûre que tu n’as pas besoin que je te raccompagne. Alors, va-t’en. OK ? Pars et laisse-moi mourir en paix. »
Sur ces mots, elle quitta la pièce. Il y eut un moment de silence, puis il l’entendit pleurer dans la chambre à coucher.
Il resta un bon moment debout au milieu du salon, sans savoir quoi faire. Gunner allait rentrer de l’école dans deux heures. Ce n’était pas une bonne idée de le laisser seul avec Becca, mais en même temps, il n’avait pas trop le choix. Elle avait la garde de Gunner. Il n’avait qu’un droit de visite. S’il emmenait Gunner avec lui sans demander la permission à Becca, ce serait considéré comme un enlèvement.
Il soupira. Ce n’était pas comme si les questions légales avaient tendance à l’arrêter, normalement.
Luke était perdu. Il se sentait vidé de son énergie. Et ils n’avaient encore rien raconté à Gunner. Peut-être qu’il devrait appeler les parents de Becca et leur parler. C’est vrai que Becca s’était toujours occupée de toutes les questions domestiques quand ils étaient ensemble. Peut-être qu’elle avait raison à son sujet – il était beaucoup plus à l’aise à parcourir le monde et à jouer aux gendarmes et aux voleurs. Il savait que des gens se préoccupaient pour lui mais lui ne se sentait pas du tout tracassé. Quel genre de personne vivait ainsi ? Peut-être quelqu’un qui n’avait jamais grandi.
Sur la table basse devant le divan, son téléphone se mit à sonner. Il le regarda comme si c’était une sorte d’animal dangereux, une vipère prête à attaquer.
« Stone, » dit-il, en décrochant.
Il entendit une voix d’homme de l’autre côté de la ligne.
« Je vous passe la Présidente des États-Unis. »
Il leva les yeux et vit Becca dans l’embrasure de la porte. Apparemment, elle avait entendu son téléphone sonner. Elle était revenue pour écouter la conversation qui ne ferait que lui confirmer l’opinion qu’elle avait au sujet de lui. Pendant une fraction de seconde, il ressentit une véritable haine à son égard – elle allait finir par avoir raison. Jusque dans sa tombe, elle parviendrait à le crucifier.
Il entendit la voix de Susan Hopkins à l’autre bout du fil.
« Luke, vous êtes là ? »
« Bonjour, Susan. »
« Ça fait longtemps, agent Stone. Comment allez-vous ? »
« Je vais bien, » dit-il. « Et vous ? »
« Bien, » dit-elle, mais le ton de sa voix trahissait le contraire. « Écoutez, j’ai besoin de votre aide. »
« Susan… » commença-t-il à dire.
« Ça ne vous prendra qu’une journée, mais c’est vraiment très important. J’ai besoin de quelqu’un qui puisse régler ça rapidement et en toute discrétion. »
« C’est à quel sujet ? »
« Je ne peux pas en parler par téléphone, » dit-elle. « Est-ce que vous pouvez venir ? »
Il sentit ses épaules s’affaisser.
« OK. »
« Vous pouvez arriver dans combien de temps ? »
Il jeta un coup d’œil à sa montre. Gunner rentrerait de l’école dans une heure et demie. S’il voulait passer un peu de temps avec son fils, la réunion allait devoir attendre. Mais s’il allait à la réunion…
Il soupira.
« J’arriverai dès que possible. »
« OK. Je veillerai à ce qu’on vous amène directement auprès de moi. »
Il raccrocha et regarda Becca. Elle le fusillait du regard. Il y avait de la haine et de la rage dans ses yeux.
« Où est-ce que tu vas, Luke ? »
« Tu sais très bien où je vais. »
« Oh, tu ne vas pas rester pour passer un peu de temps avec ton fils et jouer au bon père de famille ? Quelle surprise ! Et moi qui pensais que… »
« Becca, arrête tout de suite, OK ? Je suis désolé que tu sois… »
« Tu n’auras jamais la garde de Gunner, Luke. Tu pars tout le temps en mission, n’est-ce pas ? Eh bien, tu sais quoi ? Je vais faire de toi ma mission personnelle. Tu ne le verras plus. Jusqu’à mon dernier souffle, je me battrai pour que ce soit le cas. Ce seront mes parents qui l’élèveront et tu n’auras plus le droit de le voir. Et tu sais pourquoi ? »
Luke se leva et se dirigea vers la porte d’entrée.
« Au revoir, Becca. »
« Je vais te dire pourquoi, Luke. Parce que mes parents sont riches ! Ils adorent Gunner. Et ils ne t’aiment pas. Tu penses vraiment avoir les moyens de tenir plus longtemps que mes parents devant les tribunaux ? On sait très bien que ce ne sera pas le cas. »
Il était presque sorti, mais il s’arrêta et se retourna vers elle.
« C’est vraiment ce que tu veux faire du temps qu’il te reste ? » dit-il. « C’est vraiment la personne que tu as envie d’être ? »
Elle le regarda droit dans les yeux.
« Oui. »
Il secoua la tête.
Il ne la reconnaissait pas et il se demanda s’il l’avait vraiment connue un jour.
Et sur ces mots, il sortit.
CHAPITRE QUATRE
23h50 – Heure d’Europe orientale (17h50 – heure d’été de l’Est)
Alexandroupoli, Grèce
Ils se trouvaient à cinquante kilomètres de la frontière turque. L’homme consulta sa montre. Il était presque minuit.
Ce sera pour bientôt.
Il s’appelait Brown. C’était un nom qui n’en était pas un. Le nom parfait pour quelqu’un qui avait disparu depuis longtemps. Brown était une ombre. Une grosse cicatrice lui traversait la joue gauche – une balle qu’il avait évitée de justesse. Il avait une coupe à la brosse. Il était grand et fort. Les traits durs de son visage trahissaient une vie entière passée dans les forces spéciales.
À une époque, Brown avait été connu sous un autre nom – son vrai nom. Mais au fil du temps, il en avait changé. Il en avait eu tellement qu’il ne se souvenait plus de tous les noms qu’il avait portés. Mais ce dernier nom était celui qu’il préférait : Brown. Sans aucun prénom. Juste Brown. C’était suffisant. C’était un nom évocateur. Ça lui faisait penser à des choses mortes. Aux feuilles mortes d’automne, aux arbres calcinés