“Nous sommes en sécurité ici,” lui répondit fermement Reid, essayant de paraître convainquant, même s’il n’y croyait pas vraiment lui-même. Un mal de tête était en train de se former à l’avant de son crâne. Il attrapa un verre dans le placard et le remplit d’eau fraîche au robinet.
“Ouais, comme nous pensions être en sécurité à New York,” répliqua Maya. “Peut-être que si nous savions ce qui s’est passé et dans quoi tu as réellement été impliqué, les choses seraient plus simples. Mais ce n’est pas le cas.” Qu’importe que ce soit dû à son incapacité à les laisser seule ne serait-ce que vingt minutes ou à ses propres suspicions sur ce qui s’était passé : elle voulait des réponses. “Tu sais très bien ce que nous avons subi. Mais nous, nous n’avons aucune idée de ce qui t’es arrivé !” Elle criait presque à présent. “Où tu es allé, ce que tu as fait, comment tu t’es blessé…”
“Maya, je te jure…” Reid posa le verre sur le comptoir et leva un doigt en guise d’avertissement à son attention.
“Jurer quoi ?” aboya-t-elle. “De dire la vérité ? Alors vas-y, dis-moi !”
“Je ne peux pas te dire la vérité !” hurla-t-il. En disant ces mots, il écarta les bras sur les côtés, l’une de ses mains faisant involontairement voler le verre du comptoir.
Reid n’eut pas le temps de réfléchir. Ses instincts prirent le dessus et, dans un geste rapide et souple, il tomba à genoux et rattrapa le verre dans les airs avant qu’il ne s’écrase au sol.
Il regretta immédiatement son geste, alors que l’eau se balançait dans le verre, une seule goutte s’en étant échappée.
Maya l’observait, les yeux écarquillés, même s’il n’aurait su dire si elle était surprise à cause de ses mots ou de ses actes. C’était la première fois qu’elle le voyait agir ainsi… et la première fois aussi qu’il reconnaissait à voix haut que ce qu’il leur avait dit n’était peut-être pas vraiment ce qui s’était produit. Peu importe qu’elle en soit déjà consciente ou qu’elle le présume uniquement. Il s’était trahi et ne pouvait plus faire machine arrière désormais.
“Coup de chance,” se hâta-t-il de dire.
Maya replia lentement ses bras contre sa poitrine, un sourcil levé, en se mordant la lèvre. Il connaissait cet air : c’était un regard accusateur dont elle avait directement hérité de sa mère. “Tu peux peut-être duper Sara et Tante Linda, mais moi, je n’y crois pas, pas une seule seconde.”
Reid ferma les yeux et soupira. Elle ne lâcherait pas l’affaire, donc il baissa d’un ton et se mit à parler en choisissant soigneusement chacun de ses mots.
“Maya, écoute. Tu es très intelligente… certainement bien assez pour faire certaines suppositions sur ce qui s’est passé,” dit-il. “Le plus important est de bien comprendre que savoir certaines choses peut s’avérer dangereux. Le danger potentiel auquel vous avez été confrontées pendant ma semaine d’absence pourrait devenir permanent si vous saviez tout. Je ne peux pas te dire si tu as raison ou tort. Je ne vais pas confirmer ou infirmer quoi que ce soit. Donc, à partir de maintenant, on n’a qu’à juste dire que… tu peux croire à toutes les hypothèses que tu as faites, tant que tu fais bien attention de les garder pour toi.”
Maya acquiesça lentement d’un signe de tête. Elle jeta un coup d’œil dans le couloir pour s’assurer que Sara n’était pas là avant de dire, “Tu n’es pas seulement un professeur. Tu travailles pour quelqu’un, au niveau du gouvernement : le FBI peut-être ou la CIA…”
“Bon sang, Maya, je t’ai dit que garder ça pour toi !” grommela Reid.
“Les événements au Jeux Olympiques et au forum à Davos,” poursuivit-elle. “Tu as quelque chose à voir là-dedans.”
“Je te l’ai dit, je ne vais pas confirmer ou infirmer quoi que ce soit…”
“Et ce groupe terroriste, Amon, dont ils n’arrêtent pas de parler aux infos. Tu as aidé à les arrêter ?”
Reid détourna les yeux, regardant par la petite fenêtre qui donnait sur leur cour. Mais il était déjà trop tard. Il n’avait pas besoin de confirmer ou d’infirmer quoi que ce soit. Elle avait pu lire sur son visage.
“Ce n’est pas un jeu, Maya. C’est sérieux, et si les mauvaises personnes l’apprenaient…”
“Est-ce que Maman était au courant ?”
De toutes les questions qu’elle aurait pu lui poser, celle-ci le laissa sans voix. Il garda le silence un long moment. Une fois de plus, son aînée s’était montrée trop intelligente, peut-être même pour son propre bien.
“Je ne pense pas,” dit-il à voix basse.
“Et tous les voyages que tu faisais avant,” reprit Maya. “Il ne s’agissait pas de conférences et de colloques, n’est-ce pas ?”
“Non, en effet.”
“Alors, tu as arrêté à un moment. Est-ce que tu as arrêté après… après que Maman… ?”
“Oui. Mais, ensuite, ils ont de nouveau eu besoin de moi.” Une vérité partielle était suffisante pour qu’il n’ait pas l’impression de mentir… et, il l’espérait, pour satisfaire la curiosité de Maya.
Il se retourna vers elle. Elle regardait par terre, le front plissé. Il était clair qu’elle voulait poser d’autre questions. Mais il espérait qu’elle ne le ferait pas.
“Une dernière question.” Sa voix sortit presque comme un murmure. “Est-ce que tout ça a quelque chose à voir avec… avec la mort de Maman ?”
“Oh, bon dieu. Non, Maya. Bien sûr que non.” Il traversa rapidement la pièce et la serra fort dans ses bras. “Ne crois pas ça. Ce qui est arrivé à Maman est d’ordre médical. Ça aurait pu arriver à n’importe qui. Ce n’était pas… ça n’a rien à voir avec ça.”
“je m’en doutais,” dit-elle à voix basse. “Mais il fallait que je te le demande…”
“Je comprends.” C’était la dernière chose qu’il voulait qu’elle pense, que la mort de Kate soit liée d’une façon ou d’une autre à la vie secrète qu’il avait menée.
Quelque chose traversa son esprit : une vision. Un souvenir du passé.
Une cuisine familière. Leur maison en Virginie, avant d’emménager à New York. Avant son décès. Kate est debout devant toi, belle exactement comme dans tes souvenirs… mais elle a les sourcils froncés et le regard sévère. Elle est en colère. Elle crie. Elle gesticule des mains en direction de quelque chose, sur la table…
Reid recula d’un pas, relâchant son étreinte sur Maya, alors que ce vague souvenir déclenchait l’ébauche d’un mal de tête dans son front. Parfois, quand son cerveau tentait de se souvenir de certaines choses de son passé qui étaient toujours verrouillées à l’intérieur, cette tentative de libération forcée le laissait avec une légère migraine à l’avant du crâne. Pourtant, cette fois, c’était différent et étrange : le souvenir était clairement une dispute avec Kate qu’il ne se souvenait pas avoir jamais eue.
“Papa, ça va ?” demanda Maya.
La sonnette de la porte retentit, les prenant tous deux de court.
“Euh, ouais,” murmura-t-il. “Je vais bien. Ce doit être les pizzas.” Il regarda sa montre et fronça les sourcils. “Ils ont été super rapides. Je reviens tout de suite.” Il traversa le couloir et jeta un œil dans le judas. À l’extérieur, se trouvait un jeune homme avec une barbe noire et un regard à moitié vide, portant un polo rouge avec le logo de la pizzeria.
Quand