Les deux hommes vidèrent leurs mugs encore fumants et se hâtèrent en direction de la salle blanche en Kevlar, pénétrant dans la première antichambre pour enfiler les uniformes de décontamination jaune vif fournis par l’Organisation Mondiale de la Santé. En premier, venaient les gants et les bottes en plastiques, serrées hermétiquement aux poignets et aux chevilles, puis les combinaisons intégrales avec capuche et, pour finir, les masques avec respirateurs.
Ils s’habillèrent rapidement en silence, presque révérencieusement, utilisant non seulement ce bref moment comme une transformation physique, mais aussi mentale, passant de leur agréable discussion décontractée à l’état d’esprit sombre nécessaire à leur profession.
Renault n’aimait pas les uniformes de décontamination. Ils ralentissaient les mouvements et rendaient leur travail pénible. Mais ils étaient absolument nécessaires pour mener leurs recherches : localiser et examiner l’un des organismes les plus dangereux connus de l’homme.
Cicero et lui sortirent de l’antichambre et se dirigèrent vers les bords de la Kolyma, cette rivière lente et glacée qui coulait au sud des montagnes, se dirigeant légèrement vers l’est en direction de l’océan.
“La boîte,” dit soudain Renault. “Je vais la chercher.” Il se dépêcha de retourner sous l’auvent pour récupérer le récipient à échantillons, un cube en acier inoxydable fermé par quatre crochets, avec le symbole de danger biologique estampillé sur chacun de ses six côtés. Il trottina pour rejoindre Cicero, et les deux hommes reprirent leur marche rapide vers le site de fouilles.
“Vous savez ce qui s’est passé près d’ici, n’est-ce pas ?” demanda Cicero en chemin, à travers son respirateur.
“Oui.” Renault avait lu le rapport. Cinq mois auparavant, un garçon de douze ans d’un village local était tombé malade peu après avoir pris de l’eau à la rivière Kolyma. Au début, on avait pensé la rivière contaminée mais, à la manifestation de ses symptômes, les choses s’étaient éclaircies. Des chercheurs de l’OMS avaient immédiatement été mobilisés en apprenant sa maladie et une enquête avait été lancée.
Le garçon avait attrapé la variole. Plus précisément, il était tombé malade par le biais d’une souche que nul homme moderne n’avait connue jusqu’ici.
L’enquête avait finalement mené à la carcasse d’un caribou près du bord de la rivière. Après des tests complets, l’hypothèse avait été confirmée : le caribou était mort il y a plus de deux-cents ans et son corps avait été emprisonné dans le permafrost. La maladie dont il souffrait avait gelé avec lui, restant dormante jusqu’à il y a cinq mois.
“C’est une simple réaction en chaîne,” dit Cicero. “Alors que les glaciers fondent, le niveau de l’eau monte et les températures grimpent, ce qui conduit au dégel du permafrost. Qui sait quelles maladies peuvent être tapies dans la glace ? Des souches antiques comme nous n’en avons jamais vu encore… c’est tout à fait possible que certaines aient même précédé l’humanité.” On sentait une tension dans la voix du docteur, non seulement de l’inquiétude mais aussi une pointe d’excitation. Après tout, c’était toute sa vie.
“J’ai lu qu’en 2016, on a trouvé de l’anthrax dans une source d’eau causée par la fonte d’une calotte glaciaire,” commenta Renault.
“C’est vrai. J’ai été appelé sur cette affaire, ainsi que pour la grippe espagnole découverte en Alaska.”
“Qu’est devenu le garçon ?” demanda le jeune français. “Le cas de variole d’il y a cinq mois.” Il savait que le garçon, ainsi que quinze autres villageois, avaient été placés en quarantaine, mais le rapport s’arrêtait là.
“Il est mort,” répondit Cicero. Il n’y avait aucune émotion dans sa voix, contrairement à celle qui se sentait quand il parlait de sa femme, Phoebe. Après des décennies passées à faire ce métier, Cicero avait appris l’art subtile du détachement. “Ainsi que quatre autres personnes. Mais, de là est sorti un vaccin capable d’enrayer cette souche, donc ils ne sont pas morts pour rien.”
“Tout de même,” dit Renault à voix basse, “quel gâchis.”
Le site de fouilles se trouvait à moins d’un jet de pierre du rivage de la rivière, un petit bout de toundra de vingt mètres carrés encadré de piquets en métal et de rubans de périmètre jaune vif. C’était le quatrième site de ce genre que l’équipe de recherche avait mis en place depuis le début de leur enquête.
Quatre autres chercheurs en uniformes de décontamination se trouvaient à l’intérieur du périmètre, tous penchés sur un petit morceau de terre vers le centre de la zone. L’un d’eux vit les deux hommes arriver et se précipita à leur rencontre.
C’était le Dr. Bradlee, une archéologue détachée de l’Université de Dublin. “Cicero,” dit-elle, “nous avons trouvé quelque chose.”
“De quoi s’agit-il ?” demanda-t-il en se baissant pour passer sous le ruban jaune. Renault l’imita.
“Un bras.”
“Pardon ?” laissa échapper Renault.
“Montrez-moi,” dit Cicero.
Bradlee les guida vers un endroit excavé du permafrost. Creuser dans le permafrost, et le faire si prudemment, n’était pas une tâche facile et Renault le savait bien. Les couches supérieures de terre gelée fondaient généralement en été, mais les couches plus profondes étaient appelées ainsi car elles restaient gelées en permanence dans les régions polaires. Le trou que Bradlee et son équipe avaient creusé faisait près de deux mètres de profondeur et était assez large pour qu’un homme adulte s’allonge dedans.
On dirait presque une tombe, pensa tristement Renault.
Et, comme elle l’avait dit, les restes gelés d’un bras humain partiellement décomposé étaient visibles au fond du trou : un bras tordu, presque squelettique, noirci par le temps et la terre.
“Mon Dieu,” lâcha Cicero dans un murmure. “Vous savez ce que c’est, Renault ?”
“Un corps ?” tenta-t-il. Du moins, il espérait que le bras était attaché à autre chose.
Cicero se mit à parler rapidement, gesticulant avec ses mains. “Vers 1880, une petite colonie vivait non loin d’ici, sur les bords de la Kolyma. Les colons d’origine étaient des nomades mais, à mesure que leur nombre augmentait, ils décidèrent de bâtir un village ici. C’est alors que l’impensable s’est produit. Une épidémie de variole les a décimés, tuant quarante pourcent de leur tribu en l’espace que quelques jours. Ils ont cru que la rivière était maudite et les survivants se sont vite enfuis.
“Mais, avant de partir, ils ont enterré leurs morts ici, dans une fosse commune sur les bords de la rivière Kolyma.” Il désigna du doigt le bras au fond du trou. “Les eaux en crue érodent les berges. La fonte du permafrost va bientôt mettre ces corps à jour et il suffira ensuite que la faune locale vienne les picorer pour devenir porteuse d’une toute nouvelle épidémie que nous aurons à affronter.”
Renault oublia un instant de respirer en regardant l’un des chercheurs vêtus de jaune, au fond du trou, en train de recueillir des échantillons sur le bras en décomposition. La découverte était assez excitante. Jusqu’à il y a cinq mois de ça, le dernier foyer naturel connu de variole avait été trouvé en Somalie, en 1977. L’Organisation Mondiale de la Santé avait déclaré cette maladie éradiquée en 1980. Pourtant, ils se trouvaient à présent devant une tombe connue pour être infectée d’un dangereux virus qui pourrait décimer la population d’une grande ville en à peine quelques jours. Et leur travail était de déterrer ça, de l’examiner