— Si je ne rentre pas dans mon village, beaucoup de gens mourront, dit Royce. Mais si je fuis et qu’ils me suivent, il y en aura encore plus. J’ai besoin de ton aide.
Le porcher fit un pas en avant.
— Serais-je payé pour ça ?
Royce exposa les paumes de ses mains. Il n’avait rien du tout.
— Si je peux te retrouver après, je trouverai un moyen de te rembourser. Comment puis-je te trouver ?
— Je suis Berwick, d’Upper Lesham.
Royce hocha la tête, et cela sembla suffisant pour le porcher. Il prit le cheval de Royce et le monta pour partir à travers les arbres dans une direction qui n’avait rien à voir avec les villages que Royce connaissait. Il poussa un soupir de soulagement.
Ce répit fut de courte durée. Il avait encore besoin de se cacher. Il s’enfonça parmi les arbres, trouvant un endroit au milieu du feuillage où il pouvait s’accroupir à l’ombre d’un tronc, entouré de ramures de houx.
Il s’accroupit là, parfaitement immobile, osant à peine respirer en attendant. Autour de lui, les cochons continuaient à fourrager, et l’un d’eux s’approchait de lui, reniflant le feuillage où il se cachait.
— Va-t’en, chuchota Royce, voulant que la créature passe son chemin. Il ne fit plus un bruit en entendant le bruit des sabots qui s’approchaient.
Il commençait à apercevoir ses poursuivants, tous en armure et l’épée au poing, tous l’air encore plus en colère qu’au début de la poursuite. Royce espérait vraiment qu’il n’avait pas mis le porcher en trop grand danger en le faisant participer à son évasion.
Le cochon continuait à s’approcher trop près de lui. Royce eut l’impression que l’un des hommes en arme regardait dans sa direction, il se força à être si immobile qu’il ne se risqua même pas à cligner des yeux. Si le cochon trahissait sa présence, il était sûr que les hommes lui tomberaient dessus et le mettraient en pièces.
Puis l’homme détourna le regard, et les soldats s’élancèrent à nouveau.
— Assez perdu de temps ! cria l’un d’eux. Il n’a pas pu aller bien loin !
Les chevaux des soldats tonnèrent, suivant le chemin que le porcher avait pris, vraisemblablement en suivant ses traces. Même après qu’ils soient partis, Royce garda sa position, serrant son épée de toutes ses forces, s’assurant qu’il ne s’agisse pas d’une ruse destinée à l’attirer dehors.
Finalement, il osa se déplacer, émergeant dans la clairière et repoussant les cochons devant lui. Il prit un moment pour regarder autour de lui, essayant de se faire une idée de la direction dans laquelle se trouvait son village. La supercherie lui avait fait gagner du temps, mais il fallait quand même qu’il se presse.
Il devait rentrer avant que les hommes du duc ne tuent tout le monde.
CHAPITRE DEUX
Geneviève ne put que rester silencieuse dans la grande salle du château pendant que son mari fulminait. Dans les moments où il n’était pas en colère, Altfor était en fait très beau, avec des cheveux bruns longs et ondulés, des traits aquilins et des yeux sombres et profonds. Geneviève l’avait toujours imaginé comme cela, le visage rouge et furieux, comme s’il s’agissait de sa véritable apparence, non son masque d’apparat.
Elle n’avait pas osé bouger, n’avait pas osé attirer sa colère, et elle n’était clairement pas la seule. Autour d’elle, les serviteurs et les valets de l’ancien duc se tenaient tranquilles, ne voulant pas être les premiers à s’attirer ses foudres. Même Moira semblait rester en arrière, bien qu’elle soit toujours là où Geneviève pouvait la voir, plus proche du mari de Geneviève qu’elle-même ne le serait jamais, en tous points.
— Mon père est mort ! cria Altfor, comme s’il y avait encore une personne au château qui ne savait pas ce qui s’était passé dans la fosse. D’abord mon frère, et maintenant mon père, assassiné par un traître, et aucun de vous ne semble avoir de réponses pour moi.
Cette colère paraissait dangereuse à Geneviève, trop sauvage et non dirigée, se déchaînant en l’absence de Royce, essayant de trouver quelqu’un à blâmer. Elle fut prise d’un étrange sentiment, désirant à la fois que Royce soit présent et reconnaissante qu’il ne le soit pas.
Pire encore, elle avait le cœur endolori par son absence, souhaitant avoir pu faire autre chose que de se tenir aux côtés de son mari et de le regarder du haut de la fosse. Une partie d’elle désirait ardemment être avec Royce à ce moment-là, et Geneviève savait qu’elle ne pouvait pas laisser Altfor percevoir cela. Altfor était déjà assez en colère, et elle n’avait ressenti que trop clairement à quel point cette colère pouvait facilement être dirigée contre elle.
— Personne ne fera-t-il face à cette situation ? exigea Altfor.
— C’est exactement ce que j’allais demander, mon neveu, retorqua une voix dure.
L’homme qui était entré dans la pièce donna à Geneviève l’envie de quitter les lieux au moins autant qu’Altfor. Avec Altfor, elle voulait éviter la chaleur de sa rage, mais chez cet homme, il se dégageait quelque chose de froid, quelque chose qui semblait être fait de glace. Il était plus âgé qu’Altfor d’une vingtaine d’années, avec des cheveux clairsemés et une carrure élancée. Il marchait avec ce qui semblait à première vue être un bâton, mais Geneviève vit la poignée sortir d’un fourreau et réalisa qu’il s’agissait d’une longue épée, encore dans son fourreau. Quelque chose dans sa démarche disait à Geneviève que c’était les blessures, et non l’âge, qui le poussait à utiliser cette canne mortelle.
— Oncle Alistair, dit Altfor. Nous… nous ne vous attendions pas.
En fait, Altfor semblait inquiet face à la présence du nouveau venu, et ce fut une surprise pour Geneviève. Il avait toujours semblé si parfaitement en contrôle avant, à présent la présence de cet homme semblait le déstabiliser complètement.
— Manifestement pas, dit l’homme élancé. Sa main caressait le pommeau de la longue épée sur laquelle il était appuyé. Le moment où tu ne m’as pas invité à ton mariage t’a probablement fait penser que je resterais dans mes domaines, que j’éviterais la ville et que je te laisserais tout gâcher à la suite de la mort de mon frère. Il regarda autour de lui, ses yeux tombèrent sur Geneviève la repérant au milieu de la foule de son regard de faucon. Félicitations pour ton mariage, ma fille. Je vois que mon neveu a le goût de l’inutile.
— Je… vous ne me parlerez pas de la sorte, dit Altfor. Il lui fallut un moment pour se rappeler qu’il devait défendre l’honneur de Geneviève. Ou à ma femme. Je suis le duc !
Alistair s’approcha de Geneviève, et à ce moment son épée quitta son fourreau, captant la lumière, large et tranchante comme un rasoir. Geneviève se figea sur place, osant à peine respirer alors que l’oncle d’Altfor tenait la lame à un pouce de sa gorge.
— Je pourrais trancher la gorge de cette fille, et aucun de tes hommes ne lèverait le petit doigt pour m’arrêter, dit Alistair. Et certainement pas toi non plus.
Geneviève n’avait pas besoin de regarder vers Altfor pour savoir qu’il disait vrai. Il n’était pas le genre de mari assez prévenant pour essayer de la défendre. Aucun des courtisans ne voudrait l’aider, et Moira… Moira la regardait comme si une partie d’elle-même espérait qu’Alistair mette sa menace à exécution.
Geneviève ne pouvait compter que sur elle-même.
— Pourquoi me passeriez-vous