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      — Tu crois que je vais volontairement précipiter tout ce qui est à venir ? D’après ce que j’ai vu, il y aura assez de morts sans cela. Je vais te dire ceci : regarde le symbole que tu portes. Maintenant, peux-tu donner une longueur d’avance à une vieille femme avant de faire quelque chose de stupide comme allumer ce feu ?

      La colère s’empara de Royce, émergeant de son chagrin.

      — Vous ne vous souciez d’aucun des gens d’ici ? Vous allez simplement partir avant que ça ne soit fait ?

      — C’est fait, répondit Lori. La mort s’en est chargée. Et ne t’avise pas de m’accuser de ne pas m’en soucier. J’ai vu des choses qui… Arrgh, à quoi bon !

      Elle tendit une main vers le bûcher que Royce avait construit, murmurant des mots dans une langue qui lui fit mal aux oreilles. De la fumée commença à s’en échapper avant que n’apparaissent les premiers éclats des flammes.

      — Voilà, ça te fait te sentir mieux ? demanda-t-elle. J’ai réussi à m’empêcher d’y recourir pendant qu’un homme me poignardait, j’allais me laisser mourir, non pas que j’avais le pouvoir de faire autre chose, étant si vieille. Maintenant, tu me pousse à le faire en moins de cinq minutes, maudit sois-tu !

      Royce dû admettre que sa colère était assez impressionnante. Il y avait quelque chose de presque élémentaire. Malgré tout, il lui restait une dernière question à poser.

      — Aviez-vous… Aviez-vous le pouvoir de sauver les gens ici, Lori ?

      — Vas-tu essayer de rejeter la faute sur moi ? se vexa-t-elle. Elle hocha la tête en direction du feu qui commençait tout juste à prendre. La magie, ce n’est pas seulement invoquer des rideaux de feu ou appeler la foudre du ciel, Royce. Avec un rituel assez long, je peux peut-être faire des choses qui pourraient t’impressionner, mais une étincelle comme ça est à peu près la limite de ce que je peux faire dans mon état. Je m’en vais à présent, et n’essaie pas de m’arrêter, mon garçon. Tu vas me causer assez d’ennuis comme ça.

      Elle se retourna et, pendant un instant, Royce songea à lui attraper le bras, mais quelque chose le retint, et il se contenta simplement de fixer le feu qui grandissait dans le noir. Devant lui, il pouvait voir les scintillements et les étincelles de la conflagration à mesure qu’elle grandissait, se transformant en un brasier qui donnait l’impression qu’il consumait le ciel entier de sa chaleur.

      Royce se tenait aussi immobile que possible, pensant à toutes les personnes présentes dans ce bûcher, voulant les honorer en regardant les derniers instants de leur corps. Le feu brûlait et consumait, se levant et tombant avec le vent et le combustible en dessous, de sorte qu’il ressemblait presque à une sorte de symphonie née du feu aux yeux de Royce.

      Quelque chose d’autre traversa le feu, sombre contre les flammes, les traversant aussi facilement que s’il ne les sentait pas. Royce distingua la forme d’un grand balbuzard pêcheur, le genre à plonger dans les lacs avoisinants, mais ce n’était pas un oiseau ordinaire. Ses plumes semblaient teintées par le rouge du feu quand elles n’étaient pas d’un noir profond, et il y avait quelque chose de beaucoup trop intelligent dans le regard qu’il jeta à Royce quand il le survola, rougeoyant de braises dans le noir.

      Par instinct, Royce tendit un bras comme il avait vu faire les fauconniers, et l’oiseau s’installa lourdement sur son avant-bras, remontant jusqu’à son épaule et se lissant ses plumes. Il se mit à parler et ce fut la voix de Lori qui se fit entendre.

      — Cet oiseau est un don, bien que les seuls dieux sachent pourquoi je le fais. Je verrai ce qu’elle voit et te dirai ce que je peux. Qu’elle soit tes yeux, et qu’elle puisse aider dans ce qui va arriver.

      — Quoi ? demanda Royce. Que voulez-vous dire ?

      Il n’y eut pas de réponse, si ce n’est le cri strident de l’appel du faucon alors qu’elle prenait son envol. Pendant un instant, Royce eut une image du feu en dessous de lui, le cercle de flammes qu’il formait semblant chétif vu de si haut…

      Il revint à lui dans un sursaut et tendit son bras pour l’oiseau. Elle atterrit nonchalamment comme si de rien n’était, mais il se retrouva à la regarder fixement. Il y avait un scintillement de flamme dans son œil qui montrait clairement qu’il s’agissait de tout sauf d’un faucon ordinaire.

      — Ember, dit Royce. Je t’appellerai Ember.

      ***

      Royce resta aux côtés d’Ember toute la nuit, ignorant la douleur dans ses jambes et son corps qui se battait contre lui dans son désir de bouger. Ils veillèrent sur le feu pendant qu’il se consumait, avec le faucon qui voltigeait de temps en temps au-dessus des flammes, s’envolant dans les courant chauds qu’elles créaient.

      Il ne bougea pas ; il avait l’impression qu’il le devait aux morts.

      Enfin, le soleil se leva à l’horizon, dévoilant aux yeux de Royce les hommes et les femmes à la lisière des arbres près du village. Il se tourna vers eux et il se sentit trébucher, ses jambes refusant de lui obéir après être restées si longtemps immobiles. Si c’était les gens du duc, alors il était aussi mort que Lori l’avait prédit.

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