La scène changea à nouveau, montrant ce qui était visiblement une salle de torture. Des hommes et des femmes hurlaient pendant que des figures masquées officiaient avec des fers chauffés à blanc.
“Ou peut-être te livrerai-je aux prêtres de la Déesse Masquée, auprès desquels tu devras faire acte de repentir pour tes crimes.”
“Vous ne feriez jamais ça”, dit Kate.
Siobhan tendit la main et saisit Kate si vite qu'elle eut à peine le temps de réfléchir avant que l'autre femme ne lui enfonce la tête sous la surface de l'eau de la fontaine. Kate cria mais cela signifia juste qu'elle n'eut pas le temps d'inspirer avant de plonger. Le froid de l'eau l'entoura. Elle se débattit mais eut l'impression que sa force l'avait désertée au pire des moments.
“Tu ne sais pas ce que je ferais et ce que je ne ferais pas”, dit Siobhan, dont la voix sembla venir de très loin. “Tu t'imagines que je vois le monde comme toi. Tu t'imagines que je vais m'arrêter juste avant de passer à l'acte, ou être gentille, ou ne pas tenir compte de tes insultes. Je pourrais t'envoyer faire tout ce que je veux et tu serais encore à moi. Je pourrais faire tout ce que je voudrais de toi.”
Alors, Kate vit des choses dans l'eau. Elle vit des silhouettes qui hurlaient, terrassées par l'agonie. Elle vit un espace rempli de douleur et de violence, de terreur et d'impuissance. Elle reconnut certaines silhouettes parce qu'elle les avait tuées, à moins que ce ne soient que leurs fantômes. Elle avait vu leurs images quand ils l'avaient poursuivie dans la forêt. C'étaient des guerriers qui avaient juré fidélité à Siobhan.
“Ils m'ont trahie”, dit Siobhan, “et ils ont payé pour leur trahison. Tu tiendras la promesse que tu m'as faite ou je te transformerai en quelque chose de plus utile. Obéis-moi ou tu les rejoindras et me serviras comme eux.”
Alors, elle relâcha Kate, qui se releva en postillonnant et en haletant. A présent, la fontaine avait disparu, elles étaient de retour dans la cour de la forge et Siobhan était à quelque distance de Kate comme si rien ne s'était passé.
“Je veux être ton amie, Kate”, dit-elle. “Tu n'as pas intérêt à m'avoir comme ennemie. Cela dit, je ferai le nécessaire.”
“Le nécessaire ?” répliqua Kate. “Vous pensez qu'il faut que vous me menaciez ou que vous fassiez massacrer des gens ?”
Siobhan ouvrit les mains. “Comme je l'ai dit, telle est la malédiction du pouvoir. Tu as le potentiel d'être très utile dans ce qui vient et je compte en profiter au maximum.”
“C'est hors de question”, dit Kate. “Je ne tuerai pas une fille que je ne connais pas sans raison.”
Alors, Kate riposta, pas physiquement mais avec ses pouvoirs. Elle rassembla sa force et la lança comme une pierre vers les murs qui se dressaient autour de l'esprit de Siobhan. Sa force rebondit et le pouvoir s'éteignit.
“Tu n'as pas le pouvoir qu'il faut pour m'affronter”, dit Siobhan, “et tu ne peux pas choisir de le faire. Je vais t'expliquer.”
Elle fit un geste et la fontaine apparut à nouveau, les eaux troubles. Cette fois-ci, quand l'image se stabilisa, elle n'eut pas besoin de demander qui elle voyait.
“Sophia ?” dit Kate. “Laissez-la tranquille, Siobhan, je vous avertis —”
Siobhan la saisit à nouveau et la força à regarder cette image avec la force démentielle qu'elle semblait posséder en ce lieu.
“Quelqu'un va mourir”, dit Siobhan. “Tu peux choisir qui : il te suffit de décider si tu acceptes de tuer Gertrude Illiard. Tu peux la tuer ou ta sœur peut mourir. C'est à toi de choisir.”
Kate la regarda fixement. Elle savait que ce n'était pas un choix, pas vraiment, parce qu'il s'agissait de sa sœur. “D'accord”, dit-elle. “Je le ferai. Je ferai ce que vous voulez.”
Elle fit demi-tour et repartit vers Ashton. Elle n'alla pas dire au revoir à Will, à Thomas ou à Winifred, en partie parce qu'elle ne voulait pas prendre le risque que Siobhan s'intéresse à eux et en partie parce qu'elle était sûre qu'ils verraient d'une façon ou d'une autre ce qu'il allait falloir qu'elle fasse par la suite et qu'ils auraient honte d'elle pour cette raison.
Kate avait honte. Elle détestait ce qu'elle allait faire et le fait de n'avoir aucun choix. Elle devait se contenter d'espérer que ce n'était qu'une mise à l'épreuve et que Siobhan l'arrêterait à temps.
“Il faut que je le fasse”, se dit-elle en marchant. “Il le faut.”
Oui, lui murmura la voix de Siobhan, il le faut.
CHAPITRE DEUX
Sophia repartit vers le camp qu'elle avait dressé avec les autres. Elle ne savait pas quoi faire, quoi penser, ni même quoi ressentir. Dans l'obscurité, il fallait qu'elle se concentre sur chaque pas qu'elle faisait mais, en vérité, elle n'arrivait pas à se concentrer, pas après tout ce qu'elle venait de découvrir. Elle trébuchait sur les racines, se tenait aux arbres pour ne pas tomber tout en essayant de donner un sens à cette nouvelle. Elle sentait les feuilles se prendre dans ses longs cheveux roux et l'écorce dessiner des rayures vert mousse sur sa robe.
La présence de Sienne la calmait. La chatte de la forêt se poussait contre ses jambes, la ramenait vers l'endroit où se trouvait le chariot et le cercle de lumière qu'émettait le feu de camp semblait être le seul lieu de sécurité dans un monde qui avait soudain perdu ses fondations. Cora et Emeline étaient là. L'ex-domestique liée par contrat synallagmatique au palais et la femme frêle qui avait le talent de lire dans les pensées regardaient Sophia comme si elle s'était transformée en fantôme.
A ce moment-là, Sophia n'était pas sûre de ne pas en être devenue un. Elle se sentait désincarnée, irréelle, comme si le moindre souffle pouvait l'envoyer voler dans une dizaine de directions différentes sans qu'elle puisse jamais retrouver sa cohérence passée. Sophia savait que son retour au camp entre les arbres devait lui avoir donné l'air d'une sauvage. Assise contre une des roues du chariot, elle regardait dans le vide pendant que Sienne se blottissait contre elle presque à la manière d'une chatte domestique, pas de la grande prédatrice qu'elle était.
“Que se passe-t-il ?” demanda Emeline. Est-ce qu'il t'est arrivé quelque chose ? ajouta-t-elle mentalement.
Cora s'approcha aussi de Sophia et lui toucha l'épaule. “Y a-t-il un problème ?”
“Je …” Sophia rit, bien que le rire soit tout sauf une réaction appropriée à ce qu'elle ressentait. “Je crois que je suis enceinte.”
Quelque part au milieu de ces paroles, le rire se transforma en larmes et, quand elles commencèrent à couler, Sophia ne put plus les arrêter. Elles se déversèrent et même elle n'aurait pas pu dire si elles étaient des larmes de joie ou de désespoir, des larmes de tension à l'idée de tout ce qui l'attendait peut-être ou dues à tout à fait autre chose.
Les autres s'approchèrent et la prirent dans leurs bras pendant qu'elle voyait le monde flou dans la brume de ses émotions.
“Ça ira”, dit Cora. “On se débrouillera.”
Sophia ne voyait pas comment elles allaient pouvoir y arriver.
“C'est Sebastian le père ?” demanda Emeline.
Sophia hocha la tête. Comment aurait-il pu y avoir quelqu'un d'autre ? Alors, elle comprit … Emeline pensait à Rupert et demandait si sa tentative de viol était allée plus loin qu'elles ne le pensaient.
“Sebastian …” réussit à dire Sophia. “Je n'ai jamais couché qu'avec lui. C'est son enfant.”
Leur enfant. Ou du