— Ce n’est pas ce que je veux dire, dit Asha et, une fois de plus, Sebastian comprit clairement qu’elle lisait dans ses pensées.
Sebastian regarda l’endroit où Emeline était assise avec Cora, qui tenait Violette, la fille de Sebastian, dans ses bras. Cora avait l’air heureuse de tenir Violette et Sebastian s’en réjouissait parce qu’il avait vu à quel point elle avait souffert quand Aidan était mort.
— Emeline, pouvez-vous m’aider ? demanda-t-il. Asha lit dans mes pensées.
Emeline approcha en lançant un regard noir à la seconde en chef de Stonehome. Sebastian sentit quelque chose s’installer autour de son esprit comme un manteau et il devina qu’elle en avait bloqué l’accès à Asha.
— Je pourrais contourner ce blocage, dit Asha.
Emeline sourit froidement.
— Non. D’ailleurs, si vous aviez du respect pour autrui, il ne serait pas nécessaire.
— Pourquoi les gens voudraient-ils cacher leurs pensées s’ils n’avaient aucune mauvaise intention ? répliqua Asha, mais elle l’avait dit d’un ton peu convaincu.
— Nous trouverons la place que nous pourrons pour les réfugiés, dit Vincente. Vous êtes notre roi, Sebastian.
Asha le regarda avec une surprise évidente et Sebastian comprit qu’une conversation silencieuse avait lieu entre eux deux. Emeline la lui rapporta.
— Asha affirme que, même si Sophia est leur reine, vous êtes le fils de la Douairière et elle ne peut pas vous suivre. Elle dit qu’ils savent tous les deux que Violette est leur vraie reine.
Emeline sourit d’un air ironique quand Asha lui lança un regard noir.
— Cela ne me gêne pas de le dire franchement, dit Asha. La Princesse Violette est des nôtres. Elle a sa place ici et elle sera une excellente reine.
— Un jour, convint Sebastian, mais il n’aimait pas la façon dont Asha le disait. Elle parlait comme si Sophia et Sebastian ne comptaient pas, comme s’ils n’existaient que parce qu’ils avaient donné naissance à Violette.
— Sebastian est notre roi, dit Vincente à voix haute. Sophia est notre reine et Stonehome soutient la couronne. Ils créeront un monde où nous pourrons vivre, Asha.
— Ils n’ont même pas de monde où ils peuvent vivre, dit Asha en désignant les tentes. Nous les avons sauvés, mais ils se plaignent. « Nous logeons dans des tentes », « Pourquoi n’y a-t-il pas plus de nourriture ? », « Et s’ils lisent dans mes pensées ? » Nous nous épuisons à les protéger et, quand nous en avons assez d’eux, ils s’étonnent.
— Cela prendra du temps, Asha, dit Emeline. Il faudra seulement —
Sebastian la vit se figer sur place, les yeux dans le vague, regardant derrière lui. Sebastian savait ce que cela signifiait : elle voyait une chose qui se passait bien au-delà des confins de la ville cachée.
— Que se passe-t-il ? dit Sebastian quand il vit Emeline reprendre conscience en clignant des yeux. Qu’avez-vous vu, Emeline ?
— Nous ne sommes pas en sécurité ici, dit Emeline. J’ai vu … j’ai vu tomber les boucliers. J’ai vu entrer la Nouvelle Armée.
— Impossible, dit Vincente. Les boucliers sont indestructibles. Nous avons facilement repoussé l’ennemi la dernière fois.
— Je l’ai vu, insista Emeline.
Quand elle se tourna vers Sebastian, il vit qu’elle parlait vraiment sérieusement. Nous devons emmener Violette loin d’ici.
Sebastian cligna des yeux mais ne put qu’approuver. Si le Maître des Corbeaux allait entrer dans Stonehome, alors, il fallait en sortir Violette. Il fallait qu’ils partent tous.
— Mais vous ne pouvez pas emmener Violette, dit Asha. Elle est des nôtres !
Sebastian se tourna vers elle, étonné de l’entendre soudain si protectrice.
— Violette est ma fille, dit-il, et je refuse de la mettre en danger.
Il vit Asha secouer la tête.
— Elle n’est pas en danger. Vincente a raison. Personne ne peut entrer dans Stonehome.
— Je l’ai vu ! répliqua Emeline.
— Où pourrions-nous l’emmener ? demanda Sebastian.
S’ils pouvaient atteindre la côte, ils pourraient peut-être aller à Ishjemme, mais cela signifierait abandonner le royaume qu’ils venaient de conquérir. Ils le perdraient avant que Sophia ne puisse y revenir.
— Il n’y a aucun endroit aussi protégé qu’ici, dit Vincente. Le seul endroit qui aurait pu être plus fort serait Monthys à l’époque où il avait ses défenses mais Monthys est tombé.
— Ce qui signifie que l’ennemi n’y est pas maintenant, signala Emeline.
— De toute façon, il ne serait pas protégé, dit Vincente. Avant les guerres civiles, Monthys avait des couches de magie et de remparts mais, maintenant …
Sophia avait expliqué à Sebastian dans quel état Monthys était maintenant, en triste état, presque en ruine. Ulf et Frig avaient essayé de le reconstruire, mais ils étaient morts, maintenant, tués par le Maître des Corbeaux. La Nouvelle Armée l’avait probablement négligé, mais il serait absurde de le prendre pour un endroit sûr.
— Monthys attirera des gens, dit Emeline, et le réseau des défenses magiques s’y trouve forcément encore. On pourra le réactiver.
— Nous avons des défenses magiques ici, insista Asha. Nous ne vous avons permis de venir ici que pour le bien de Violette.
— Ce n’est pas la seule raison, dit Vincente.
Asha lui lança un regard irrité et Sebastian eut l’impression que c’était un sujet sur lequel ils s’étaient déjà disputés, mais il était plus intéressé par ce qu’Asha avait dit.
— Vous n’avez accueilli les réfugiés que parce que ma fille était parmi eux ? À cause d’une vision que vous avez eue ?
Asha prit un air récalcitrant.
— Pas seulement à cause de ce que j’ai vu, moi. Tous ceux qui lisent dans l’avenir ont vu la future reine. Vous ne pouvez pas le nier.
— Ma fille choisira son propre avenir, dit Sebastian. Je ferai le nécessaire pour qu’elle soit en sécurité et pour qu’elle puisse choisir. S’il le faut, je me battrai dans ce but. Ne l’oubliez pas, Asha.
— Nous ne sommes pas ennemis, dit Vincente. Nous sommes —
Sebastian ne sut jamais exactement ce qu’ils étaient parce que, à ce moment-là, des cloches résonnèrent, signalant qu’il se passait quelque chose au-delà des murailles de la ville.
— Il faut qu’on parte, dit Emeline. Ça va arriver.
— Nous sommes en sécurité ici, insista Asha. C’est juste une ruse pour soustraire la Princesse Violette à son peuple.
Sebastian l’ignora et courut aux murailles de Stonehome. Le bouclier que les habitants avaient mis en place était dressé, maintenu par les efforts des citadins qui se tenaient dans le cercle de pierres du milieu.
Un bataillon de la Nouvelle Armée se tenait devant la ville, les canons pointés sur elle, les cavaliers répartis devant comme un filet. Sebastian fut plus intéressé par les silhouettes qui avançaient. Il reconnut tout de suite le Maître des Corbeaux. L’homme à la tête rasée qui se tenait à côté de lui était plus difficile à identifier, mais il se tenait presque comme s’il était l’égal du Maître des Corbeaux.
— C’est Endi, dit Emeline, le cousin de Sophia.
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