Elle était enfermée sous le parquet, allongée par terre, dans l’obscurité.
Une petite lumière dansait vers elle. Elle aperçut sa grimace cruelle derrière le halo aveuglant. Mais venait-il pour elle ou pour April ?
Non, elle devait distinguer ce cauchemar de la réalité.
Peterson est mort, dit-elle avec conviction. Il ne nous fera plus rien, ni à moi, ni à April.
Elle s’obligea à se concentrer. Elle avait une nouvelle maison et une nouvelle vie. Gabriela était partie faire les courses. April ne devait pas être loin.
Sa respiration s’apaisa, mais Riley ne put se résoudre à se lever. Elle eut peur de hurler à nouveau.
Au terme de ce qui lui parut une éternité, Riley entendit la porte d’entrée s’ouvrir.
April entra en chantonnant.
Cette fois, Riley bondit sur ses pieds.
— Mais où tu étais, merde ?
April resta bouche bée.
— C’est quoi, ton problème, Maman ?
— Où tu étais ? Pourquoi tu n’as pas répondu à mon message ?
— Désolée, mon téléphone était en silencieux. Maman, j’étais chez Cécé. De l’autre côté de la rue. Quand on est descendues du bus, sa mère nous a proposé d’aller manger une glace.
— Comment j’étais censée le savoir ?
— Je ne pensais pas que tu rentrerais si tôt.
Riley s’entendit hurler, mais elle ne put se retenir :
— Je me fiche de ce que tu penses ! Tu dois toujours me dire…
Les larmes qui brillèrent dans les yeux de sa fille l’interrompirent.
Riley reprit son souffle. Elle fit un pas en avant et étreignit April. Le corps de sa fille, rigide de colère, se détendit lentement dans ses bras. Riley se rendit compte qu’elle pleurait également.
— Je suis désolée, souffla-t-elle. Je suis désolée. Mais après tout ce qu’on a vécu… toutes ces horreurs…
— Mais c’est fini, dit April. Maman, c’est fini.
Elles s’assirent toutes deux sur le canapé. C’en était un nouveau : elles l’avaient acheté tout spécialement pour la maison et pour démarrer leur nouvelle vie.
— Je sais que c’est fini, dit Riley. Je sais que Peterson est mort. J’essaye de m’y habituer.
— Maman, tout va tellement mieux ! Tu n’as pas besoin de t’inquiéter tout le temps. Et je ne suis pas une gamine débile. J’ai quinze ans.
— Et tu es très intelligente, dit Riley. Je le sais. Je dois juste me le rappeler de temps en temps. Je t’aime, April. C’est pour ça que je suis un peu bizarre, parfois.
— Je t’aime aussi, Maman, dit April, mais arrête de t’inquiéter.
Pour le plus grand plaisir de Riley, April sourit. Elle avait été enlevée, retenue prisonnière et menacée avec un chalumeau. Pourtant, elle était redevenue une adolescente parfaitement normale. C’était sa mère qui avait du mal à lâcher prise.
Riley ne pouvait s’empêcher de se demander si les tristes souvenirs traînaient encore au fond de la mémoire de sa fille, prêts à se faire entendre à tout moment.
Quant à elle, elle comprit qu’elle avait besoin de parler à quelqu’un de ses peurs et de ses cauchemars. Dès que possible.
Chapitre six
Riley se balançait nerveusement sur sa chaise. Que voulait-elle dire à Mike Nevins ?
— Prends ton temps, dit le psychiatre en la couvant d’un regard inquiet.
Riley étouffa un rire sans joie.
— C’est justement ça, le problème, dit-elle. Je n’ai pas le temps. Je traîne les pieds. Il faut que je prenne une décision. Ça fait trop longtemps que je remets à plus tard. Tu m’as déjà vu si indécise ?
Mike ne répondit pas. Il se contenta de sourire.
Riley ne l’avait jamais vu comme ça. L’élégant psychiatre avait eu bien des rôles dans sa vie : celui d’un ami, d’un thérapeute et parfois même celui d’un mentor. Elle l’avait souvent appelé pour connaître son avis sur le profil d’un criminel. Cette fois, c’était différent. Elle l’avait contacté la veille, en rentrant de l’exécution, puis elle était venue ce matin.
— Quelles sont les différentes options ? demanda-t-il enfin.
— En gros, je dois décider de ce que je veux faire du reste de ma vie – enseigner ou retourner sur le terrain. Ou totalement autre chose.
Mike rit doucement.
— Attends une minute. Ne parlons pas du reste de ta vie. Parlons d’aujourd’hui, de maintenant. Meredith et Jeffreys veulent que tu prennes une affaire. Une seule. Ce n’est pas l’un ou l’autre pour le reste de ta vie. Personne n’a dit que tu devais renoncer à l’enseignement. Tu n’as que deux options très simples : oui ou non. Alors quel est le problème ?
Riley ne répondit pas. Elle ne savait pas quel était le problème. C’était pour cela qu’elle était venue.
— Je crois que quelque chose t’effraye, dit Mike.
Riley avala sa salive avec difficulté. Oui. Elle avait peur. Elle se refusait à l’admettre, même dans sa propre tête. Mike allait la faire parler.
— De quoi as-tu peur ? demanda Mike. Tu dis que tu as des cauchemars…
Riley ne répondit pas.
— Ça fait partie du stress post-traumatique, dit Mike. Tu as des visions, des souvenirs qui reviennent sous forme de flashs ?
Cette question ne surprit pas Riley. Après tout, Mike l’avait aidée plus que tout autre à s’en sortir.
Elle renversa sa tête sur le dossier de sa chaise et ferma les yeux. L’espace d’un instant, elle retourna dans la cage de Peterson et il la menaça avec la flamme de son chalumeau. Pendant des mois, après sa libération, ce souvenir avait trouvé le moyen de s’imposer à elle au moment où elle s’y attendait le moins.
Mais elle avait tué Peterson de ses propres mains. En fait, elle avait fait de son visage une bouillie à peine identifiable.
Si ce n’est pas ça, régler ses problèmes, je ne sais pas ce que c’est, pensa-t-elle.
Les souvenirs de sa captivité lui paraissaient maintenant impersonnels, comme si elle regardait défiler les images d’un film.
— Je vais mieux, dit-elle. Ça m’arrive moins souvent et ça dure moins longtemps.
— Et ta fille ?
La question ouvrit une entaille dans le cœur de Riley. Un écho de l’horreur qu’elle avait ressentie après l’enlèvement de April la heurta comme un coup de fouet. Elle entendait encore sa fille appeler à l’aide.
— Je pense que je n’ai pas tourné la page, dit-elle. Je me réveille en sueur, la peur au ventre. Je suis obligée d’aller voir dans sa chambre si elle est là.
— C’est pour ça que tu ne veux pas prendre une nouvelle affaire ?
Un frisson parcourut l’échine de Riley.
— Je n’ai pas envie de lui faire subir ça de nouveau.
— Cela ne répond pas à ma question.
—