NORFOLK.–J'en conviens, c'est ce qui est arrivé.
BUCKINGHAM.–Je vous prie, veuillez bien m'écouter. Cet artificieux cardinal a dressé les articles du traité comme il lui a plu, et ils ont été ratifiés dès qu'il a dit: Que cela soit; et cela pour servir tout autant que des béquilles à un mort. Mais c'est notre comte cardinal qui l'a fait, et tout est au mieux; c'est l'ouvrage du digne Wolsey, qui ne peut jamais se tromper!–Et voici maintenant les conséquences, que je regarde en quelque sorte comme les enfants de la vieille mère: c'est que l'empereur Charles, sous couleur de rendre visite à la reine sa tante (car voilà son prétexte, mais il est venu en effet pour marmotter avec Wolsey), nous arrive ici dans la crainte où il était que cette entrevue de la France et de l'Angleterre ne vînt à établir entre ces deux puissances une amitié contraire à ses intérêts; car il a pu entrevoir dans ce traité des dangers qui le menaçaient. Il négocie secrètement avec notre cardinal, pour l'engager à changer les projets du roi, et lui faire rompre la paix; et c'est, je n'en doute pas, après avoir fait et pavé un pont d'or que l'empereur a exprimé son désir, et j'ai d'autant plus de raisons de le croire que je sais certainement qu'il a payé avant de promettre, en sorte que sa demande a été accordée avant qu'il la formât. Il faut que le roi sache, comme il le saura bientôt par moi, que c'est ainsi que le cardinal achète et vend comme il lui plaît, et à son profit, l'honneur de Sa Majesté.
NORFOLK.–Je suis fâché d'entendre ce que vous dites du cardinal, et je désirerais qu'il y eût là quelque erreur sur son compte.
BUCKINGHAM.–Il n'y a pas l'erreur d'une syllabe; je le déclare tel que je vous le peins; la preuve vous le montrera tel.
BRANDON.–Sergent, faites votre devoir.
LE SERGENT.–Au nom du roi, notre souverain, je vous arrête, milord duc de Buckingham, comte d'Hereford, de Strafford et de Northampton, pour crime de haute trahison.
BUCKINGHAM.–Tenez, milord, me voilà pris dans ses filets; je périrai victime de ses intrigues et de ses menées.
BRANDON.–Je suis fâché de vous voir ôter la liberté d'agir dans cette affaire; mais la volonté de Sa Majesté est que vous vous rendiez à la Tour.
BUCKINGHAM.–Il ne me servira de rien de vouloir défendre mon innocence; on a jeté sur moi une couleur qui me noircira dans ce que j'ai de plus pur. Que la volonté du ciel soit faite en cela et en toutes choses! J'obéis:–O mon cher lord Abergavenny.... Adieu.
BRANDON.–Eh mais, il faut qu'il vous tienne compagnie. (Au lord Abergavenny.) C'est la volonté du roi que vous soyez mis à la Tour, jusqu'à ce qu'il ait pris une détermination ultérieure.
ABERGAVENNY.–Comme a dit le duc, que la volonté du Ciel soit faite, et les ordres du roi accomplis.
BRANDON.–Voici un ordre du roi pour s'assurer de lord Montaigu, et de la personne du confesseur du duc, Jean de la Cour; d'un Gilbert Peck, son chancelier....
BUCKINGHAM.–Allons, allons, ce seront les membres du complot! Il n'y en a point d'autres, j'espère?
BRANDON.–Il y a un chartreux!
BUCKINGHAM.–Ah! Nicolas Hopkins?
BRANDON.–Lui-même.
BUCKINGHAM.–Mon intendant est un traître! Le souverain cardinal lui aura fait voir de l'or. Mes jours sont déjà comptés; je ne suis que l'ombre du pauvre Buckingham effacé dès cet instant par le nuage qui vient d'obscurcir l'éclat de mon soleil. Adieu, milord.
SCÈNE II
LE ROI HENRI.–Oui, ma vie et tout ce qu'elle a de plus précieux vous sont redevables de ce grand service; j'étais déjà sous le coup d'une conspiration prête à éclater, et je vous remercie de l'avoir étouffée. Qu'on fasse venir devant nous ce gentilhomme du duc de Buckingham; je veux l'entendre lui-même soutenir ses aveux, et me répéter de point en point la trahison de son maître.
(On entend du bruit derrière le théâtre, et l'on crie Place à la reine! La reine entre précédée des ducs de Norfolk et Suffolk, et se jette aux pieds du roi, qui se lève de son trône, la relève, l'embrasse et la place auprès de lui.)
CATHERINE.–Non, il faut que je reste à vos pieds; je suis une suppliante.
LE ROI HENRI.–Levez-vous, et prenez place auprès de nous. Il y a toujours une moitié de vos demandes que vous n'avez pas besoin d'exprimer; vous avez la moitié de notre pouvoir, et l'autre vous est accordée avant que vous la demandiez. Déclarez votre volonté, et elle sera exécutée.
CATHERINE.–Je rends grâces à Votre Majesté. L'objet de ma pétition est que vous daigniez vous aimer vous-même, et que, d'après ce sentiment, vous ne perdiez pas de vue votre honneur et la dignité de votre rang.
LE ROI HENRI.–Continuez, madame.
CATHERINE.–Un grand nombre de personnes, et toutes d'une condition relevée, m'ont conjurée de vous dire, de vous apprendre que vos sujets souffrent cruellement; qu'on a fait circuler dans le royaume des ordres qui ont porté un coup fatal à leurs sentiments de fidélité; et quoique dans leurs ressentiments, mon bon lord cardinal, ce soit contre vous qu'ils s'élèvent avec le plus d'amertume, comme le promoteur de ces exactions, cependant le roi notre auguste maître (dont le Ciel veuille préserver le nom de toute tache!), le roi lui-même n'échappe pas à des propos tellement irrévérents, que, brisant toutes les retenues qu'impose la loyauté, ils se tournent presque en révolte déclarée.
NORFOLK.–Non pas presque, mais tout à fait, car, opprimés par ces taxes, tous les fabricants se trouvant hors d'état d'entretenir les ouvriers de leurs ateliers, ont renvoyé les fileurs, cardeurs, fouleurs et tisserands qui, incapables de tout autre travail, poussés par faim et par le défaut de ressources, se sont soulevés, affrontant l'événement en désespérés; et le danger s'est enrôlé parmi eux.
LE ROI HENRI.–Des taxes! où donc? et quelle taxe enfin?–Milord cardinal, vous qui êtes avec nous l'objet de leurs reproches, avez-vous connaissance de cette taxe?
WOLSEY.–Je répondrai à Votre Majesté que je ne les connais que pour ma part personnelle dans ce qui concerne les affaires de l'État: je ne suis que le premier dans la ligne où mes collègues marchent avec moi.
CATHERINE.–Non, milord, vous n'en savez pas plus que les autres; mais c'est vous qui dressez les plans dont ils ont comme vous connaissance, et qui ne sont pas salutaires à ceux qui voudraient bien ne les connaître jamais, et qui cependant sont forcément obligés de faire connaissance avec eux. Ces exactions, dont mon souverain désire être instruit, sont odieuses à entendre raconter, et on ne les saurait porter sans que les reins succombent sous un tel fardeau. On dit qu'elles sont imaginées par vous; si cela n'est pas, vous êtes malheureux d'exciter de telles clameurs.
LE ROI HENRI.–Et toujours des exactions? De quel genre? De quelle nature est enfin cette taxe? Expliquez-le-nous.
CATHERINE.–Je m'expose peut-être trop à irriter votre patience; mais enfin je m'enhardis sur la promesse de votre pardon. Le mécontentement du peuple vient des ordres qui ont été expédiés pour lever sur chacun la sixième partie du revenu, exigible sans délai; on donne pour prétexte une guerre contre la France. Par là les bouches