Je courbai les épaules, et je repris à travailler. Dans ce moment je pensai à Monique. Voici une femme experte à donner les vertiges aux hommes, à les séduire dans des tissus des mensonges et de rêve. A conquérir leur attention avec une grande habilité. Une fois je lui avais demandé comme elle avait appris l’art de la séduction. D’abord elle avait répondu. “on ne l’apprend pas, Mélisande. Ou tu la possède de toujours, ou tu dois seulement la rêver ”. Donc elle s’était tournée vers moi, et son expression s’était adoucie. “Quand tu auras mon âge, tu sauras quoi faire, tu verras”.
Maintenant je l’avais cet âge, et j’étais mise pire qu’avant. Mes connaissances masculines avaient été toujours sporadiques et de courte durée. Tous les hommes me refilaient la même séquelle de questions: Comment t’appelles-tu? Que fais-tu dans la vie? Quelle voiture tu conduis? A la nouvelle que j’étais sans permis de conduire ils me regardaient comme une bête curieuse, comme si j’avais été contagiée par une terrible maladie. Et moi je ne partageais pas du tout les confidences.
Je passai la main sur la couverture reliée d’un livre. C’était une édition luxueuse, en cuivre marocain, d’Orgueil et Préjugés, de Jane Austen.
“Je parie que c’est ton préféré”.
Je soulevai brusquement la tête. Mc Laine m’étudia de sous les paupières entrouvertes, un scintillement dans ce manteau noir.
“Non” répondis-je, en mettant le livre sur l’étagère. “Je l’aime, toutefois il n’est pas mon préféré”.
“Alors il sera Les Hauts de Hurlevent”. Il me donna un sourire à couper le souffle, inattendu.
Mon cœur fit un bond, et de justesse il ne précipita dans le néant. “Néanmoins” répondis-je, en remarquant avec plaisir la fermeté de ma voix.
“Il ne finit pas exactement très bien. Comme je t’ai déjà dit, j’ai un penchant marqué pour l’heureux dénouement ”.
Il tourna le fauteuil roulant, et il se porta à quelques pas de moi, l’expression absorbée. “Persuasion, toujours de la Austen. Il finit très bien, tu ne peux pas le nier ”. Il ne cherchait néanmoins à cacher combien il était en train de s’amuser, et moi aussi je m’étais passionnée à ce jeu.
“Il est beau, je l’admis, tu es encore loin. C’est un livre centré sur l’attente, et je ne suis pas bonne à attendre. Trop impatiente. Je finirai pour me résigner, ou à changer désir”.
Maintenant ma voix était frivole. Sans m’en rendre compte j’étais en train de flirter avec lui.
“Jane Eyre”.
Il ne s’attendait pas mon rire, et il resta à me regarder, interdit.
Ils passèrent plusieurs minutes avant que je pusse lui répondre. “A la bonne heure! Je pensais que vous faudrait des siècles...”
Une ébauche de sourire faisait sa route dans son froncement de sourcils. “Je devais le comprendre tout de suite, en effet. Une héroïne avec une histoire triste et solitaire derrière elle, un homme du passé souffert, une fin heureuse après beaucoup de malheurs. Romantique. Passionné. Réaliste”. Maintenant même ses lèvres souriaient, à l’instar de ses yeux. “Mélisande Bruno, est tu consciente que tu pourrais tomber amoureuse de moi de même que Jane Eyre du Monsieur Rochester que comme par hasard c’est son employeur?”
“Vous n’êtes pas Monsieur Rochester” dis-je tranquille.
“Je suis autant lunatique que lui” objecta avec un soupçon de sourire que je ne pus m’empêcher de retourner.
“Je suis d’accord. Toutefois je ne suis pas Jane Eyre”.
“C’est vrai aussi. Elle était terne, moche, insignifiante” dit-il, en parlant d’une voix traînante. “Personne sain d’esprit, et d’yeux, pourrait dire cela de toi. Tes cheveux rouges pourraient être remarqués même à milles de distance ”.
“On ne dirait pas que c’est un compliment...” dis-je en plaisantant pleurnichards.
“Ceux qui se font remarquer, par un moyen ou un autre, ne sont jamais laids, Mélisande” répondit-il doucement.
“Donc merci”.
Il grimaça. “De qui tiens-toi ces cheveux, Mademoiselle Bruno? De tes parents d’origine italienne?”
La mention à ma famille contribua à assombrir le bonheur de ce moment. Je détournai le regard, et je repris à ranger les livres sur les étagères.
“Ma grand-mère était rouge, à ce qu’on dit. Mes parents non, et néanmoins ma sœur”.
Il approcha le fauteuil roulant à mes jambes, tendues dans l’effort de ranger les livres. A celle distance infinitésimale je pouvais apercevoir son parfum délicat. Un mélange mystérieux et séduisant de fleurs et épices.
“Et qu’est-ce qu’il fait une gracieuse secrétaire aux cheveux rouges et les ancêtres italiens dans un village écossais perdu?”
“Mon père émigra pour maintenir sa femme et sa fille. Je suis né eau Belgique”. Je cherchai une façon pour changer discours, mais il était difficile. Son voisinage confondait mes pensées, en les embrouillant dans un écheveau difficile à démêler.
“De la Belgique à Londres, et ensuite à l’Ecosse. A seuls vingt-deux ans. Admettras-tu qu’il est pour le moins curieux”.
“Envie de connaitre le monde” répondis-je réticente.
Je jetais un œil vers lui. Son foncement de sourcils rude était disparu comme neige au sol, remplacé par une saine curiosité. Il n’était possible du tout de le distraire. A l’externe la tempête faisait rage, avec toute sa violente intensité. Une bataille pareille était en train de se dérouler dans moi. Communiquer avec lui était naturel, spontané, libératoire, toutefois je ne pouvais, je ne devais, parler à bride abattue, ou je m’en serai regrettée.
“Envie de connaitre le monde pour aboutir à ce coin du monde éloigné?” Son ton était ouvertement sceptique. “Tu n’as pas besoin de me mentir, Mélisande Bruno. Je ne te juge pas, en dépit des apparences”.
Quelque chose se brisa dans moi, en libérant des souvenirs que je croyais être oubliés pour toujours. J’avais eu confiance en quelqu’un, et c’était mal fini, ma vie presque détruite. Seulement le destin avait empêché une tragédie. La mienne.
“Je ne suis pas en train de mentir. Même dans cet endroit on peut connaitre le monde” dis-je en souriant. “Je n’avais jamais été aux Highlands, intéressant. Et puis je suis jeune, je peux encore voyager, voir, découvrir de nouveaux lieux”.
“Et donc tu proposes de partir”. Sa voix était rauque maintenant.
Je me tournai vers lui. Une ombre lui était descendue sur le visage. Il y avait quelque chose de désespéré, de furieux, de rapace en lui dans ce moment.
Je le regardai seulement en proie de mes mots.
Il tourna rapidement le fauteuil roulant, dirigé vers son bureau. “Ne pas te préoccuper. Si tu continues à être si indolente je te chasserai moi-même, et ainsi tu pourras reprendre ton voyage au tour du monde”.
Ses mots brusques étaient presque un seau d’eau glacée catapulté sur moi. Il s’arrêta devant la fenêtre, ancré au fauteuil roulant avec les deux mains, les épaules rigides.
“Vous aviez raison. La tempête est déjà finie. On ne peut pas de toute façon éviter Mc Intosh aujourd’hui. Il semble que je ne fasse d’autre que mal agir”.
“Toh, regarde, un arc-en-ciel”. Il m’appela, sans se tourner. “Venez à voir, Mademoiselle Bruno.