Eh bien, maintenant, verse-moi un plein verre de vin pur, en manière de libation.
Prends et fais une libation au Bon Génie: déguste, déguste la liqueur du Génie de Pramnè.
O Bon Génie, c'est ta volonté et non pas la mienne.
Dis, je t'en prie, qu'y a-t-il?
Va vite voler les oracles du Paphlagonien endormi, et rapporte-les de la maison.
Soit; mais je crains que ce Bon Génie ne se trouve en être un Mauvais.
Et maintenant approche-moi la cruche, pour arroser mon esprit et dire quelque parole ingénieuse.
Comme il pète, comme il ronfle, le Paphlagonien! Aussi ne m'a-t-il pas surpris dérobant l'oracle, qu'il garde avec le plus de soin.
O le plus fin des hommes! Donne, que je lise. Toi, verse-moi à boire sans retard. Voyons ce qu'il y a là dedans. Oh! les oracles! Donne, donne-moi vite à boire!
Voyons, que dit l'oracle?
Verse encore!
Est-ce qu'il y a dans l'oracle: «Verse encore! »
O Bakis!
Qu'y a-t-il?
A boire! Vite!
Il paraît que Bakis aimait à boire.
Ah! maudit Paphlagonien, voilà donc pourquoi tu gardais depuis si longtemps l'oracle qui te concerne, tu avais peur!
De quoi?
Il est dit là comment il doit finir.
Et comment?
Comment? L'oracle annonce clairement que d'abord un marchand d'étoupes doit avoir en main les affaires de la cité.
Voilà déjà un marchand! Et ensuite, dis?
Après lui, en second lieu, un marchand de moutons.
Cela fait deux marchands. Et que lui advient-il à celui-là?
D'être le maître, jusqu'à ce qu'il en arrive un plus scélérat. Alors il périt, et à sa place arrive le marchand de cuirs, le Paphlagonien rapace, braillard, à voix de charlatan.
Il faut donc que le marchand de moutons soit exterminé par le marchand de cuirs?
Oui, par Zeus!
Malheureux que je suis! Où trouver un autre marchand, un seul?
Il en est encore un, qui exerce un métier hors ligne.
Dis-moi, je t'en prie, qui est-ce?
Tu le veux?
Oui, par Zeus!
C'est un marchand d'andouilles qui le renversera.
Un marchand d'andouilles! Par Poséidôn! le beau métier! Mais, dis-moi, où trouverons-nous cet homme?
Cherchons-le.
Tiens! le voici qui, grâce aux dieux, s'avance vers l'Agora.
O bienheureux marchand d'andouilles, viens, viens, mon très cher; avance, sauveur de la ville et le nôtre.
Qu'est-ce? Pourquoi m'appelez-vous?
Viens ici, afin de savoir quelle chance tu as, quel comble de prospérité.
Voyons; débarrasse-le de son étal, et apprends-lui l'oracle du dieu, quel il est. Moi, je vais avoir l'œil sur le Paphlagonien.
Allons, toi, dépose d'abord cet attirail, mets-le à terre; puis adore la terre et les dieux.
Soit: qu'est-ce que c'est?
Homme heureux, homme riche; aujourd'hui rien, demain plus que grand, chef de la bienheureuse Athènes.
Hé! mon bon, que ne me laisses-tu laver mes tripes et vendre mes andouilles, au lieu de te moquer de moi?
Imbécile! Tes tripes! Regarde par ici. Vois-tu ces files de peuple?
Je les vois.
Tu seras le maître de tous ces gens-là; et celui de l'Agora, des ports, de la Pnyx; tu piétineras sur le Conseil, tu casseras les stratèges, tu les enchaîneras, tu les mettras en prison; tu feras la débauche dans le Prytanéion.
Moi?
Oui, toi. Et tu ne vois pas encore tout. Monte sur cet étal, et jette les yeux sur toutes les îles d'alentour.
Je les vois.
Eh bien! Et les entrepôts? Et les navires marchands?
J'y suis.
Comment donc! N'es-tu pas au comble du bonheur? Maintenant jette l'œil droit du côté de la Karia, et l'œil gauche du côté de la Khalkèdonia.
Effectivement; me voilà fort heureux de loucher!
Mais non: c'est pour toi que se fait tout ce trafic; car tu vas devenir, comme le dit cet oracle, un très grand personnage.
Dis-moi, comment moi, un marchand d'andouilles, deviendrai-je un grand personnage?
C'est pour cela même que tu deviendras grand, parce que tu es un mauvais drôle, un homme de l'Agora, un impudent.
Je ne me crois pas digne d'un si grand pouvoir.
Hé! hé! pourquoi dis-tu que tu n'en es pas digne? Tu me parais avoir conscience que tu n'es pas sans mérite. Es-tu fils de gens beaux et bons?
J'en atteste les dieux, je suis de la canaille.
Quelle heureuse chance! Comme cela tourne bien pour tes affaires!
Mais, mon bon, je n'ai pas reçu la moindre éducation; je connais mes lettres, et, chose mauvaise, même assez mal.
C'est la seule chose qui te fasse du tort, même sue assez mal. La démagogie ne veut pas d'un homme instruit, ni de mœurs honnêtes; il lui faut un ignorant et un infâme. Mais ne laisse pas échapper ce que les dieux te donnent, d'après leurs oracles.
Que dit donc cet oracle?
De