Voyage en Égypte et en Syrie - Tome 2. Constantin-François Volney. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Constantin-François Volney
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Книги о Путешествиях
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fréquentés des Européens, sont les villages d’Éden et de Becharrai, où les missionnaires ont une maison. Pendant l’hiver, plusieurs des habitants descendent sur la côte, et laissent leurs maisons sous les neiges, avec quelques personnes pour les garder. De Becharrai, l’on se rend aux cèdres, qui en sont à 7 heures de marche, quoiqu’il n’y ait que 3 lieues de distance. Ces cèdres si réputés, ressemblent à bien d’autres merveilles; ils soutiennent mal de près leur réputation: quatre ou cinq gros arbres, les seuls qui restent, et qui n’ont rien de particulier, ne valent pas la peine que l’on prend à franchir les précipices qui y mènent.

      Sur la frontière du Kesraouân, à une lieue au nord de Nahr-el-kelb, est le petit village d’Antoura, où les ci-devant jésuites avaient établi une maison qui n’a point la splendeur de celles d’Europe; mais dans sa simplicité, cette maison est propre; et sa situation à mi-côte, les eaux qui arrosent ses vignes et ses mûriers, sa vue sur le vallon qu’elle domine, et l’échappée qu’elle a sur la mer, en font un ermitage agréable. Les jésuites y avaient voulu annexer un couvent de filles, situé à un quart de lieue en face; mais les Grecs les en ayant dépossédés, ils en bâtirent un à leur porte, sous le nom de la Visitation. Ils avaient aussi bâti à 200 pas au-dessus de leur maison, un séminaire qu’ils voulaient peupler d’étudiants maronites et grecs-latins; mais il est resté désert. Les lazaristes qui les ont remplacés, entretiennent à Antoura un supérieur curé et un frère lai, qui desservent la mission avec autant de charité que d’honnêteté et de décence.

      CHAPITRE V

Du pachalic de Saide, dit aussi d’Acre

      AU midi du pachalic de Tripoli, et sur le prolongement de la même côte maritime, s’étend un troisième pachalic, qui jusqu’à ce jour a porté le nom de la ville de Saide, sa capitale, mais qui maintenant pourra prendre celui d’Acre, où le pacha, depuis quelques années, a transféré sa résidence. La consistance de ce gouvernement a beaucoup varié dans ces derniers temps. Avant Dâher, il était composé du pays des Druzes et de toute la côte, depuis Nahr-el-kelb jusqu’au Carmel. A mesure que Dâher s’agrandit, il le resserra au point que le pacha ne posséda plus que la ville de Saide, dont il finit par être chassé; mais à la chute de Dâher, on a rétabli l’ancienne consistance. Djezzâr, qui a succédé à ce chaik en qualité de pacha, y a fait annexer le pays de Safad, de Tabarîé, de Balbek, ci-devant relevant de Damas, et le territoire de Qâïsarié (Césarée), occupé par les Arabes de Saqr. C’est aussi ce pacha qui, profitant des travaux de Dâher à Acre, a transféré sa résidence en cette ville; et de ce moment elle est devenue la capitale de la province.

      Par ces divers accroissements, le pachalic d’Acre embrasse aujourd’hui tout le terrain compris depuis Nahr-el-kelb jusqu’au sud de Qâïsarié, entre la Méditerranée à l’ouest, l’Antiliban et le cours supérieur du Jourdain à l’est. Cette étendue lui donne d’autant plus d’importance, qu’il y joint des avantages précieux de position et de sol. Les plaines d’Acre, d’Ezdredon, de Sour, de Haoulé, et le bas-Beqââ, sont vantées avec raison pour leur fertilité. Le blé, l’orge, le maïs, le coton et le sésame y rendent, malgré l’imperfection de la culture, vingt et vingt-cinq pour un. Le pays de Qaïsarié possède une forêt de chênes, la seule de la Syrie. Le pays de Safad donne des cotons que leur blancheur fait estimer à l’égal de ceux de Cypre. Les montagnes voisines de Sour ont des tabacs aussi bons que ceux de Lataqîé, et l’on y trouve un canton où ils ont un parfum de girofle qui les fait réserver à l’usage exclusif du sultan et de ses femmes. Le pays des Druzes abonde en vins et en soies; enfin par la position de la côte et la quantité de ses anses, ce pachalic devient l’entrepôt nécessaire de Damas et de toute la Syrie intérieure.

      Le pacha jouit de tous les droits de sa place; il est gouverneur despote, et fermier général. Il rend chaque année à la Porte une somme fixe de sept cent cinquante bourses; mais en outre, il est obligé, ainsi qu’à Tripoli, de fournir le djerdé ou convoi des pèlerins de la Mekke. On estime également sept cent cinquante bourses la quantité de riz, de blé, d’orge employés à ce convoi. Le bail de la ferme est pour un an seulement; mais il est souvent prorogé. Ses revenus sont: 1º le miri; 2º les sous-fermes des peuples tributaires, tels que les Druzes, les Motouâlis, et quelques tribus d’Arabes; 3º le casuel toujours abondant des successions et des avanies; 4º les produits des douanes, tant sur l’entrée que sur la sortie et le passage des marchandises. Cet article seul a été porté à mille bourses (1,250,000 liv.) dans la ferme que Djezzâr a passée, en 1784, de tous ses ports et anses. Enfin ce pacha, usant d’une industrie familière à ses pareils dans toute l’Asie, fait cultiver des terrains pour son compte, s’associe avec des marchands et des manufacturiers, et prête de l’argent à intérêt aux laboureurs et aux commerçants. La somme qui résulte de tous ces moyens, est évaluée entre neuf et dix millions de France. Si l’on y compare son tribut, qui n’est que de 1500 bourses, ou 1,875,000 liv., l’on pourra s’étonner que la Porte lui permette d’aussi gros bénéfices; mais ceci est encore un des principes du divan. Le tribut une fois déterminé, il ne varie plus. Seulement si le fermier s’enrichit, on le pressure par des demandes extraordinaires; souvent on le laisse thésauriser en paix; mais lorsqu’il s’est bien enrichi, il arrive toujours quelque accident qui amène à Constantinople son coffre fort ou sa tête. En ce moment, la Porte ménage Djezzâr, à raison, dit-elle, de ses services. En effet, il a contribué à la ruine de Dâher; il a détruit la famille de ce prince, réprimé les Bedouins de Saqr, abaissé les Druzes, et presque anéanti les Motouâlis. Ces succès lui ont valu des prorogations qui se continuent depuis dix ans. Récemment il a reçu les trois queues, et le titre de ouâzir (vizir) qui les accompagne20; mais, par un retour ordinaire, la Porte commence à prendre ombrage de sa fortune; elle s’alarme de son humeur entreprenante; lui, de son côté, redoute sa fourberie; en sorte qu’il règne de part et d’autre une défiance qui pourra avoir des suites. Il entretient des soldats en plus grand nombre et mieux tenus qu’aucun autre pacha; et il observe de n’enrôler que des gens venus de son pays; c’est-à-dire des Bochnâqs et des Arnautes; leur nombre se monte à environ neuf cents cavaliers. Il y joint environ mille Barbaresques à pied. Les portes de ses villes frontières ont des gardes régulières; ce qui est inusité dans le reste de la Syrie. Sur mer, il a une frégate, deux galiotes et un chébek qu’il a récemment pris sur les Maltais. Par ces précautions, dirigées en apparence contre l’étranger, il se met en garde contre les surprises du divan. L’on a déja tenté plus d’une fois la voie des capidjis; mais il les a fait veiller de si près, qu’ils n’ont rien pu exécuter; et les coliques subites qui en ont fait périr deux ou trois, ont beaucoup refroidi le zèle de ceux qui se chargent d’un si cauteleux emploi. D’ailleurs il soudoie des espions dans le séraï ou palais du sultan; et il y répand un argent qui lui assure des protecteurs. Ce moyen vient de lui procurer le pachalic de Damas, qu’il ambitionnait depuis long-temps, et qui en effet est le plus important de toute la Syrie. Il a cédé celui d’Acre à un mamlouk nommé Sélim, son ami et son compagnon de fortune; mais cet homme lui est si dévoué, que l’on peut regarder Djezzâr comme maître des deux gouvernements. L’on dit qu’il sollicite encore celui d’Alep. S’il l’obtient, il possédera presque toute la Syrie, et peut-être la Porte aura-t-elle trouvé un rebelle plus dangereux que Dâher; mais comme les conjectures en pareilles matières sont inutiles, et presque impossibles à asseoir, je vais passer, sans y insister, à quelques détails sur les lieux les plus remarquables de ce pachalic.

      Le premier qui se présente en venant de Tripoli le long de la côte, est la ville de Béryte, que les Arabes prononcent comme les anciens Grecs, Baîrout21. Son local est une plaine qui du pied du Liban s’avance en pointe dans la mer, environ deux lieues hors la ligne commune du rivage: l’angle rentrant qui en


<p>20</p>

Tout pacha à trois queues est titré vizir.

<p>21</p>

C’est effectivement la prononciation du grec, Βηρυτ.