La correspondance de Bussy avec les femmes était bien plus nombreuse et d'une plus grande valeur. Parmi elles, la première à nommer est madame de Sévigné. Les lettres de Bussy à sa cousine, avec les réponses, remplissent presque entièrement les deux volumes du recueil de la correspondance qui fut publié par la marquise de Coligny, fille de Bussy, en 1697107. Bayle fit l'éloge de ce recueil108. Bussy composait beaucoup de vers, et il les envoyait à sa cousine pour les soumettre à son jugement; ces vers ont été imprimés, avec les lettres où ils se trouvaient insérés, dans le recueil dont nous parlons; et si les éditeurs de madame de Sévigné ont eu raison de débarrasser sa correspondance de cet inutile bagage, en réimprimant les lettres que Bussy lui avait adressées, ils ont eu tort de supprimer de ces lettres les passages qui concernaient les envois de ces pièces de vers, puisqu'ils constataient que ce goût de Bussy pour la poésie était partagé par sa cousine109.
Après madame de Sévigné, la marquise de Gouville mérite d'être mentionnée comme celle qui correspondait le plus assidûment avec Bussy. Ses lettres sont les plus spirituelles, les plus riches en détails amusants, narrés avec esprit et finesse110. Elle avait pendant quelque temps enchaîné Bussy; et l'intimité qui avait existé entre eux donnait à leur commerce plus d'agrément, de franchise et de vérité. Il faut joindre à la marquise de Gouville son intime amie la comtesse de Fiesque, que Bussy appelait sa cousine. Folâtre et insouciante, elle était initiée et elle initiait Bussy à tous les secrets de la petite cour de MADEMOISELLE, dont elle faisait partie.
Une dame qui par son mari portait le beau nom de Montmorency se montre le plus instructif des correspondants de Bussy. Ses lettres sont des espèces de bulletins de ce qui se passait à la cour, des promotions, des mariages, des décès, des intrigues, des nouvelles politiques qu'on y débitait, des anecdotes scandaleuses qu'on y racontait; le tout dit en deux mots, sans réflexions, sans phrases, et exprimé avec une concision remarquable. Des pièces de vers qui avaient circulé se trouvent aussi insérées dans ces lettres. Le nom de famille de cette madame de Montmorency était Isabelle d'Harville de Palaiseau, et elle appartenait à cette noble famille de guerriers qui, dès le commencement du quinzième siècle, s'étaient illustrés à la bataille d'Azincourt111. Ni Bussy ni les mémoires contemporains ne nous apprennent rien sur cette dame de Montmorency. Au bas de son portrait Bussy avait mis cette inscription: «Digne non pas d'un homme de plus grande qualité, mais d'un homme plus aimable112.» Cette inscription prouve du moins que ce mari d'Isabelle de Palaiseau était de la noble famille dont il portait le nom. Madame de Montmorency était peu favorisée de la fortune, quoique amie de la duchesse de Nemours, qui possédait de si grands biens et aurait pu se montrer plus généreuse à son égard113.
La comtesse du Bouchet écrivait aussi souvent à Bussy avec une liberté d'expression qui devait lui plaire beaucoup: accoutumée à tout dire, sa franchise donnait un grand prix à ses lettres114.
Henriette de Conflans, demoiselle d'Armentières, belle quoiqu'elle ne se mariât point, pieuse quoique amie de Bussy, était encore pour lui un correspondant qui avait toute sa confiance: c'était celle qui plaidait auprès de lui la cause de madame de Monglat avec le plus de chaleur, parce que celle-ci paraissait vouloir alors se mettre sous la direction de dom Cosme et renoncer à la vie mondaine115.
Parmi les autres femmes auxquelles Bussy écrivait plus souvent, on distingue la femme de son cousin, la maréchale d'Humières, dont le portrait, dans sa galerie, était accompagné de cette inscription: «D'une vertu qui, sans être austère ni rustique, eût contenté les plus délicats.» Elle était dame du palais de la reine: liée avec madame de Sévigné, belle et pieuse, elle termina116 sa longue vie aux Carmélites de la rue Saint-Jacques117. Après cette dame respectable nous devons nommer la marquise d'Hauterive, fille du duc de Villeroy, à laquelle on reprochait de s'être mésalliée, quoiqu'elle eût épousé un bon et honorable gentilhomme, élégant dans ses goûts, amateur éclairé des beaux-arts et grand protecteur du Poussin118. La correspondance de Bussy avec la marquise d'Hauterive n'a point été imprimée; mais nous savons, d'après une lettre du marquis d'Hauterive, que le portrait de cette dame devait occuper une place parmi les autres portraits de femmes avec lesquelles Bussy entretenait un commerce épistolaire119.
Mais, de tous les nombreux personnages qui correspondaient avec Bussy, il n'y en avait pas dont il eût, après madame de Sévigné, plus de plaisir à lire les lettres que celles de deux femmes sans rang, sans beauté, sans fortune, sans naissance: c'étaient mademoiselle Dupré et madame de Scudéry. Toutes les deux, il est vrai, étaient pleines de sens et d'esprit, et possédaient le talent d'écrire avec enjouement, pureté et élégance. La seconde était, sous ce rapport, très-supérieure à la première; mais celle-ci avait plus de célébrité, parce qu'elle appartenait à une famille d'érudits et de poëtes. Elle était la nièce et l'élève de Roland Desmarets120 et de Desmarets de Saint-Sorlin, l'auteur de la comédie des Visionnaires. Marie Dupré était laide, mais savante; car, si l'on en croit Bussy, elle parlait quatre langues également bien121; elle avait, dit-on, approfondi la philosophie de Descartes, dont elle était enthousiaste, ce qui semble peu s'accorder avec son goût pour les bouts-rimés et les petits vers: on en trouve un grand nombre de sa composition dans les recueils du temps et dans les lettres de Bussy. Amie de Conrart, ce fondateur de l'Académie française, mademoiselle Dupré fut célébrée, en vers comme en prose, par un grand nombre d'hommes de lettres de son temps. Le savant Huet a rapporté dans ses Mémoires le madrigal en vers latins qu'il fit pour elle. Ménage ne lui adressa point de vers, mais il la nomme, dans son commentaire en langue italienne sur le septième sonnet de Pétrarque, au nombre des illustres contemporaines, avec mademoiselle de la Vigne, son amie, madame de la Fayette, madame de Scudéry, madame de Rohan-Montbazon, abbesse de Malnoue, et madame de Mortemart, abbesse de Fontevrault; puis enfin madame de Sévigné,
Donna bella, gentil, cortese e saggia,
Di castità, di fede e d'amor tempio122;
car rarement Ménage, soit qu'il écrivît en vers ou en prose, en grec, en latin, en italien ou en français, se permit de nommer madame de Sévigné dans ses ouvrages, sans ajouter quelques vers à sa louange. Mademoiselle Dupré allait souvent passer la belle saison aux eaux minérales de Sainte-Reine, chez des amis dont le séjour était voisin du château de Bussy; et Bussy profitait de cette occasion pour l'attirer chez lui le plus souvent qu'il pouvait, ce qui prévenait entre eux cette tiédeur et cet alanguissement de l'intimité qu'une trop longue séparation ne manque jamais de produire123.
Madame de Scudéry n'était point savante; elle ne faisait point de vers.