Mansfeld parut dans le pays et s'y établit solidement par la prise de la ville forte de Pilsen, fidèle à l'empereur. Le courage des rebelles fut encore relevé par un autre secours, que leur envoyèrent les états de Silésie. Ils engagèrent alors avec les troupes impériales des combats, peu décisifs, mais qui n'en causèrent que plus de ravages et qui furent le prélude d'une guerre plus sérieuse. Afin de ralentir les opérations militaires de l'empereur, on négocia avec lui, et l'on accepta même la médiation offerte par la Saxe; mais, avant que le résultat pût montrer combien on était peu sincère, la mort fit disparaître l'empereur de la scène.
Qu'avait fait Matthias pour justifier l'attente du monde, qu'il avait provoquée en renversant son prédécesseur? Était-ce la peine de monter sur le trône de Rodolphe par un crime, pour l'occuper si mal et en descendre avec si peu de gloire? Tant que Matthias fut roi, il expia l'imprudence par laquelle il l'était devenu. Afin de porter la couronne quelques années plus tôt, il en avait sacrifié toute l'indépendance. Ce que les états, devenus plus puissants lui laissèrent d'autorité, ses propres agnats l'entravèrent par une humiliante contrainte. Malade et sans postérité, il vit l'attention des hommes courir au-devant de son orgueilleux successeur, qui, dans son impatience, anticipait sur sa destinée, et, sous le règne expirant d'un vieillard, ouvrait déjà le sien.
On pouvait regarder comme éteinte avec Matthias la branche régnante de la maison d'Autriche en Allemagne. Car, de tous les fils de Maximilien, il ne restait plus que l'archiduc Albert, alors dans les Pays-Bas, qui, faible et sans enfants, avait cédé à la branche de Grætz ses droits à la succession. La maison d'Espagne s'était aussi désistée, dans un pacte secret, en faveur de l'archiduc Ferdinand de Styrie, de toutes ses prétentions sur les pays autrichiens. C'était en la personne de ce prince que la souche de Habsbourg devait pousser en Allemagne de nouvelles branches et faire revivre l'ancienne grandeur de l'Autriche.
Ferdinand eut pour père l'archiduc Charles de Carniole, de Carinthie et de Styrie, frère puîné de l'empereur Maximilien II, et pour mère une princesse de Bavière. Comme il avait perdu son père dès l'âge de douze ans, l'archiduchesse sa mère le confia à la garde du duc Guillaume de Bavière, frère de cette princesse, sous les yeux duquel il fut élevé et instruit par les jésuites, à l'université d'Ingolstadt. On imagine aisément quels principes Ferdinand dut puiser dans le commerce d'un prince qui avait renoncé par dévotion au gouvernement. On lui montrait, d'une part, l'indulgence des princes de la branche de Maximilien envers l'hérésie, et les troubles de leurs États; de l'autre, la prospérité de la Bavière et le zèle impitoyable de ses souverains pour la religion: entre ces deux modèles, on lui laissait le choix.
Préparé dans cette école à devenir un vaillant champion de Dieu, un actif instrument de l'Église, il quitta la Bavière, après un séjour de cinq ans, pour aller prendre le gouvernement de ses domaines héréditaires. Les états de Carniole, de Carinthie et de Styrie, ayant demandé que leur liberté religieuse fût confirmée avant la prestation de l'hommage, Ferdinand répondit que l'hommage n'avait rien de commun avec la liberté religieuse. Le serment fut exigé et prêté sans condition. Plusieurs années s'écoulèrent avant que l'entreprise, dont le plan avait été conçu à Ingolstadt, parût mûre pour l'exécution. Avant de manifester son dessein, Ferdinand alla en personne implorer à Lorette la faveur de la Vierge Marie et chercher à Rome, aux pieds de Clément VIII, la bénédiction apostolique.
C'est qu'il ne s'agissait de rien moins que de bannir le protestantisme d'une contrée où il avait pour lui la supériorité du nombre et, de plus, une existence légale, grâce à un acte formel de tolérance que le père de Ferdinand avait octroyé à l'ordre des seigneurs et chevaliers du pays. Une concession si solennelle ne pouvait être retirée sans danger. Mais aucune difficulté n'effrayait le pieux élève des jésuites. L'exemple des autres princes de l'Empire, catholiques et protestants, qui avaient exercé sans contradiction, dans leurs domaines, le droit de réforme, et l'abus que les états de Styrie avaient fait de leur liberté religieuse, devaient servir de justification à cet acte de violence. Armé d'une loi positive, qui choquait le bon sens, on croyait pouvoir insulter sans pudeur aux lois de la raison et de l'équité. Au reste, dans cette injuste entreprise, Ferdinand montra un courage digne d'admiration et une louable constance. Sans bruit, et, il faut le dire aussi, sans cruauté, il supprima le culte protestant dans une ville, puis dans une autre, et, en peu d'années, cette œuvre périlleuse fut achevée, à l'étonnement général de l'Allemagne.
Mais, tandis que les catholiques admiraient dans ce prince le héros et le chevalier de leur Église, les protestants commençaient à se prémunir contre lui, comme contre leur ennemi le plus dangereux. Néanmoins, la proposition de Matthias de lui assurer sa succession ne trouva point d'opposition, ou n'en trouva qu'une bien faible, dans les États électifs de l'Autriche, et les Bohêmes eux-mêmes le couronnèrent, sous des conditions très-acceptables, comme leur roi futur. Ce ne fut que plus tard, quand ils eurent reconnu la funeste influence de ses conseils sur le gouvernement de l'empereur, que leurs inquiétudes s'éveillèrent. Diverses pièces, écrites de la main de ce prince, que la malveillance fit tomber dans leurs mains et qui ne trahissaient que trop ses sentiments, portèrent leurs craintes au plus haut degré. Ils furent surtout révoltés d'un pacte secret de famille conclu avec l'Espagne, par lequel Ferdinand assurait à cette couronne le royaume de Bohême, à défaut d'héritiers mâles, sans avoir entendu la nation et sans nul égard au droit qu'elle avait d'élire ses souverains. Les nombreux ennemis que ce prince s'était faits, par sa réforme en Styrie, parmi les protestants en général, lui rendirent auprès des Bohêmes les plus mauvais services; et surtout quelques émigrés styriens, réfugiés en Bohême, et qui avaient apporté dans leur nouvelle patrie un cœur altéré de vengeance, se montraient fort actifs pour nourrir le feu de la révolte. Ce fut dans ces dispositions hostiles que le roi Ferdinand trouva la nation bohême, lorsque l'empereur Matthias lui fit place.
De si mauvais rapports entre la nation et le prince candidat à la couronne auraient excité des orages, quelque paisible qu'eût été, du reste, la succession au trône: combien plus alors, au milieu du feu de la révolte; quand la nation avait repris sa souveraineté, qu'elle était revenue à l'état du droit naturel, qu'elle avait les armes à la main; que le sentiment de son union lui avait inspiré une foi enthousiaste en elle-même; que les plus heureux succès, des promesses de secours étrangers et des espérances folles avaient élevé son courage jusqu'à la plus ferme confiance! Oubliant les droits déjà conférés à Ferdinand, les états déclarèrent leur trône vacant et leur choix complétement libre. Il n'y avait aucun moyen de paisible soumission, et, si Ferdinand voulait posséder la couronne de Bohême, il avait le choix, ou de l'acheter au prix de tout ce qui rend une couronne souhaitable, ou de la conquérir l'épée à la main.
Mais par quels moyens la conquérir? De quelque côté qu'il tournât ses regards, tous ses États étaient en flammes. La Silésie était entraînée dans la révolte de la Bohême; la Moravie était sur le point de suivre cet exemple; dans la haute et la basse Autriche s'agitait, comme sous Rodolphe, l'esprit de liberté; aucune diète ne voulait prêter le serment. Le prince Bethlen Gabor de Transylvanie menaçait la Hongrie d'une irruption; un mystérieux armement des Turcs effrayait toutes les provinces situées à l'orient; et pour que la détresse de Ferdinand fût au comble, il fallut encore que les protestants, éveillés par l'exemple général, levassent la tête dans ses domaines paternels. Ils avaient dans ces pays la supériorité du nombre; dans la plupart, ils étaient en