C'était avec l'appui des diètes protestantes d'Autriche et de Moravie que Matthias s'était frayé la voie aux trônes de son frère et qu'il y était réellement monté; mais, emporté par ses projets ambitieux, il n'avait point réfléchi que par là, en même temps, la voie avait été ouverte à ses diètes pour dicter des lois à leur maître. Cette découverte l'arracha bientôt à l'ivresse de son bonheur. A peine reparaissait-il triomphant aux yeux de ses sujets autrichiens, après l'expédition de Bohême, que déjà l'attendait «une très-humble requête» qui suffisait pour empoisonner toute sa joie. On lui demandait, avant de procéder à l'hommage, une entière liberté de religion dans les villes et dans les bourgs, une parfaite égalité de droits entre catholiques et protestants, et, pour ceux-ci, l'accès de tout point égal à toutes les charges. En plusieurs endroits, on se mit de soi-même en possession de cette liberté; et, dans la confiance qu'inspirait le régime nouveau, on rétablit arbitrairement le culte évangélique là où l'empereur l'avait aboli. A la vérité, Matthias n'avait pas dédaigné d'user contre Rodolphe des griefs des protestants, mais jamais il n'avait pu avoir la pensée d'y faire droit. Il se flatta qu'un langage ferme et résolu ferait tomber, dès le principe, ces prétentions. Il mit en avant ses droits héréditaires sur le pays, et il ne voulait entendre parler d'aucune condition avant l'hommage. C'était sans condition que les états voisins de Styrie, l'avaient prêté à l'archiduc Ferdinand; mais bientôt ils avaient eu lieu de s'en repentir. Avertis par cet exemple, les états d'Autriche persistèrent dans leur refus; et même, pour n'être pas violemment contraints à l'hommage, ils allèrent jusqu'à quitter la capitale, exhortèrent leurs co-états catholiques à la même résistance, et commencèrent à lever des troupes. Ils firent des démarches pour renouveler avec les Hongrois leur ancienne alliance, mirent dans leurs intérêts les princes protestants de l'Empire, et se disposèrent très-sérieusement à soutenir leur requête par les armes.
Matthias n'avait fait aucune difficulté de consentir aux exigences bien plus grandes des Hongrois. Mais la Hongrie était un royaume électif, et la constitution républicaine de ce pays justifiait les demandes des états aux yeux du prince, et sa propre condescendance vis-à-vis des états aux yeux de tout le monde catholique. En Autriche, au contraire, ses prédécesseurs avaient exercé des droits de souveraineté beaucoup plus étendus, et il ne pouvait s'en laisser dépouiller par les états, sans se déshonorer devant toute l'Europe catholique, sans s'attirer la colère de Rome et de l'Espagne et le mépris de ses propres sujets catholiques. Ses conseillers, sévèrement orthodoxes, parmi lesquels Melchior Clésel, évêque de Vienne, avait sur lui le plus d'empire, l'exhortaient à se laisser arracher de force toutes les églises par les protestants, plutôt que de leur en céder une seule légalement.
Mais malheureusement ces embarras l'assaillirent dans un temps où Rodolphe vivait encore: spectateur de cette lutte, il pouvait aisément être tenté d'employer contre son frère les armes par lesquelles celui-ci avait triomphé de lui, à savoir des intelligences avec ses sujets rebelles. Afin d'échapper à ce coup, Matthias s'empressa d'accepter la proposition des états de Moravie, qui s'offraient à servir de médiateurs entre lui et les états d'Autriche. Un comité, des uns et des autres, se réunit à Vienne, où les députés autrichiens firent entendre un langage qui aurait surpris même à Londres, au sein du Parlement. «Les protestants, disaient-ils dans la conclusion, ne veulent pas être moins respectés dans leur patrie qu'une poignée de catholiques. C'est par le secours de sa noblesse protestante que Matthias a contraint l'empereur à céder; où se trouvent quatre-vingts barons papistes, on en compte trois cents évangéliques. L'exemple de Rodolphe doit être un avertissement pour Matthias. Qu'il prenne garde de perdre la terre, en voulant faire des conquêtes pour le ciel.» Les états de Moravie, au lieu d'exercer leur médiation au profit de l'empereur, ayant fini par prendre eux-mêmes le parti de leurs frères autrichiens; l'union allemande étant intervenue en faveur de ceux-ci avec la plus grande énergie, et la crainte des représailles de Rodolphe ayant mis Matthias fort à la gêne, il se laissa enfin arracher la déclaration désirée en faveur des évangéliques.
Les membres protestants de l'empire d'Allemagne prirent alors pour modèle de leur conduite envers l'empereur celle des états autrichiens envers leur archiduc, et ils s'en promirent le même succès. A la première diète qu'il tint à Ratisbonne (1613), où les affaires les plus pressantes attendaient une solution, où une contribution générale était devenue nécessaire pour une guerre avec la Turquie et avec le prince Bethlen Gabor de Transylvanie, qui s'était déclaré maître de ce pays avec le secours des Turcs et menaçait même la Hongrie, ces membres protestants surprirent l'empereur par une demande toute nouvelle. Les voix catholiques étaient toujours les plus nombreuses dans le conseil des princes, et, comme tout se décidait à la pluralité des voix, on ne tenait d'ordinaire aucun compte des évangéliques, quelque étroite que fût leur union. Ils voulaient maintenant voir renoncer les catholiques à cet avantage de la pluralité des voix; ils voulaient qu'à l'avenir une religion n'eût plus la faculté d'annuler les voix de l'autre par une invariable majorité. Et, en effet, si la religion évangélique devait être représentée à la diète, il s'entendait, ce semble, de soi-même que la constitution de l'assemblée ne devait pas lui rendre impossible l'usage de son droit. A cette demande, on ajoutait des plaintes sur les usurpations du conseil aulique et sur l'oppression des protestants, et les fondés de pouvoir des états avaient ordre de ne prendre aucune part aux délibérations générales, tant qu'ils n'auraient pas obtenu sur ce point préliminaire une réponse favorable.
Ainsi s'introduisit dans la diète une dangereuse division, qui menaçait de rendre à jamais impossible toute délibération commune. Si sincèrement que l'empereur eût désiré, à l'exemple de Maximilien, son père, tenir un sage milieu entre les deux religions, la conduite actuelle des protestants ne lui laissait plus que la fâcheuse nécessité de choisir entre elles. Dans ses pressants besoins, l'assistance de tout l'Empire lui était indispensable, et pourtant il ne pouvait s'attacher un parti sans perdre le secours de l'autre. Si mal affermi dans ses propres domaines héréditaires, il devait trembler à la seule pensée d'une guerre ouverte avec les protestants; mais toute l'Europe catholique, attentive à la résolution qu'il allait prendre, et les représentations des membres catholiques de l'Empire, celles des cours de Rome et d'Espagne, lui permettaient aussi peu de favoriser les protestants au préjudice de la religion romaine.
Une situation si critique aurait abattu un plus ferme génie que Matthias, et sa propre habileté l'aurait tiré difficilement de ce mauvais pas; mais l'intérêt des catholiques était lié étroitement avec l'autorité de l'empereur, et, s'ils la laissaient déchoir, les princes ecclésiastiques surtout étaient aussitôt livrés sans défense aux attaques des protestants. Voyant donc l'empereur balancer, les catholiques jugèrent qu'il était grand temps de raffermir son courage qui faiblissait. On le fit pénétrer dans le secret de la Ligue; on lui en exposa toute l'organisation, les ressources et les forces. Si peu consolante que fût cette découverte pour l'empereur, la perspective d'un soutien si puissant lui donna cependant un peu plus de courage contre les évangéliques. Leurs demandes furent écartées, et la diète se sépara sans rien résoudre. Mais Matthias fut la victime de cette querelle. Les protestants lui refusèrent leurs subsides et se vengèrent sur lui de l'obstination des catholiques.
Cependant les Turcs se montraient eux-mêmes disposés à prolonger l'armistice, et on laissa le prince Bethlen Gabor en paisible possession de la Transylvanie. L'Empire se trouvait préservé des dangers extérieurs, et même au dedans, malgré toutes ces divisions si périlleuses, la paix régnait encore. Un accident fort imprévu avait donné à la querelle de la succession de Juliers la tournure la plus étrange. Ce duché était toujours possédé en commun par l'électeur de Brandebourg et le comte palatin de Neubourg; un mariage, entre le prince de Neubourg et une princesse de Brandebourg devait unir d'une manière indissoluble