La Comédie humaine - Volume 05. Scènes de la vie de Province - Tome 01. Honore de Balzac. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Honore de Balzac
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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éclaté à ses oreilles: elle jeta un cri de terreur; ses yeux agrandis regardaient le vieillard avec une horrible fixité.

      — Qui êtes-vous, mon parrain? De qui tenez-vous une pareille puissance? lui demanda-t-elle en imaginant que pour ne pas croire en Dieu il devait avoir fait un pacte avec l'ange de l'enfer.

      — Qu'as-tu semé hier dans le jardin?

      — Du réséda, des pois de senteur, des balsamines.

      — Et en dernier des pieds d'alouette?

      Elle tomba sur ses genoux.

      — Ne m'épouvantez pas, mon parrain; mais vous étiez ici, n'est-ce pas?

      — Ne suis-je pas toujours avec toi? répondit le docteur en plaisantant pour respecter la raison de cette innocente fille. Allons dans ta chambre.

      Il lui donna le bras et monta l'escalier.

      — Vos jambes tremblent, mon bon ami, dit-elle.

      — Oui, je suis comme foudroyé.

      — Croiriez vous donc enfin en Dieu? s'écria-t-elle avec une joie naïve en laissant voir des larmes dans ses yeux.

      Le vieillard regarda la chambre si simple et si coquette qu'il avait arrangée pour Ursule. A terre un tapis vert uni peu coûteux, qu'elle maintenait dans une exquise propreté; sur les murs un papier gris de lin semé de roses avec leurs feuilles vertes; aux fenêtres, qui avaient vue sur la cour, des rideaux de calicot ornés d'une bande d'étoffe rose; entre les deux croisées, sous une haute glace longue, une console en bois doré couverte d'un marbre, sur laquelle était un vase bleu de Sèvres où elle mettait des bouquets; et, en face de la cheminée, une petite commode d'une charmante marqueterie et à dessus de marbre dit brèche d'Alep. Le lit, en vieille perse et à rideaux de perse doublés de rose, était un de ces lits à la duchesse si communs au dix-huitième siècle et qui avait pour ornements une touffe de plumes sculptée au-dessus des quatre colonnettes cannelées de chaque angle. Une vieille pendule, enfermée dans une espèce de monument en écaille incrusté d'arabesques en ivoire, décorait la cheminée, dont le chambranle et les flambeaux de marbre, dont la glace et son trumeau à peinture en grisaille offraient un remarquable ensemble de ton, de couleur et de manière. Une grande armoire, dont les battants offraient des paysages faits avec différents bois, dont quelques-uns avaient des teintes vertes et qui ne se trouvent plus dans le commerce, contenait sans doute son linge et ses robes. Il respirait dans cette chambre un parfum du ciel. L'exact arrangement des choses attestait un esprit d'ordre, un sens de l'harmonie qui certes aurait saisi tout le monde, même un Minoret-Levrault. On voyait surtout combien les choses qui l'environnaient étaient chères à Ursule et combien elle se plaisait dans une chambre qui tenait, pour ainsi dire, à toute sa vie d'enfant et de jeune fille. En passant tout en revue par maintien, le tuteur s'assurait que de la chambre d'Ursule on pouvait voir chez madame de Portenduère. Pendant la nuit il avait médité sur la conduite qu'il devait tenir avec Ursule relativement au secret surpris de cette passion naissante. Un interrogatoire le compromettrait vis-à-vis de sa pupille. Ou il approuverait ou il désapprouverait cet amour: dans les deux cas, sa position devenait fausse. Il avait donc résolu d'examiner la situation respective du jeune Portenduère et d'Ursule pour savoir s'il devait combattre ce penchant avant qu'il fût irrésistible. Un vieillard pouvait seul déployer tant de sagesse. Encore pantelant sous les atteintes de la vérité des faits magnétiques, il tournait sur lui-même et regardait les moindres choses de cette chambre, il voulait jeter un coup d'œil sur l'almanach suspendu au coin de la cheminée.

      — Ces vilains flambeaux sont trop lourds pour tes jolies menottes, dit-il en prenant les chandeliers en marbre ornés de cuivre. Il les soupesa, regarda l'almanach, le prit et dit: — Ceci me semble bien laid aussi. Pourquoi gardes-tu cet almanach de facteur dans une si jolie chambre?

      — Oh! laissez-le-moi, mon parrain.

      — Non, tu en auras un autre demain.

      Il descendit en emportant cette pièce de conviction, s'enferma dans son cabinet, chercha saint Savinien, et trouva, comme l'avait dit la somnambule, un petit point rouge devant le 19 octobre; il en vit également un en face du jour de saint Denis, son patron à lui, et devant saint Jean, le patron du curé. Ce point gros comme la tête d'une épingle, la femme endormie l'avait aperçu malgré la distance et les obstacles. Le vieillard médita jusqu'au soir sur ces événements, plus immenses encore pour lui que pour tout autre. Il fallait se rendre à l'évidence. Une forte muraille s'écroula pour ainsi dire en lui-même, car il vivait appuyé sur deux bases: son indifférence en matière de religion et sa dénégation du magnétisme. En prouvant que les sens, construction purement physique, organes dont tous les effets s'expliquaient, étaient terminés par quelques-uns des attributs de l'infini, le magnétisme renversait ou du moins lui paraissait renverser la puissante argumentation de Spinosa: l'infini et le fini, deux éléments, incompatibles selon ce grand homme, se trouvaient l'un dans l'autre. Quelque puissance qu'il accordât à la divisibilité, à la mobilité de la matière, il ne pouvait pas lui reconnaître des qualités quasi-divines. Enfin il était devenu trop vieux pour rattacher ces phénomènes à un système, pour les comparer à ceux du sommeil, de la vision, de la lumière. Toute sa science, basée sur les assertions de l'école de Locke et Condillac, était en ruines. En voyant ses creuses idoles en pièces, nécessairement son incrédulité chancelait. Ainsi tout l'avantage, dans le combat de cette enfance catholique contre cette vieillesse voltairienne, allait être à Ursule. Dans ce fort démantelé, sur ces ruines ruisselait une lumière. Du sein de ces décombres éclatait la voix de la prière! Néanmoins l'obstiné vieillard chercha querelle à ses doutes. Encore qu'il fût atteint au cœur, il ne se décidait pas, il luttait toujours contre Dieu. Cependant son esprit parut vacillant, il ne fut plus le même. Devenu songeur outre mesure, il lisait les Pensées de Pascal, il lisait la sublime Histoire des Variations de Bossuet, il lisait Bonald, il lut saint Augustin; il voulut aussi parcourir les œuvres de Swedenborg et de feu Saint-Martin, desquels lui avait parlé l'homme mystérieux. L'édifice bâti chez cet homme par le matérialisme craquait de toutes parts, il ne fallait plus qu'une secousse; et, quand son cœur fut mûr pour Dieu, il tomba dans la vigne céleste comme tombent les fruits. Plusieurs fois déjà, le soir, en jouant avec le curé, sa filleule à côté d'eux, il avait fait des questions qui, relativement à ses opinions, paraissaient singulières à l'abbé Chaperon, ignorant encore du travail intérieur par lequel Dieu redressait cette belle conscience.

      — Croyez-vous aux apparitions? demanda l'incrédule à son pasteur en interrompant la partie.

      — Cardan, un grand philosophe du seizième siècle, a dit en avoir eu, répondit le curé.

      — Je connais toutes celles qui ont occupé les savants, je viens de relire Plotin. Je vous interroge en ce moment comme catholique, et vous demande si vous pensez que l'homme mort puisse revenir voir les vivants.

      — Mais Jésus est apparu aux apôtres après sa mort, reprit le curé. L'Église doit avoir foi dans les apparitions de Notre Sauveur. Quant aux miracles, nous n'en manquons pas, dit l'abbé Chaperon en souriant: voulez-vous connaître le plus récent? il a eu lieu pendant le dix-huitième siècle.

      — Bah!

      — Oui, le bienheureux Marie-Alphonse de Liguori a su bien loin de Rome la mort du pape, au moment où le Saint-Père expirait, et il y a de nombreux témoins de ce miracle. Le saint évêque, entré en extase, entendit les dernières paroles du souverain pontife et les répéta devant plusieurs personnes. Le courrier chargé d'annoncer l'événement ne vint que trente heures après...

      — Jésuite! répondit le vieux Minoret en plaisantant, je ne vous demande pas de preuves, je vous demande si vous y croyez.

      — Je crois que l'apparition dépend beaucoup de celui qui la voit, dit le curé continuant à plaisanter l'incrédule.

      — Mon ami, je ne vous tends pas de piége, que croyez-vous sur ceci?

      — Je crois la puissance de Dieu infinie, dit l'abbé.