La Comédie humaine - Volume 05. Scènes de la vie de Province - Tome 01. Honore de Balzac. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Honore de Balzac
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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dernière partie de l'interrogatoire foudroya le docteur Minoret. Il regarda Bouvard d'un air hébété, mais Bouvard et le swedenborgiste, familiarisés avec l'étonnement des incrédules, causaient à voix basse sans paraître ni surpris ni étonnés; Minoret les pria de lui permettre de revenir après le dîner. L'anti-mesmérien voulait se recueillir, se remettre de sa profonde terreur, pour éprouver de nouveau ce pouvoir immense, le soumettre à des expériences décisives, lui poser des questions dont la solution enlevât toute espèce de doute.

      — Soyez ici à neuf heures, ce soir, dit l'inconnu, je reviendrai pour vous.

      Le docteur Minoret était dans un état si violent, qu'il sortit sans saluer, suivi par Bouvard qui lui criait à distance: — Eh! bien, eh! bien?

      — Je me crois fou, Bouvard, répondit Minoret sur le pas de la porte cochère. Si la femme a dit vrai pour Ursule, comme il n'y a qu'Ursule au monde qui sache ce que cette sorcière m'a révélé, tu auras raison. Je voudrais avoir des ailes, aller à Nemours vérifier ses assertions. Mais je louerai une voiture et partirai ce soir à dix heures. Ah! je perds la tête.

      — Que deviendrais-tu donc si, connaissant depuis longues années un malade incurable, tu le voyais guéri en cinq secondes! Si tu voyais ce grand magnétiseur faire suer à torrents un dartreux, si tu le voyais faire marcher une petite maîtresse percluse?

      — Dînons ensemble, Bouvard, et ne nous quittons pas jusqu'à neuf heures. Je veux chercher une expérience décisive, irrécusable.

      — Soit, mon vieux camarade, répondit le docteur mesmérien.

      Les deux ennemis réconciliés allèrent dîner au Palais-Royal. Après une conversation animée, à l'aide de laquelle Minoret trompa la fièvre d'idées qui lui ravageait la cervelle, Bouvard lui dit: — Si tu reconnais à cette femme la faculté d'anéantir ou de traverser l'espace, si tu acquiers la certitude que, de l'Assomption, elle entend et voit ce qui se dit et se fait à Nemours, il faut admettre tous les autres effets magnétiques, ils sont pour un incrédule tout aussi impossibles que ceux-là. Demande-lui donc une seule preuve qui te satisfasse, car tu peux croire que nous nous sommes procuré tous ces renseignements; mais nous ne pouvons pas savoir, par exemple, ce qui va se passer à neuf heures, dans ta maison, dans la chambre de ta pupille: retiens ou écris ce que la somnambule va voir ou entendre et cours chez toi. Cette petite Ursule, que je ne connaissais point, n'est pas notre complice; et si elle a dit ou fait ce que tu auras en écrit, baisse la tête, fier Sicambre!

      Les deux amis revinrent dans la chambre, et y trouvèrent la somnambule, qui ne reconnut pas le docteur Minoret. Les yeux de cette femme se fermèrent doucement sous la main que le swedenborgiste étendit sur elle à distance, et elle reprit l'attitude dans laquelle Minoret l'avait vue avant le dîner. Quand les mains de la femme et celles du docteur furent mises en rapport, il la pria de lui dire tout ce qui se passait chez lui, à Nemours, en ce moment.

      — Que fait Ursule? dit-il.

      — Elle est déshabillée, elle a fini de mettre ses papillotes, elle est à genoux sur son prie-Dieu, devant un crucifix d'ivoire attaché sur un tableau de velours rouge.

      — Que dit-elle?

      — Elle fait ses prières du soir, elle se recommande à Dieu, elle le supplie d'écarter de son âme les mauvaises pensées; elle examine sa conscience et repasse ce qu'elle a fait dans la journée afin de savoir si elle a manqué à ses commandements ou à ceux de l'Église. Enfin elle épluche son âme, pauvre chère petite créature! La somnambule eut les yeux mouillés. Elle n'a pas commis de péché, mais elle se reproche d'avoir trop pensé à monsieur Savinien, reprit-elle. Elle s'interrompt pour se demander ce qu'il fait à Paris, et prie Dieu de le rendre heureux. Elle finit par vous et dit à haute voix une prière.

      — Pouvez-vous la répéter?

      — Oui.

      Minoret prit son crayon et écrivit, sous la dictée de la somnambule, la prière suivante évidemment composée par l'abbé Chaperon:

      «Mon Dieu, si vous êtes content de votre servante qui vous adore et vous prie avec autant d'amour que de ferveur, qui tâche de ne point s'écarter de vos saints commandements, qui mourrait avec joie comme votre Fils pour glorifier votre nom, qui voudrait vivre dans votre ombre, vous enfin qui lisez dans les cœurs, faites-moi la faveur de dessiller les yeux de mon parrain, de le mettre dans la voie du salut et lui communiquer votre grâce afin qu'il vive en vous ses derniers jours; préservez-le de tout mal et faites-moi souffrir en sa place! Bonne sainte Ursule, ma chère patronne, et vous divine mère de Dieu, reine du ciel, archanges et saints du paradis, écoutez-moi, joignez vos intercessions aux miennes et prenez pitié de nous.»

      La somnambule imita si parfaitement les gestes candides et les saintes inspirations de l'enfant, que le docteur Minoret eut les yeux pleins de larmes.

      — Dit-elle encore quelque chose? demanda Minoret.

      — Oui.

      — Répétez-le?

      — Ce cher parrain! avec qui fera-t-il son trictrac à Paris? Elle souffle son bougeoir, elle penche la tête et s'endort. La voilà partie! Elle est bien jolie dans son petit bonnet de nuit.

      Minoret salua le grand inconnu, serra la main à Bouvard, descendit avec rapidité, courut à une station de cabriolets bourgeois qui existait alors sous la porte d'un hôtel depuis démoli pour faire place à la rue d'Alger; il y trouva un cocher et lui demanda s'il consentait à partir sur-le-champ pour Fontainebleau. Une fois le prix fait et accepté, le vieillard, redevenu jeune, se mit en route à l'instant. Suivant sa convention, il laissa reposer le cheval à Essonne, atteignit la diligence de Nemours, y trouva de la place, et congédia son cocher. Arrivé chez lui vers cinq heures du matin, il se coucha dans les ruines de toutes ses idées antérieures sur la physiologie, sur la nature, sur la métaphysique, et dormit jusqu'à neuf heures, tant il était fatigué de sa course.

      A son réveil, certain que depuis son retour personne n'avait franchi le seuil de sa maison, le docteur procéda, non sans une invincible terreur, à la vérification de faits. Il ignorait lui-même la différence des deux billets de banque et l'interversion des deux volumes de Pandectes. La somnambule avait bien vu. Il sonna la Bougival.

      — Dites à Ursule de venir me parler, dit-il en s'asseyant au milieu de sa bibliothèque.

      L'enfant vint, elle courut à lui, l'embrassa; le docteur la prit sur ses genoux, où elle s'assit en mêlant ses belles touffes blondes aux cheveux blancs de son vieil ami.

      — Vous avez quelque chose, mon parrain?

      — Oui, mais promets-moi, par ton salut, de répondre franchement, sans détour, à mes questions.

      Ursule rougit jusque sur le front.

      — Oh! je ne te demanderai rien que tu ne puisses me dire, dit-il en continuant et voyant la pudeur du premier amour troubler la pureté jusqu'alors enfantine de ces beaux yeux.

      — Parlez, mon parrain.

      — Par quelle pensée as-tu fini tes prières du soir, hier, et à quelle heure les as-tu faites?

      — Il était neuf heures un quart, neuf heures et demie.

      — Eh! bien, répète-moi ta dernière prière?

      La jeune fille espéra que sa voix communiquerait sa foi à l'incrédule; elle quitta sa place, se mit à genoux, joignit les mains avec ferveur, une lueur radieuse illumina son visage, elle regarda le vieillard et lui dit: — Ce que je demandais hier à Dieu, je l'ai demandé ce matin, je le demanderai jusqu'à ce qu'il m'ait exaucée.

      Puis elle répéta sa prière avec une nouvelle et plus puissante expression; mais, à son grand étonnement, son parrain l'interrompit en achevant la prière.

      — Bien, Ursule, dit le docteur en reprenant sa filleule