La Comédie humaine - Volume 07. Scènes de la vie de Province - Tome 03. Honore de Balzac. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Honore de Balzac
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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      Ici le chevalier s'arrêta, craignant de tomber dans une allusion à son bonheur personnel; il reprit seulement sa tabatière et confia le reste de l'anecdote à la princesse qui lui souriait depuis trente-six ans.

      — Ce mot était fort délicat pour Louis XV, dit du Ronceret.

      — Mais il s'agit, je crois, de l'empereur Joseph, reprit mademoiselle Cormon d'un petit air entendu.

      — Mademoiselle, dit le chevalier en voyant le Président, le Notaire et le Conservateur échangeant des regards malicieux; madame du Barry était la Suzanne de Louis XV, circonstance assez connue de mauvais sujets comme nous autres, mais que ne doivent pas savoir les jeunes personnes. Votre ignorance prouve que vous êtes un diamant sans tache: les corruptions historiques ne vous atteignent point.

      L'abbé de Sponde regarda gracieusement le chevalier de Valois et inclina la tête en signe d'approbation laudative.

      — Mademoiselle ne connaît pas l'Histoire? dit le Conservateur des hypothèques.

      — Si vous me mêlez Louis XV et Suzanne, comment voulez-vous que je sache votre histoire? répondit angéliquement mademoiselle Cormon joyeuse de voir le plat de canards vide et la conversation si bien ranimée, qu'en entendant ce dernier mot, tous ses convives riaient la bouche pleine.

      — Pauvre petite! dit l'abbé de Sponde. Quand un malheur est venu, la Charité, qui est un amour divin, aussi aveugle que l'amour païen, ne doit plus voir la cause. Ma nièce, vous êtes présidente de la Société de Maternité, il faut secourir cette petite fille qui trouvera difficilement à se marier.

      — Pauvre enfant! dit mademoiselle Cormon.

      — Croyez-vous que du Bousquier l'épouse? demanda le Président du tribunal.

      — S'il était honnête homme, il le devrait, dit madame Granson; mais vraiment mon chien a des mœurs plus honnêtes...

      — Azor est cependant un grand fournisseur, dit d'un air fin le Conservateur des hypothèques en essayant de passer du calembour au bon mot.

      Au dessert, il était encore question de du Bousquier qui avait donné lieu à mille gentillesses que le vin rendit fulminantes. Chacun, entraîné par le Conservateur des hypothèques, répondait à un calembour par un autre. Ainsi du Bousquier était un père sévère, — un père manant, — un père sifflé, — un père vert, — un père rond, — un père foré, — un père dû, — un père sicaire. — Il n'était ni père, ni maire; ni un révérend père; il jouait à pair ou non; ce n'était pas non plus un père conscrit.

      — Ce n'est pas toujours un père nourricier, dit l'abbé de Sponde avec une gravité qui arrêta le rire.

      — Ni un père noble, reprit le chevalier de Valois.

      L'Église et la noblesse étaient descendues dans l'arène du calembour en conservant toute leur dignité.

      — Chut! fit le Conservateur des hypothèques, j'entends crier les bottes de du Bousquier qui, certes, sont plus que jamais à revers.

      Il arrive presque toujours qu'un homme ignore les bruits qui courent sur son compte: une ville entière s'occupe de lui, le calomnie ou le tympanise; s'il n'a pas d'amis, il ne saura rien. Or, l'innocent du Bousquier, du Bousquier qui souhaitait être coupable et désirait que Suzanne n'eût pas menti, du Bousquier fut superbe d'ignorance: personne ne lui avait parlé des révélations de Suzanne, et tout le monde trouvait d'ailleurs inconvenant de le questionner sur une de ces affaires où l'intéressé possède quelquefois des secrets qui l'obligent à garder le silence. Du Bousquier parut donc très-agaçant et légèrement fat, quand la société revint de la salle à manger pour prendre le café dans le salon où quelques personnes étaient déjà venues pour la soirée. Mademoiselle Cormon, conseillée par sa honte, n'osa regarder le terrible séducteur; elle s'était emparée d'Athanase qu'elle moralisait en lui débitant les plus étranges lieux-communs de politique royaliste et de morale religieuse. Ne possédant pas, comme le chevalier de Valois, une tabatière ornée de princesses pour essuyer ces douches de niaiseries, le pauvre poète écoutait d'un air stupide celle qu'il adorait, en regardant son monstrueux corsage qui gardait ce repos absolu, l'attribut des grandes masses. Ses désirs produisaient en lui comme une ivresse qui changeait la petite voix claire de la vieille fille en un doux murmure, et ses plates idées en motifs pleins d'esprit.

      L'amour est un faux-monayeur qui change continuellement les gros sous en louis d'or, et qui souvent aussi fait de ses louis des gros sous.

      — Eh! bien, Athanase, me le promettez-vous?

      Cette phrase finale frappa l'oreille de l'heureux jeune homme à la manière de ces bruits qui réveillent en sursaut.

      — Quoi, mademoiselle? répondit-il.

      Mademoiselle Cormon se leva brusquement en regardant du Bousquier qui ressemblait en ce moment à ce gros dieu de la fable que la République mettait sur ses écus; elle s'avança vers madame Granson et lui dit à l'oreille: — Ma pauvre amie, votre fils est idiot! Le lycée l'a perdu, dit-elle en se souvenant de l'insistance avec laquelle le chevalier de Valois avait parlé de la mauvaise éducation des lycées.

      Quel coup de foudre! A son insu le pauvre Athanase avait eu l'occasion de jeter ses brandons sur les sarments amassés dans le cœur de la vieille fille; s'il l'eût écoutée, il aurait pu faire comprendre sa passion: car, dans l'agitation où se trouvait mademoiselle Cormon, un seul mot suffisait; mais cette stupide avidité qui caractérise l'amour jeune et vrai l'avait perdu, comme quelquefois un enfant plein de vie se tue par ignorance.

      — Qu'as-tu donc dit à mademoiselle de Cormon? demanda madame Granson à son fils.

      — Rien.

      — Rien, j'expliquerai cela! se dit-elle en remettant à demain les affaires sérieuses, car elle attacha peu d'importance à ce mot en croyant du Bousquier perdu dans l'esprit de la vieille fille.

      Bientôt les quatre tables se garnirent de leurs seize joueurs. Quatre personnes s'intéressèrent à un piquet, le jeu le plus cher et auquel il se perdait beaucoup d'argent. Monsieur Choisnel, le Procureur du roi et deux dames allèrent faire un trictrac dans le cabinet des laques rouges. Les girandoles furent allumées; puis la fleur de la société de mademoiselle Cormon vint s'épanouir devant la cheminée, sur les bergères, autour des tables, après que chaque nouveau couple arrivé eut dit à mademoiselle Cormon: — Vous allez donc demain au Prébaudet?

      — Mais il le faut bien, répondait-elle.

      Généralement la maîtresse de la maison parut préoccupée. Madame Granson, la première, s'aperçut de l'état peu naturel où se trouvait la vieille fille: mademoiselle Cormon pensait.

      — A quoi songez-vous, cousine? lui dit-elle enfin en la trouvant assise dans le boudoir.

      — Je pense, répondit-elle, à cette pauvre fille. Ne suis-je pas présidente de la Société Maternelle, je vais vous aller chercher dix écus!

      — Dix écus! s'écria madame Granson. Mais vous n'avez jamais donné autant.

      — Mais, ma bonne, il est si naturel d'avoir des enfants!

      Cette phrase immorale partie du cœur stupéfia la trésorière de la Société Maternelle. Du Bousquier avait évidemment grandi dans l'esprit de mademoiselle Cormon.

      — Vraiment, dit madame Granson, du Bousquier n'est pas seulement un monstre, il est encore un infâme. Lorsqu'on a causé préjudice à quelqu'un, ne doit-on pas l'indemniser? Ne serait-ce pas à lui, plutôt qu'à nous, de secourir cette petite, qui, après tout, me semble un fort mauvais sujet, car il y avait dans Alençon mieux que ce cynique du Bousquier! il faut être bien libertine pour s'adresser à lui.

      — Cynique! Votre fils vous apprend, ma chère, des mots latins qui sont incompréhensibles. Certes,