La Comédie humaine - Volume 07. Scènes de la vie de Province - Tome 03. Honore de Balzac. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Honore de Balzac
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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pauvre fille voyait la conversation s'alanguir, elle suait dans son corset, tant elle souffrait en essayant d'émettre des idées pour ranimer les discussions éteintes. Elle lâchait alors des propositions étranges, comme celle-ci: personne ne peut se trouver dans deux endroits à la fois, à moins d'être petit oiseau, par laquelle, un jour, elle réveilla, non sans succès, une discussion sur l'ubiquité des apôtres à laquelle elle n'avait rien compris. Ces sortes de rentrées lui méritaient dans sa société le surnom de la bonne mademoiselle Cormon. Dans la bouche des beaux esprits de la société, ce mot voulait dire qu'elle était ignorante comme une carpe, et un peu bestiote; mais beaucoup de personnes de sa force prenaient l'épithète dans son vrai sens et répondaient: — Oh, oui! mademoiselle Cormon est excellente. Parfois, elle faisait des questions si absurdes, toujours pour être agréable à ses hôtes et remplir ses devoirs envers le monde, que le monde éclatait de rire. Elle demandait, par exemple, ce que le gouvernement faisait des impositions qu'il recevait depuis si long-temps; pourquoi la Bible n'avait pas été imprimée du temps de Jésus-Christ, puisqu'elle était de Moïse. Elle était de la force de ce country gentleman qui, entendant toujours parler de la Postérité à la Chambre des Communes, se leva pour faire ce speech devenu célèbre:

      — Messieurs, j'entends toujours parler ici de la Postérité, je voudrais bien savoir ce que cette puissance a fait pour l'Angleterre?

      Dans ces circonstances, l'héroïque chevalier de Valois amenait au secours de la vieille fille toutes les forces de sa spirituelle diplomatie en voyant le sourire qu'échangeaient d'impitoyables demi-savants. Le vieux gentilhomme, qui aimait à enrichir les femmes, prêtait de l'esprit à mademoiselle Cormon en la soutenant paradoxalement; il en couvrait si bien la retraite, que parfois la vieille fille semblait ne pas avoir dit une sottise. Elle avoua sérieusement un jour qu'elle ne savait pas quelle différence il y avait entre les bœufs et les taureaux. Le ravissant chevalier arrêta les éclats de rire en répondant que les bœufs ne pouvaient jamais être que les oncles des taures (nom de la génisse en patois). Une autre fois, entendant beaucoup parler des élèves et des difficultés que ce commerce présentait, conversation qui revenait souvent dans un pays où se trouve le superbe haras du Pin, elle comprit que les chevaux provenaient des montes, et demanda pourquoi l'on ne faisait pas deux montes par an! Le chevalier attira les rires sur lui.

      — C'est très-possible, dit-il.

      Les assistants l'écoutèrent.

      — La faute, reprit-il, vient des naturalistes qui n'ont pas encore su contraindre les juments à porter moins de onze mois.

      La pauvre fille ne savait pas plus ce qu'était une monte qu'elle ne savait reconnaître un bœuf d'un taureau. Le chevalier de Valois servait une ingrate: jamais mademoiselle Cormon ne comprit un seul de ses chevaleresques services. En voyant la conversation ranimée, elle ne se trouvait pas si bête qu'elle pensait l'être. Enfin, un jour, elle s'établit dans son ignorance, comme le duc de Brancas, le héros du distrait, se posa dans le fossé où il avait versé, et y prit si bien ses aises, que quand on vint l'en retirer, il demanda ce qu'on lui voulait. Depuis cette époque assez récente, mademoiselle de Cormon perdit sa crainte, elle eut un aplomb qui donnait à ses rentrées quelque chose de la solennité avec laquelle les Anglais accomplissent leurs niaiseries patriotiques et qui est comme la fatuité de la bêtise. En arrivant auprès de son oncle d'un pas magistral, elle ruminait donc une question à lui faire pour le tirer de ce silence qui la peinait toujours, car elle le croyait ennuyé.

      — Mon oncle, lui dit-elle en se pendant à son bras et se collant joyeusement à son côté (c'était encore une de ses fictions, elle pensait: — Si j'avais un mari, je serais ainsi!); mon oncle, si tout arrive ici-bas par la volonté de Dieu, il y a donc une raison de toute chose?

      — Certes, fit gravement l'abbé de Sponde qui chérissant sa nièce se laissait toujours arracher à ses méditations avec une patience angélique.

      — Alors, si je reste fille, une supposition, Dieu le veut?

      — Oui, mon enfant, dit l'abbé.

      — Mais, cependant, comme rien ne m'empêche de me marier demain, sa volonté peut être détruite par la mienne?

      — Cela serait vrai, si nous connaissions la véritable volonté de Dieu, répondit l'ancien prieur de Sorbonne. Remarque donc ma fille que tu mets un si?

      La pauvre fille, qui avait espéré entraîner son oncle dans une discussion matrimoniale par un argument ad omnipotentem, resta stupéfaite; mais les personnes dont l'esprit est obtus suivent la terrible logique des enfants qui consiste à aller de réponse en demande, logique souvent embarrassante.

      — Mais, mon oncle, Dieu n'a pas fait les femmes pour qu'elles restent filles; car, elles doivent être ou toutes filles, ou toutes femmes. Il y a de l'injustice dans la distribution des rôles.

      — Ma fille, dit le bon abbé, tu donnes tort à l'Église qui prescrit le célibat comme la meilleure voie pour aller à Dieu.

      — Mais si l'Église a raison, et que tout le monde fût bon catholique, le genre humain finirait donc, mon oncle?

      — Tu as trop d'esprit, Rose, il n'en faut pas tant pour être heureuse.

      Un mot pareil excitait un sourire de satisfaction sur les lèvres de la pauvre fille, et la confirmait dans la bonne opinion qu'elle commençait à prendre d'elle-même. Et voilà, comment le monde, comment nos amis et nos ennemis sont les complices de nos défauts! En ce moment, l'entretien fut interrompu par l'arrivée successive des convives. Dans ces jours d'apparat, cette scène locale amenait de petites familiarités entre les gens de la maison et les personnes invitées. Mariette disait au Président du Tribunal, gourmand de haut bord, en le voyant passer: — Ah! monsieur du Ronceret, j'ai fait les choux-fleurs au gratin à votre intention, car mademoiselle sait combien vous les aimez, et m'a dit: — Ne les manque pas, Mariette, nous avons monsieur le Président.

      — Cette bonne demoiselle Cormon! répondit le justicier du pays. Mariette, les avez-vous mouillés avec du jus au lieu de bouillon? c'est plus onctueux!

      Le Président ne dédaignait point d'entrer dans la chambre du conseil où Mariette rendait ses arrêts, il y jetait le coup d'œil du gastronome et l'avis du maître.

      — Bonjour, madame, disait Josette à madame Granson qui courtisait la femme de chambre, mademoiselle a bien pensé à vous, vous aurez un plat de poisson.

      Quant au chevalier de Valois, il disait à Mariette, avec le ton léger d'un grand seigneur qui se familiarise: — Eh! bien, cher cordon bleu, à qui je donnerais la croix de la légion-d'honneur, y a-t-il quelque fin morceau pour lequel il faille se réserver?

      — Oui, oui, monsieur de Valois, un lièvre envoyé du Prébaudet, il pesait quatorze livres.

      — Bonne fille! disait le chevalier en confirmant Josette. Ah! il pèse quatorze livres!

      Du Bousquier n'était pas invité. Mademoiselle Cormon, fidèle au système que vous savez, traitait mal ce quinquagénaire, pour qui elle éprouvait d'inexplicables sentiments attachés aux plus profonds replis de son cœur. Quoiqu'elle l'eût refusé, parfois elle s'en repentait; elle avait tout ensemble comme un pressentiment qu'elle l'épouserait, et une terreur qui l'empêchait de souhaiter ce mariage. Son âme, stimulée par ces idées, se préoccupait de du Bousquier. Sans se l'avouer, elle était influencée par les formes herculéennes du républicain. Quoiqu'ils ne s'expliquassent pas les contradictions de mademoiselle Cormon, madame Granson et le chevalier de Valois avaient surpris de naïfs regards coulés en dessous, dont la signification était assez claire pour que tous deux essayassent de ruiner les espérances déjà déjouées de l'ancien fournisseur, et qu'il avait certes conservées. Deux convives, que leurs fonctions excusaient par avance, se faisaient attendre: l'un était monsieur du Coudrai, le conservateur des hypothèques; l'autre, monsieur Choisnel, ancien intendant de la maison de Gordes, le notaire de la haute aristocratie par laquelle il était reçu avec une distinction que lui méritaient ses vertus, et qui d'ailleurs avait