Le Piccinino. Жорж Санд. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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il résulta que l'abbé se retourna brusquement vers Michel et lui fit signe d'approcher. Michel eut grande envie de n'en rien faire et de forcer l'abbé à marcher vers lui; mais tout à coup l'esprit sicilien se réveilla en lui, et il se mit sur ses gardes. Il se rappela tout ce que son père lui avait dit des dangers qu'il avait à craindre de l'ire d'un certain cardinal, et quoiqu'il ne vît point si celui-ci était paralysé ou non, il s'avisa tout de suite que ce pouvait bien être le cardinal prince Ieronimo de Palmarosa. Dès lors il résolut de dissimuler et approcha de la chaise dorée, fleuronnée et armoriée de Son Éminence.

      – Que faites-vous à cette porte? lui demanda l'abbé d'un ton rogue. Êtes-vous de la maison?

      – Non, Excellence, répondit Michel avec un calme apparent, bien qu'il fût tenté de souffleter ce personnage. Je passe.

      L'abbé regarda dans la chaise, et apparemment on lui fit comprendre qu'il était inutile d'effrayer les passants, car il changea tout à coup de langage et de manières en se retournant vers Michel:

      – Mon ami, dit-il d'un air bénin, vous ne paraissez pas heureux; vous êtes ouvrier?

      – Oui, Excellence, répondit Michel résolu à parler le moins possible.

      – Et vous êtes fatigué? vous venez de loin?

      – Oui, Excellence.

      – Cependant vous êtes fort pour votre âge. Quel âge avez-vous bien?

      – Vingt et un ans.

      Michel pouvait risquer ce mensonge; car, quoiqu'il n'eût encore presque pas de barbe au menton, il était arrivé à toute sa croissance, et son cerveau actif et inquiet lui avait déjà fait perdre la première fraîcheur de l'adolescence. Dans cette dernière réponse, il se conformait à une instruction particulière que son père lui avait donnée en le quittant, et qui lui revenait fort à propos dans la mémoire. «Si tu viens me rejoindre un jour ou l'autre, lui avait dit le vieux Pier-Angelo, souviens-toi bien, tant que tu ne seras pas auprès de moi, de ne jamais répondre un mot de vérité aux gens qui te paraîtront curieux et questionneurs. Ne leur dis ni ton nom, ni ton âge, ni ta profession, ni la mienne, ni d'où tu viens, ni où tu vas. La police est plus tracassière que clairvoyante. Mens effrontément et ne crains rien.»

      «Si mon père m'entendait, pensa Michel, après s'être ainsi tiré d'affaire, il serait content de moi.»

      – C'est bien, dit l'abbé, et il se retira de la portière du prélat, afin que celui-ci pût voir le pauvre diable qui avait attiré ainsi son attention. Michel rencontra le regard terrible de ce moribond, et, cette fois, il sentit plus de méfiance et d'aversion que de respect pour ce front étroit et despotique. Averti par un pressentiment intérieur qu'il courait un certain danger, il changea l'expression habituelle de sa figure, et, mettant une feinte puérilité à la place de l'orgueil, il plia le genou, puis, baissant la tête pour échapper à l'examen du prélat, il feignit d'attendre sa bénédiction.

      – Son Éminence vous bénit mentalement, répondit l'abbé après avoir consulté les yeux du cardinal, et il fit signe aux porteurs de se remettre en marche.

      La chaise franchit la grille et pénétra lentement dans l'avenue.

      «Je voudrais bien savoir, se disait Michel en regardant passer le cortége, si mon instinct ne m'a pas trompé et si c'est là l'ennemi de ma famille.»

      Il allait se retirer, lorsqu'il remarqua que l'abbé Ninfo n'avait pas suivi le cardinal, et qu'il attendait, pour refermer la grille et remettre la clef dans sa poche, que le dernier mulet eût passé. Ce soin étrange, de la part d'un homme attaché de si près à la personne du cardinal, avait lieu de le frapper, et le regard oblique et attentif que ce personnage déplaisant jetait sur lui à la dérobée le frappait encore plus.

      «Il est évident qu'on m'observe déjà dans ce pays de malheur, pensa-t-il; et que mon père n'avait pas rêvé les inimitiés contre lesquelles il me mettait en garde.»

      L'abbé lui fit signe à travers la grille, au moment où il retirait la clef. Michel, convaincu qu'il fallait jouer son rôle avec plus de soin que jamais, approcha d'un air humble:

      – Tenez, mon garçon, lui dit l'abbé en lui présentant un tharin, voilà pour vous rafraîchir au premier cabaret, car vous me paraissez bien fatigué.

      Michel s'abstint de tressaillir. Il accepta l'outrage, tendit la main et remercia humblement; puis il se hasarda à dire:

      – Ce qui m'afflige, c'est que Son Éminence n'ait pas daigné m'octroyer sa bénédiction.»

      Cette platitude bien jouée effaça les méfiances de l'abbé.

      «Console-toi, mon enfant, répondit-il d'un ton dégagé: la divine Providence a voulu éprouver notre saint cardinal en lui retirant l'usage de ses membres. La paralysie ne lui permet plus de bénir les fidèles qu'avec l'esprit et le cœur.

      – Que Dieu la guérisse et la conserve! reprit Michel; et il s'éloigna, bien certain, cette fois, qu'il ne s'était pas trompé, et qu'il venait d'échapper à une rencontre périlleuse.

      Il n'avait pas descendu dix pas sur la colline qu'il se trouva face à face, au détour d'un rocher, avec un homme qui vint tout près de lui sans que ni l'un ni l'autre se reconnussent, tant ils s'attendaient peu à se rencontrer en ce moment. Tout à coup ils s'écrièrent tous les deux à la fois, et s'unirent dans une étreinte passionnée. Michel embrassait son père.

      – O mon enfant! mon cher enfant! toi, ici! s'écria Pier-Angelo. Quelle joie et quelle inquiétude pour moi! Mais la joie l'emporte et me donne l'esprit plus courageux que je ne l'avais il y a un instant. En songeant à toi, je me disais: Il est heureux que Michel ne soit pas ici, car nos affaires pourraient bien se gâter. Mais te voilà, et je ne puis pas m'empêcher d'être le plus heureux des hommes.

      – Mon père, répondit Michel, n'ayez pas peur: je suis devenu prudent en mettant le pied sur le sol de ma patrie. Je viens de rencontrer notre ennemi face à face, j'ai été interrogé par lui, et j'ai menti à faire plaisir.

      Pier-Angelo pâlit. – Qui? qui? s'écria-t-il, le cardinal?

      – Oui, le cardinal en personnelle paralytique dans sa grande boîte dorée. Ce doit être le fameux prince Ieromino, dont mon enfance a été si effrayée, et qui me paraissait d'autant plus terrible que je ne savais pas la cause de ma peur. Eh bien, cher père, je vous assure que s'il a encore l'intention de nuire, il ne lui en reste guère les moyens, car toutes les infirmités semblent s'être donné le mot pour l'accabler. Je vous raconterai notre entrevue; mais parlez-moi d'abord de ma sœur, et courons la surprendre.

      – Non, non, Michel, le plus pressé c'est que tu me racontes comment tu as vu de si près le cardinal. Entrons dans ce fourré, je ne suis pas tranquille. Dis-moi, dis-moi vite!.. Il t'a parlé, dis-tu?.. Cela est donc certain, il parle?

      – Rassurez-vous, père, il ne parle pas.

      – Tu en es sûr? Tu me disais qu'il t'avait interrogé?

      – J'ai été interrogé de sa part, à ce que je suppose; mais, comme j'observais tout avec sang-froid, et que l'espèce d'abbé qui lui sert de truchement est trop mince pour cacher tout l'intérieur de la chaise, j'ai fort bien vu que Son Éminence ne pouvait parler qu'avec les yeux. De plus, Son Éminence est affligée de surdité complète, car, lorsque j'ai fait savoir mon âge, qu'on me demandait, je ne sais trop pourquoi, j'ai vu l'abbé se pencher vers monseigneur et lui montrer deux fois de suite ses dix doigts, puis le pouce de sa main droite.

      – Muet, impotent, et sourd par-dessus le marché! Je respire. Mais quel âge t'es-tu donc donné? vingt et un ans?

      – Vous m'aviez recommandé de mentir dès que j'aurais mis le pied en Sicile?

      – C'est bien, mon enfant, le ciel t'a assisté et inspiré en cette rencontre.

      – Je le crois, mais j'en serais encore plus certain si vous me disiez comment le cardinal peut s'intéresser à ce que j'aie dix-huit ou vingt et un ans.

      – Cela ne peut l'intéresser en aucune façon, dit