Le péché de Monsieur Antoine, Tome 1. Жорж Санд. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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se plaça gaiement à côté du chien et se mit à jouer avec lui sans aucun sentiment d'humeur ou de honte.

      Cependant, comme les manières de M. Antoine avaient une originalité qui ne se comprenait pas bien du premier coup, le voyageur crut qu'il commençait, à force de boire, à battre la campagne, et il résolut de ne pas attacher la moindre importance à ce qu'il allait dire. Mais il était bien rare que le châtelain perdît la tête, même après qu'il avait perdu les jambes, et il n'était retombé dans son passe-temps favori de goguenarder en jouant ceux qui l'entouraient, que pour détourner l'impression pénible que ce débat venait de faire naître entre ses convives.

      «Monsieur,» dit-il en s'adressant à son hôte …

      Mais aussitôt il fut interrompu par son chien qui, ayant aussi l'habitude de la plaisanterie, s'attribua l'interpellation, et vint lui pousser le coude en gambadant aussi agréablement que son âge pouvait le lui permettre.

      «Eh bien, monsieur! reprit-il en lui faisant de gros yeux, qu'est-ce à dire? Depuis quand êtes-vous aussi mal élevé qu'une personne naturelle? Allez bien vite vous rendormir, et qu'il ne vous arrive plus de me faire répandre du vin sur la nappe, ou vous aurez affaire à dame Janille. – Vous saurez donc, jeune homme, poursuivit M. Antoine, que l'an dernier, par un beau jour de printemps …

      – Pardon, Monsieur, dit Janille, nous n'étions encore qu'au 19 mars, donc c'était l'hiver.

      – C'était bien la peine de chicaner pour deux jours de différence! Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il faisait un temps magnifique, une chaleur comme au mois de juin, et même de la sécheresse.

      – C'est la vraie vérité, s'écria le groom rustique: à preuve que je ne pouvais plus faire boire le chevau de monsieur à la petite fontaine.

      – Cela ne fait rien à l'affaire, reprit M. Antoine en frappant du pied; petit, retenez votre langue. Vous parlerez quand vous serez appelé en témoignage; vous pouvez ouvrir vos oreilles, afin de vous former l'esprit et le cœur, s'il y a lieu. – Je disais donc que, par un beau temps, je revenais d'une foire, et j'allais tranquillement à pied, lorsque je rencontrai un grand homme, beau de visage, quoiqu'il ne soit guère plus jeune que moi, et que ses yeux noirs, sa figure pâle et même jaune lui donnent l'air un peu dur et farouche. Il était en cabriolet et descendait une pente rapide, hérissée de pierres sur champ, comme les arrangeaient nos pères, et cet homme pressait le pas de son cheval, sans paraître se douter du danger. Je ne pus me défendre de l'avertir. «Monsieur, lui dis-je, de mémoire d'homme, jamais voiture à quatre, à trois ou à deux roues, n'a descendu ce chemin. Je crois l'entreprise sinon impossible, du moins de nature à vous casser le cou, et si vous voulez prendre un chemin plus long, mais plus sûr, je vais vous l'indiquer.

      « – Grand merci, me répondit-il d'un air tant soit peu rogue; ce chemin me paraît suffisamment, praticable, et je vous réponds que mon cheval s'en tirera.

      « – Cela vous regarde, repris-je, et ce que j'en ai fait n'était que par pure humanité.

      « – Je vous en remercie Monsieur, et puisque vous êtes si obligeant, je veux m'acquitter envers vous. Vous êtes à pied, vous suivez la même route que moi; si vous voulez monter dans ma voiture, vous arriverez plus vite au bas du vallon, et j'aurai l'agrément de votre compagnie.»

      – Tout cela est exact, dit Janille; c'est absolument comme ça que vous nous l'avez raconté le soir même, à telle enseigne que vous nous avez dit que ce monsieur avait une grande redingote bleue.

      – Faites excuse, mam'selle Janille, dit l'enfant, monsieur a dit noir.

      – Bleue, vous dis-je, monsieur l'avisé!

      – Non, mère Janille, noire.

      – Bleue, j'en réponds!

      – Noire, j'en pourrais jurer.

      – Allons, flanquez-moi la paix, elle était verte! s'écria M. Antoine. Mère Janille, ne m'interrompez pas davantage; et toi, mauvais garnement, va-t'en voir à la cuisine si j'y suis, ou mets ta langue dans ta poche: choisis.

      – Monsieur, j'aime mieux écouter, je ne dirai plus rien.

      – Or donc, reprit le châtelain, je restai un petit moment partagé entre la crainte de me rompre les os en acceptant, et celle de passer pour poltron en refusant. Après tout, me dis-je, ce quidam n'a point l'air d'un fou, et il ne paraît avoir aucune raison d'exposer sa vie. Il a sans doute un merveilleux cheval et une excellente brouette. Je m'installai à ses côtés, et nous commençâmes à descendre au grand trot ce précipice, sans que le cheval fît un seul faux pas, et sans que le maître perdît un instant sa résolution et son sang-froid. Il me parlait de choses et d'autres, me faisait beaucoup de questions sur le pays; et j'avoue que je répondais un peu à tort et à travers, car je n'étais pas absolument rassuré. «C'est bien, lui dis-je quand nous fûmes arrivés sans accident au bord de la Gargilesse; nous avons descendu le casse-cou, mais nous ne traverserons pas l'eau ici; elle est aussi basse que possible, mais encore n'est-elle pas guéable en cet endroit: il faut remonter un peu sur la gauche.

      « – Vous appelez cela de l'eau? dit-il en haussant les épaules; quant à moi, je n'y vois que des pierres et des joncs. Allons donc! se détourner pour un ruisseau à sec!

      « – Comme vous voudrez,» lui dis-je un peu mortifié. Son audace méprisante me taquinait; je savais qu'il allait donner tout droit dans un gouffre, et pourtant, comme je ne suis pas d'un naturel pusillanime, et qu'il me répugnait d'être traité comme tel, je refusai l'offre qu'il fit de me laisser descendre. J'aurais voulu, pour le punir, qu'il eût enfin l'occasion d'avoir une belle peur, eussé-je dû boire un coup dans la rivière, quoique je n'aime pas l'eau.

      «Je n'eus ni cette satisfaction, ni cette mortification: le cabriolet ne chavira point. Au beau milieu de la rivière, qui s'est creusé un lit en biseau dans cet endroit-là, le cheval en eut jusqu'aux nasaux; la voiture fut soulevée par le courant. Le monsieur à redingote verte (car elle était verte, Janille), fouetta la bête; la bête perdit pied, dériva, nagea, et, comme par miracle, nous fit bondir sur la rive, sans autre mal qu'un bain de pieds moins que tiède. Je n'avais pas perdu la tête, je sais nager tout comme un autre, mais mon compagnon m'avoua ensuite qu'il n'en savait pas plus long à cet égard qu'une poutre; et pourtant il n'avait ni bronché, ni juré, ni changé de couleur. Voilà, pensé-je, un solide compère, et son aplomb ne me déplaît pas, bien que sa tranquillité ait quelque chose de méprisant comme le rire du diable.

      « – Si vous allez à Gargilesse, j'y passe aussi, lui dis-je, et nous pouvons continuer de faire route ensemble.

      « – Soit, reprit-il. Qu'est-ce que Gargilesse?

      « – Vous n'y allez donc pas?

      « – Je ne vais nulle part aujourd'hui, dit-il, et je suis prêt à aller partout.»

      «Je ne suis pas superstitieux, Monsieur, et pourtant les histoires de ma nourrice me revinrent à l'esprit je ne sais comment, et j'eus un instant de sotte méfiance, comme si je m'étais trouvé en cabriolet côte à côte avec Satan. Je regardais de travers cet étrange personnage qui, n'ayant aucun but, s'en allait ainsi à travers monts et rivières pour le seul plaisir de s'exposer ou de m'exposer avec lui, moi, nigaud, qui m'étais laissé persuader de monter dans sa brouette infernale.

      «Voyant que je ne disais mot, il crut devoir me rassurer.

      « – Ma manière de courir le pays vous étonne, me dit-il, sachez donc que j'y viens avec le dessein de tenter un établissement dans le lieu qui me paraîtra le plus convenable. J'ai des fonds à placer, que ce soit pour moi ou pour d'autres, peu vous importe sans doute; mais enfin vous pouvez m'aider par vos indications à atteindre mon but.

      « – Fort bien, lui dis-je, tout à fait rassuré en voyant qu'il parlait raisonnablement; mais, pour vous donner des conseils, il me faudrait savoir d'abord quelle espèce d'établissement vous prétendez faire.

      « – Il suffira, dit-il, éludant ma question, que vous répondiez à tout ce que je vous demanderai. Par exemple, quelle est, au maximum, la force de ce petit cours d'eau que nous venons de traverser, depuis ce même