Le Speronare. Dumas Alexandre. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dumas Alexandre
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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moment on crut que tout était fini et qu'il faudrait retourner à Naples sans rien entreprendre. Les soldats offraient d'attaquer le fort; mais Lamarque secoua la tête: c'était une tentative insensée. En conséquence, il donna l'ordre de faire une seconde fois le tour de l'île, pour voir si l'on ne trouverait pas quelque point abordable, et qui eût échappé au premier regard.

      Il y avait dans un rentrant, au pied du fort Sainte-Barbe, un endroit où le rempart granitique n'avait que quarante à quarante-cinq pieds d'élévation. Au-dessus de cette muraille, lisse comme un marbre poli, s'étendait un talus si rapide, qu'à la première vue, on n'eût certes pas cru que des hommes pussent l'escalader. Au-dessus de ce talus, à cinq cents pieds du roc, était une espèce de ravin, et douze cents pieds plus haut encore, le fort Sainte-Barbe, dont les batteries battaient le talus en passant par-dessus le ravin dans lequel les boulets ne pouvaient plonger.

      Lamarque s'arrêta en face du rentrant, appela à lui l'adjudant général Thomas et le chef d'escadron Livron. Tous trois tinrent conseil un instant; puis ils demandèrent les échelles.

      On dressa la première échelle contre le rocher: elle atteignait à peine au tiers de sa hauteur; on ajouta une seconde échelle à la première, on l'assura avec des cordes, et on les dressa de nouveau toutes deux: il s'en fallait de douze ou quinze pieds, quoique réunies, qu'elles atteignissent le talus; on en ajouta une troisième; on l'assujettit aux deux autres avec la même précaution qu'on avait prise pour la seconde, puis on mesura de nouveau la hauteur: cette fois les derniers échelons touchaient à la crête de la muraille. Les Anglais regardaient faire tous ces préparatifs d'un air de stupéfaction qui indiquait clairement qu'une pareille tentative leur semblait insensée. Quant aux soldats, ils échangeaient entre eux un sourire qui signifiait: «Bon, il va faire chaud tout à l'heure.»

      Un soldat mit le pied sur l'échelle.

      «Tu es bien pressé!» lui dit le général Lamarque en le tirant en arrière, et il prit sa place. La flottille tout entière battit des mains. Le général Lamarque monta le premier, et tous ceux qui étaient dans la même embarcation le suivirent. Six hommes tenaient le pied de l'échelle, qui vacillait à chaque flot que la mer venait briser contre le roc. On eût dit un immense serpent qui dressait ses anneaux onduleux contre la muraille.

      Tant que ces étranges escaladeurs n'eurent point atteint le talus, ils se trouvèrent protégés contre le feu des Anglais par la régularité même de la muraille qu'ils gravissaient; mais à peine le général Lamarque eut-il atteint la crête du rocher, que la fusillade et le canon éclatèrent en même temps: sur les quinze premiers hommes qui abordèrent, dix retombèrent précipités. A ces quinze hommes, vingt autres succédèrent, suivis de quarante, suivis de cent. Les Anglais avaient bien fait un mouvement pour les repousser à la baïonnette, mais le talus que les assaillants gravissaient était si rapide qu'ils n'osèrent point s'y hasarder. Il en résulta que le général Lamarque et une centaine d'hommes, au milieu d'une pluie de mitraille et de balles, gagnèrent le ravin, et là, à l'abri comme derrière un épaulement, se formèrent en peloton. Alors les Anglais chargèrent sur eux pour les débusquer; mais ils furent reçus par une telle fusillade qu'ils se retirèrent en désordre. Pendant ce mouvement, l'ascension continuait, et cinq cents hommes à peu près avaient déjà pris terre.

      Il était quatre heures et demie du soir. Le général Lamarque ordonna de cesser l'ascension: il était assez fort pour se maintenir où il était; et effrayé du ravage que faisaient l'artillerie et la fusillade parmi ses hommes, il voulait attendre la nuit pour achever le périlleux débarquement. L'ordre fut porté par l'adjudant général Thomas, qui traversa une seconde fois le talus sous le feu de l'ennemi, gagna contre toute espérance l'échelle sans accident aucun, et redescendit vers la flottille, dont il prit le commandement, et qu'il mit à l'abri de tout péril dans la petite baie que formait le rentrant du rocher.

      Alors l'ennemi réunit tous ses efforts contre la petite troupe retranchée dans le ravin. Cinq fois, treize ou quatorze cents Anglais vinrent se briser contre Lamarque et ses cinq cents hommes. Sur ces entrefaites, la nuit arriva; c'était le moment convenu pour recommencer l'ascension. Cette fois, comme l'avait prévu le général Lamarque, elle s'opéra plus facilement que la première. Les Anglais continuaient bien de tirer, mais l'obscurité les empêchait de tirer avec la même justesse. Au grand étonnement des soldats, cette fois l'adjudant général Thomas monta le dernier; mais on ne tarda point à avoir l'explication de cette conduite: arrivé au sommet du rocher, il renversa l'échelle derrière lui: aussitôt les embarcations gagnèrent le large et reprirent la route de Naples. Lamarque, pour s'assurer la victoire, venait de s'enlever tout moyen de retraite.

      Les deux troupes se trouvaient en nombre égal, les assaillants ayant perdu trois cents hommes à peu près; aussi Lamarque n'hésita point, et mettant la petite armée en bataille dans le plus grand silence, il marcha droit à l'ennemi sans permettre qu'un seul coup de fusil répondît au feu des Anglais.

      Les deux troupes se heurtèrent, les baïonnettes se croisèrent, on se prit corps à corps; les canons du fort Sainte-Barbe s'éteignirent, car Français et Anglais étaient tellement mêlés qu'on ne pouvait tirer sur les uns sans tirer en même temps sur les autres. La lutte dura trois heures; pendant trois heures, on se poignarda à bout portant. Au bout de trois heures, le colonel Hausel était tué, cinq cents Anglais étaient tombés avec lui; le reste était enveloppé. Un régiment se rendit tout entier: c'était le Royal Malte. Neuf cents hommes furent faits prisonniers par onze cents. On les désarma; on jeta leurs sabres et leurs fusils à la mer; trois cents hommes restèrent pour les garder; les huits cents autres marchèrent contre le fort.

      Cette fois, il n'y avait même plus d'échelles. Heureusement, les murailles étaient basses: les assiégeants montèrent sur les épaules les uns des autres. Après une défense de deux heures, le fort fut pris: on fit entrer les prisonniers et on les y enferma.

      La foule qui garnissait les quais, les fenêtres et les terrasses de Naples, curieuse et avide, était restée malgré la nuit: au milieu des ténèbres, elle avait vu la montagne s'allumer comme un volcan; mais, sur les deux heures du matin, les flammes s'étaient éteintes sans que l'on sût qui était vainqueur ou vaincu. Alors l'inquiétude fit ce qu'avait fait la curiosité: la foule resta jusqu'au jour; au jour, on vit le drapeau napolitain flotter sur le fort Sainte-Barbe. Une immense acclamation, poussée par quatre cent mille personnes, retentit de Sorrente à Misène, et le canon du château Saint-Elme, dominant de sa voix de bronze toutes ces voix humaines, vint apporter à Lamarque les premiers remerciements de son roi.

      Cependant la besogne n'était qu'à moitié faite; après être monté il fallait descendre, et cette seconde opération n'était pas moins difficile que la première. De tous les sentiers qui conduisaient d'Anacapri à Capri, Hudson Lowe n'avait laissé subsister que l'escalier dont nous avons parlé: or, cet escalier, que bordent constamment des précipices, large à peine pour que deux hommes puissent le descendre de front, déroulait ses quatre cent quatre-vingts marches à demi-portée du canon de douze pièces de trente-six et de vingt chaloupes canonnières.

      Néanmoins, il n'y avait pas de temps à perdre, et cette fois, Lamarque ne pouvait attendre la nuit; on découvrait à l'horizon toute la flotte anglaise, que le bruit du canon avait attirée hors du port de Ponza. Il fallait s'emparer du village avant l'arrivée de cette flotte, ou sans cela elle jetait dans l'île trois fois autant d'hommes qu'en avait celui qui était venu pour la prendre; et, obligés devant des forces si supérieures de se renfermer dans le fort Sainte-Barbe, les vainqueurs étaient forcés de se rendre ou de mourir de faim.

      Le général laissa cent hommes de garnison dans le fort Sainte-Barbe, et, avec les mille hommes qui lui restaient, tenta la descente. Il était dix heures du matin. Lamarque n'avait moyen de rien cacher à l'ennemi; il fallait achever comme on avait commencé, à force d'audace. Il divisa sa petite troupe en trois corps, prit le commandement du premier, donna le second à l'adjudant général Thomas, et le troisième au chef d'escadron Livron; puis, au pas de charge et tambour battant, il commença de descendre.

      Ce dut être quelque chose d'effrayant à voir que cette avalanche d'hommes se ruant par cet escalier jeté sur l'abîme, et cela sous le feu de soixante à quatre-vingts pièces de canon. Deux cents