David Copperfield – Tome I. Чарльз Диккенс. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Чарльз Диккенс
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
isbn:
Скачать книгу
faire de questions qu'il ne me resta plus qu'à m'asseoir et à regarder toute la compagnie qui garda le silence, jusqu'au moment où on alla se coucher. Alors, dans le secret de ma petite cabine, Peggotty m'informa que Ham et Émilie étaient un neveu et une nièce de mon hôte qu'il avait adoptés dans leur enfance à différentes époques, lorsque la mort de leurs parents les avait laissés sans ressources, et que mistress Gummidge était la veuve d'un marin, son associé dans l'exploitation d'une barque, qui était mort très- pauvre. Mon frère n'est lui-même qu'un pauvre homme, disait Peggotty, mais c'est de l'or en barre, franc comme l'acier, (je cite ses comparaisons). Le seul sujet, à ce qu'elle m'apprit, qui fit sortir son frère de son caractère ou qui le portât à jurer, c'était lorsqu'on parlait de sa générosité. Pour peu qu'on y fit allusion, il donnait sur la table un violent coup de poing de sa main droite (si bien qu'un jour il en fendit la table en deux) et il jura qu'il ficherait le camp et s'en irait au diable, si jamais on lui parlait de ça. J'eus beau faire des questions, personne n'avait la moindre explication grammaticale à me donner de l'étymologie de cette terrible locution: «ficher un camp.» Mais tous s'accordaient à la regarder comme une imprécation des plus solennelles.

      Je sentais profondément toute la bonté de mon hôte, et j'avais l'âme très-satisfaite sans compter que je tombais de sommeil, tout en prêtant l'oreille au bruit que faisaient les femmes en allant se coucher dans un petit lit comme le mien, placé à l'autre extrémité du bateau, tandis que M. Peggotty et Ham suspendaient deux hamacs aux crochets que j'avais remarqués au plafond. Le sommeil s'emparait de moi, mais je me sentais pourtant saisi d'une crainte vague, en songeant à la grande profondeur sombre qui m'entourait, en entendant le vent gémir sur les vagues, et les soulever tout à coup. Mais je me dis qu'après tout j'étais dans un bateau, et que s'il arrivait quelque chose, M. Peggotty était là pour venir à notre aide.

      Cependant il ne m'arriva pas d'autre mal, que de m'éveiller tranquillement, le lendemain. Dès que le soleil brilla sur le cadre en coquilles d'huîtres qui entourait mon miroir, je sautai hors de mon lit, et je courus sur la plage avec la petite Émilie pour ramasser des coquillages.

      «Vous êtes un vrai petit marin, je pense? dis-je à Émilie. Non que j'eusse jamais rien pensé de pareil, mais je trouvai qu'il était du devoir de la galanterie de lui dire quelque chose, et je voyais en ce moment dans les yeux brillants d'Émilie, se réfléchir une petite voile si étincelante, que cela m'inspira cette réflexion.

      – Non, dit Émilie, en hochant la tête, j'ai peur de la mer.

      – Peur! répétai-je avec un petit air fanfaron, tout en regardant en face le grand Océan. Moi je n'ai pas peur!

      – Ah! la mer est si cruelle; dit Émilie. Je l'ai vue bien cruelle pour quelques-uns de nos hommes. Je l'ai vue mettre en pièces un bateau aussi grand que notre maison.

      – J'espère que ce n'était pas la barque où…

      – Où mon père a été noyé? dit Émilie. Non ce n'était pas celle- là: je ne l'ai jamais vue, celle-là.

      – Et lui, l'avez-vous connu? demandai-je.»

      La petite Émilie secoua la tête. «Pas que je me souvienne?»

      Quelle coïncidence! Je lui expliquai immédiatement comment je n'avais jamais vu mon père; et comment ma mère et moi nous vivions toujours ensemble parfaitement heureux, ce que nous comptions faire éternellement; et comment le tombeau de mon père était dans le cimetière près de notre maison, à l'ombre d'un arbre sous lequel j'avais souvent été me promener le matin pour entendre chanter les petits oiseaux. Mais il y avait quelques différences entre Émilie et moi, bien que nous fussions tous deux orphelins. Elle avait perdu sa mère avant son père, et personne ne savait où était le tombeau de son père; on savait seulement qu'il reposait quelque part dans la mer profonde.

      «Et puis, dit Émilie, tout en cherchant des coquillages et des cailloux, votre père était un monsieur, et votre mère est une dame; et moi, mon père était un pêcheur, ma mère était fille de pêcheur, et mon oncle Dan est un pêcheur.

      – Dan est monsieur Peggotty, n'est-ce pas? dis-je.

      – Mon oncle Dan là-bas, répondit Émilie, tout en m'indiquant le bateau.

      – Oui c'est de lui que je parle. Il doit être très-bon, n'est-ce pas?

      – Bon? dit Émilie. Si j'étais une dame, je lui donnerais un habit bleu de ciel avec des boutons de diamant, un pantalon de nankin, un gilet de velours rouge, un chapeau à trois cornes, une grosse montre d'or, une pipe en argent, et un coffre tout plein d'argent.»

      Je dis que je ne doutais pas que M. Peggotty ne méritât tous ces trésors. Je dois avouer que j'avais quelque peine à me le représenter parfaitement à son aise dans l'accoutrement que rêvait pour lui sa petite nièce, exaltée par sa reconnaissance, et que j'avais en particulier des doutes sur l'utilité du chapeau à trois cornes; mais je gardai ces réflexions pour moi.

      La petite Émilie levait les yeux tout en énumérant ces divers articles, comme si elle contemplait une glorieuse vision. Nous nous remîmes à chercher des pierres et des coquillages.

      «Vous aimeriez à être une dame?» lui dis-je.

      Émilie me regarda, et se mit à rire en me disant oui.

      «Je l'aimerais beaucoup. Alors nous serions tous des messieurs et des dames. Moi, et mon oncle, et Ham, et mistress Gummidge. Alors nous ne nous inquiéterions pas du mauvais temps. Pas pour nous, du moins. Cela nous ferait seulement de la peine pour les pauvres pêcheurs, et nous leur donnerions de l'argent quand il leur arriverait quelque malheur.»

      Cela me parut un tableau très-satisfaisant et par conséquent extrêmement naturel. J'exprimai le plaisir que j'avais à y songer, et la petite Émilie se sentit le courage de me dire, bien timidement:

      «N'avez-vous pas peur de la mer, maintenant?»

      La mer était assez calme pour me rassurer, mais je suis bien sûr que si une vague d'une dimension suffisante s'était avancée vers moi, j'aurais immédiatement pris la fuite, poursuivi par le souvenir de tous ses parents noyés. Cependant je répondis: «Non,» et j'ajoutai: «Mais ni vous non plus, bien que vous prétendiez avoir peur,» car elle marchait beaucoup trop près du bord d'une vieille jetée en bois sur laquelle nous nous étions aventurés, et j'avais vraiment peur qu'elle ne tombât.

      «Oh! ce n'est pas de cela que j'ai peur, dit la petite Émilie, mais c'est quand la mer gronde, que ça me réveille, et que je tremble en pensant à l'oncle Dan et à Ham; il me semble que je les entends crier au secours. Voilà pourquoi j'aimerais tant à être une dame. Mais ici je n'ai pas peur. Pas du tout. Regardez-moi!»

      Elle s'élança, et se mit à courir le long d'une grosse poutre qui partait de l'endroit où nous étions et dominait la mer d'assez haut, sans la moindre barrière. Cet incident se grava tellement dans ma mémoire, que, si j'étais peintre, je pourrais encore aujourd'hui le reproduire exactement: je pourrais montrer la petite Émilie s'avançant à la mort (je le croyais alors), les yeux fixés au loin sur la mer, avec une expression que je n'ai jamais oubliée.

      Elle revint bientôt près de moi, agile, hardie et voltigeante, et je ris de mes craintes, aussi bien que du cri que j'avais poussé, cri inutile en tout cas, puisqu'il n'y avait personne près de là. Mais depuis, je me suis souvent demandé s'il n'était pas possible (il y a tant de choses que nous ne savons pas), que, dans cette témérité subite de l'enfant, et dans son regard de défi jeté aux vagues lointaines, il y eût comme un instinct de pitié filiale qui lui faisait trouver du plaisir à se sentir aussi en danger, à revendiquer sa part du trépas subi par son père, un souhait vague et rapide d'aller ce jour-là le rejoindre dans la mort. Depuis ce temps-là il m'est arrivé de me demander à moi-même: «Je suppose que ce fût là une révélation soudaine de la vie qu'elle allait avoir à traverser, et que, dans mon âme d'enfant, j'eusse été capable de la comprendre; je suppose que sa vie eût dépendu de moi, d'un mouvement de ma main, aurais-je bien fait de la lui tendre pour la sauver de sa chute? Il m'est arrivé, (je ne dis pas que cette réflexion ait duré longtemps), de me demander s'il n'aurait pas alors mieux valu pour la petite Émilie que les eaux se refermassent