Les Tourelles: Histoire des châteaux de France, volume II. Gozlan Léon. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Gozlan Léon
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Книги о Путешествиях
Год издания: 0
isbn:
Скачать книгу
Gourville; mais pourquoi cette légèreté dans vos dispositions?

      – Imiterons-nous les Romains? crierons-nous jusque sur les toits que nous conspirons?

      – Mais encore…

      – Je le tiens de M. de Retz: dans un coup décisif il est important d'être sûr de tout le monde et de n’employer que quelques-uns. Ayez beaucoup d’hommes, ils comptent les uns sur les autres; peu, ils agissent. M. le coadjuteur s’y connaissait.

      Perdant par degré la teinte de tristesse répandue sur son visage, le surintendant se tourna vers son poète-secrétaire: – Vous, monsieur Pélisson?

      – Monsieur le vicomte, je partage les assurances de M. Gourville.

      – Vous ne saisissez pas ma demande: ce n’est pas là-dessus que je souhaite vous entendre. Avez-vous déposé sur la cheminée de chaque chambre de gentilhomme mille pistoles pour faire face aux dettes du jeu? Avez-vous ordonné qu’on traitât les gens de lettres dans cette journée avec les nombreux égards dont j’aime à les voir entourés? Ils dîneront dans la salle des Muses: je crois avoir exprimé ce désir.

      – Vos ordres ont été suivis. Ils seront confondus avec les gens de qualité. Des guirlandes de fleurs se balanceront sur leur front au bruit de harpes cachées: Lambert jouera du téorbe. Comme les anciens poètes, ils boiront dans des coupes de vermeil.

      – Et comme les anciens poètes, monsieur de Pélisson, ils emporteront leur coupe. Nous vous devons la gloire qui suit la vie. Vous et La Fontaine me ferez immortel.

      – Auparavant, interrompit Gourville, il faut que vos ennemis soient dans la poussière, que le roi, notre maître, vous reconnaisse pour le premier gentilhomme de l'état après lui.

      – Quel moment heureux ou fatal! Gourville, Pélisson, qu’en pensera l’Europe? Et ce coup qui retentira long-temps, – au milieu d’une fête!.. Des poignards cachés sous des fleurs. N’est-ce pas que mon château ne fut jamais plus splendide? On dirait qu’il sait qu’un roi de France l’habite. Pélisson, avez-vous prié M. le chevalier Lully de presser sa cantate? Quel Orphée que ce Lully! quel génie! Il écrit dans ma chambre la musique qu’il exécutera dans trois heures devant la cour. Offrez-lui de ma part cette tabatière en diamans. Elle vient de Mazarin. Divin Lully!

      – Silence, recommanda Pélisson, on vient de ce côté. C’est messire Pierre Séguier, chancelier de France. Je le savais ici, je l’ai vu descendre de sa haquenée blanche peu après l’arrivée de M. Colbert. En hommes prudens, ils ont voulu ne pas avoir l’air d'être venus ensemble; mais nos gens placés sur la route ont remarqué leur séparation à la Patte d’Oie de Voisenon.

      Gourville courut au-devant du chancelier, le chapeau bas, et l’accosta avec le respect mêlé à la joie la plus vive.

      – Monseigneur, que je suis aise de vous joindre ici, et dans un tel moment! Vous déciderez entre nous.

      Le chancelier remercia d’un sourire.

      – Dites-nous, monsieur de Séguier, vous qui avez laissé la justice à Paris, mais non pas le bon goût, si Le Nôtre n’a pas commis une faute grave dans la distribution générale de ce terrain.

      – J’avoue, répondit le chancelier, que je suis peu apte à résoudre la question. Si vous voulez qu’il y ait ici trop de statues, de canaux, de fontaines de marbre pour…

      Fouquet vit venir la leçon; il brusqua la riposte:

      – …Pour un simple financier tel que moi, j’en conviens, mais non pour le sujet qui reçoit son maître; sur quoi vous alliez me féliciter, ce me semble.

      – C’est ce que j'étais prêt à vous répondre, monsieur Gourville.

      – Vous voyez donc, monsieur le chancelier, que vous êtes né pour mettre les gens d’accord avant qu’ils aient parlé: j’espère qu’il en sera de même, notre différend entendu. Pardon, mais il ne s’agit pas de statues, messire.

      – Prenez garde, Gourville, de fatiguer M. de Séguier.

      – Je vous en prie, monsieur de Belle-Isle, laissez à M. Gourville présenter sa requête. Je vous jugerai.

      Ce mot glaça le sang de Pélisson. Séguier avait ri en le prononçant.

      – Le Nôtre, disais-je, a commis une faute. Le plan horizontal du château est mal entendu: d’une extrémité au centre, le terrain descend; du centre à l’autre extrémité, il monte. La propriété creuse. Vaux est un abîme: n’est-ce pas, messire?

      Le chancelier ne sut trop si on lui renvoyait une de ces allusions malignes dont il ne tarissait pas sur la prodigalité du surintendant, ou si Gourville lui demandait sérieusement un avis. Il le regarda avec sa pénétration de juge.

      Fouquet rompit l’embarras. – La propriété creuse, intervint-il, parce qu’elle a été sacrifiée exclusivement aux eaux. Le niveau est pris de loin et de haut; plus on le ménage en l’abaissant, plus l’eau, en reprenant sa ligne de hauteur, s'élève et jaillit. Le Nôtre n’a pas tort, Gourville. Cette explication satisfait-elle monsieur de Séguier?

      – Pleinement. Mais je ne prendrai point congé de vous, monsieur de Belle-Isle, sans vous complimenter sur la flatteuse rumeur qui circule. On tient presque pour certain que vous allez vous défaire de votre charge de procureur-général. Sa majesté n’attendrait que cette résolution de votre part pour vous conférer ses Ordres. C’est un regret pour le parlement, et je le partage; mais la compensation est si belle, qu’il faut se taire et adorer le monarque dans ses œuvres.

      – N’ajoutez pas à la confusion où je suis, monsieur de Séguier, de me trouver déjà si peu digne des bontés de notre roi.

      – Adieu, je vous laisse, monsieur de Belle-Isle, ce dont vous m’excuserez, pour aller présenter mes soumissions à sa majesté.

      M. de Séguier se retira gravement.

      – Je reprends, dit Gourville: personne n’agira, mais personne n’empêchera d’agir. Après les eaux viendra le dîner; après le dîner la comédie, après la comédie le feu.

      – Oui, Gourville, c’est le moment de frapper le grand coup.

      – Il se placera sur les cascades pour admirer le feu, et au même endroit où il aura vu jouer les eaux. A sa droite il aura dix de nos amis, à sa gauche dix, vingt derrière: foule sur les marches, personne à la portée de son regard, personne! cela masquerait le coup d'œil. A la troisième girande lancée, lorsque le ciel sera couvert d'étincelles et de cris, quand le canon se mêlera à ce bruit pour le rendre plus formidable, un homme disparaîtra.

      – Gourville!

      Pélisson visita de l'œil le prolongement de l’allée.

      – Monseigneur, cet homme disparu sera remplacé sur-le-champ par un autre de même taille, de même costume; panache blanc au chapeau, cordon bleu à la poitrine.

      – Et ceux qui l’entoureront?

      – Voilà les amis dont je vous parlais, ceux qui n’agissent pas.

      – Et s’il crie?

      – Le canon crie plus fort.

      – Et si l’on voit?

      – L’obscurité profonde qui succède à l'éblouissement d’une girande de feu ne permet guère de voir. Douze girandes seront tirées à dix minutes d’intervalle. Douze obscurités: c’est deux heures. A la dernière, nous serons à huit lieues d’ici.

      – Et ce feu d’artifice, s'écria Fouquet, éclipsera, j’en suis sûr, celui qui fut tiré à la porte Saint-Antoine, au mariage de la reine. Torelli est une Salamandre.

      – Silence! dit une seconde fois Pélisson; quelqu’un vient. – Colbert était à deux pas.

      – Pour le coup, l’augure est sinistre, murmura Gourville, c’est M. de Colbert; il ne manque plus, pour nous achever,