Les Tourelles: Histoire des châteaux de France, volume I. Gozlan Léon. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Gozlan Léon
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Книги о Путешествиях
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      Les Tourelles: Histoire des châteaux de France, volume I

      INTRODUCTION

      Tant que durera en France l’esprit conservateur créé par la Restauration, les vieux monumens qui nous restent seront respectés. Par une conséquence immédiate de son retour systématique aux affections du passé, la Restauration, en relevant la pierre de l’autel et en restituant au trône la majesté antique, ne pouvait manquer de songer à la réédification du temple et du palais. On interprétera, si l’on veut, dans toutes les proportions du blâme et de l’éloge, la cause de ce service intéressé rendu à la nation; il n’y aurait que de l’ingratitude à en nier les résultats. Demanderions-nous jamais au désert de couvrir de sable les pyramides, quand même il serait vrai que ce fût au singulier caprice d’une courtisane égyptienne que nous devrions de les admirer? Ne sommes-nous pas tout disposés au contraire à pardonner aux flatteurs de Néron les statues, les temples, les arcs de triomphe que leur bassesse lui a élevés? Quel est le système, quelle est d’ailleurs l’opinion dont on tenterait de se faire, à cinquante ans de distance, le défenseur officieux, qui durera autant que la pierre miliaire de la grande route, que la borne grossière du coin de la rue? Pour notre part, nous ne tairons pas que nous préférerions, si nous avions un choix à faire, les âges de despotisme qui fondent, aux époques de liberté dont il ne reste rien. Il est bien entendu que nous nous plaçons, en raisonnant ainsi, sur un terrain d’où l’on ne découvre aucune question d’intérêt social essentielle au bonheur de l’humanité, lequel passe avant tout et n’admet aucune comparaison. Seulement on ose penser que si les trois siècles de compression morale qui ont pesé sur Venise ont compté plus de monumens en tout genre que n’en verront jamais peut-être les siècles d’indépendance promis à New-York et à Philadelphie, le souvenir de la postérité sera plus vif pour les siècles et pour le peuple glorieux avec un peu moins de liberté, que pour les générations libres avec beaucoup moins de gloire.

      La Restauration cependant ne put exprimer qu’une tendance isolée en tournant des regards exclusifs d’attachement vers les reliques du passé; elle éveilla même beaucoup de préventions fâcheuses contre elle en laissant trop croire au peuple qu’elle n’avait des élans rétrogrades que parce qu’elle était mue par des doctrines surannées. Son bon vouloir pour les arts faillit être pris en aversion à cause de cette solidarité présumée entre sa conduite et ses principes; solidarité qu’elle ne chercha pas assez peut-être à nier. Bientôt on imputa au zèle d’une dévotion outrée, et fort peu en harmonie avec la tolérance d’une époque qui n’avait jamais cessé d’être sceptique, les réparations faites aux anciens édifices religieux du royaume. Ces réparations, il est vrai, ne s’effectuèrent qu’à côté de la création simultanée d’une foule de priviléges en faveur du clergé. N’y eût-il en cela qu’un tort irréfléchi, il n’en fut pas moins tenu compte par l’opinion publique.

      Heureusement que la littérature vint épouser une question si belle, la dégager des caresses d’une protection qui l’étouffait, et la décider dans le sens le moins hostile à l’esprit de liberté qui circulait alors. Quand d’illustres poètes eurent élevé un cri unanime entre le trône et le peuple pour demander grâce en faveur de nos vieilles cathédrales sur le point de disparaître, tant la révolution les avait minées en y trouant des clubs, l’opinion nationale, mieux invoquée, fut gagnée à la cause de nos monumens; l’ode et l’élégie nouvelles achevèrent le miracle de conservation. Ainsi la royauté, la religion et la littérature, comme un triple lierre, s’enlacèrent pour cimenter des ruines et les raffermir contre le pied de la barbarie qui les foulait.

      Cette croisade forma une espèce d’esprit nouveau qui s’empara de la jeunesse, de jour en jour moins attentive aux rauques déclamations du jacobinisme expirant. Ceux qui ne voulurent pas entrer dans l’église à la voix des missionnaires, à tort ou à raison affublés du titre de jésuites, ceux-là du moins, sans être accusés de fanatisme, purent entourer de leur adoration les merveilles extérieures des basiliques. A défaut de ferveur, ils eurent de l’admiration à épancher, rachetés, par la poésie, du péché de démolition, inventé et commis par leurs pères.

      Du haut du trône et des classes intelligentes, le respect pour nos vieilles pierres descendit chez les masses, qu’on ne remue, quoi qu’on en dise, qu’avec le levier inflexible des principes, qui ne marchent qu’avec le mot d’ordre, promptes à élever jusqu’aux nues des basiliques, si la foi l’ordonne, avec un Jules II, aussi promptes à les démolir de fond en comble avec un Carlostadt, si une doctrine iconoclaste les y porte.

      La bande noire fut la dernière expression, le coup de grâce, de la philosophie du XVIIIe siècle, redoutable expression qu’exagéra, l’écume à la bouche, la révolution française, et à laquelle se rallia, avec un sang-froid plus méprisable que l’emportement haineux de 93, l’ignorante brutalité de l’empire. De déductions en déductions, la philosophie avait renié Dieu et la hiérarchie humaine; c’était dur, c’était sans doute faux, mais ce n’était que cela; la révolution proscrivit le culte et trancha la tête aux possesseurs de châteaux; c’était de la vengeance, quelque chose de sauvage, de cruel, mais du moins était-ce de la force; l’Empire seul vendit sans aucun prétexte de danger, sans l’excuse de l’athéisme, les pierres de taille des châteaux aux plâtriers, le plomb aux marchands de gouttières, les forêts de haute-futaie aux chantiers de construction; et ceci est du dernier vil. Anéantir le passé, c’est faire de l’histoire; le vendre, c’est un métier qui n’a pas encore reçu de nom dans un pays, dans le nôtre, où cependant la langue du crime est la plus riche.

      Je ne me contredis point ici avec les vues assez franchement exposées en tête de l’histoire du château d’Écouen. La bande noire, je le répéterai, ne démolit point les châteaux sans le consentement des propriétaires; et, à cet égard, les propriétaires ont de longues circonspections à observer; mais la bande noire est coupable comme exécutrice de la sentence de mort portée contre nos monumens. Elle partage l’iniquité de l’arrêt. Quoique simples instrumens de la loi, les bourreaux ne se réhabilitent jamais.

      Les choses ont ainsi marché; la démolition s’est arrêtée; la halte est consolante. Il s’agit maintenant d’entretenir et d’améliorer encore une situation que seraient capables de changer un règne mauvais, une opinion nouvelle, une mode peut-être. Sans doute les moyens de perpétuer l’esprit de conservation qui règne ne sont ni nombreux ni faciles. Comme je n’ai pas eu un choix aisé à faire parmi ceux qui se sont présentés en petit nombre au bout de mes recherches, on me pardonnera de n’avoir pas été plus heureux en m’arrêtant au moyen que je ne tarderai pas à proposer.

      Si l’on n’aimait pas les châteaux avant la révolution, ce n’était pas du moins sans raisonner la haine qu’on leur portait. On haïssait l’institution de la féodalité dans la forme matérielle qu’elle avait adoptée. Quoique affaiblie, languissante, desséchée et méconnaissable, la féodalité palpitait et vivait derrière son épais vêtement de pierre. A force d’absorber en lui la vitalité redoutable de la souveraineté et tous ses attributs, – le seigneur, le maître, le juge, le geôlier, le bourreau, – le château était devenu un être animé, vivant, qu’on découvrait de tous les points, du bout de la plaine, du haut de la montagne ou du fond du vallon; debout hiver ou été; qu’avaient vu les vieux, que verraient les jeunes. On naissait, on vivait, on mourait sous son ombre et sous sa menace. Il planait sur la terre et sur l’existence. Il était la clef de la ville et du bourg; il en était l’ornement et la terreur. Sous le ciel rien n’était plus élevé et plus connu. La justice n’était pas, comme de nos temps surchargés de lois, un livre inintelligible; la punition n’était pas une menace problématique, cachée dans les replis d’un homme vivant quelque part. La justice et la punition, c’était cet amas de pierres anguleuses dressées et immobiles, siégeant toujours en plein air; c’était le château. De là un respect héréditaire, un effroi passé dans le sang de ceux qui en dépendaient, et plus tard une horreur universelle pour tant d’obsession.

      On explique dès lors le peu de cas que devaient faire de l’architecture des châteaux des hommes qui les maudissaient ainsi avec tant de raison. Il y avait peu de place dans leur cœur ulcéré pour une admiration qu’il leur aurait fallu acheter par l’abandon de la vengeance. Les voûtes d’une prison, quelque belle qu’en soit la coupe, touchent peu le prisonnier qu’elles écrasent. Quand les châteaux furent désignés au marteau, on crut moins abattre des pierres que frapper un monstre, un géant, un fléau, un démon de dix siècles, ayant corps de rocher, bras de fer