Valvèdre. Жорж Санд. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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ne suis pas un bijoutier; je n'ai ni l'adresse, ni la patience, ni la pauvreté nécessaires.

      – Mais autrefois, avant la richesse?

      – Autrefois, jamais je n'ai eu d'état manuel. Non, c'est trop bête; je n'ai pas eu d'autre outil que mon raisonnement pour me tirer d'affaire. Les fortunes ne sont pas dans les mains de ceux qui s'amusent à produire, à confectionner ou à créer, mais bien dans celles qui ne touchent à rien. Il y a trois races d'hommes, mon cher: ceux qui vendent, ceux qui achètent et ceux qui servent de lien entre les uns et les autres. Croyez-moi, les vendeurs et les acheteurs sont les derniers dans l'échelle des êtres.

      – C'est-à-dire que celui qui les rançonne est le roi de son siècle?

      – Eh! pardieu, oui! à lui seul, il faut qu'il soit plus malin que deux! Vous êtes donc décidé à faire de l'esprit et à vendre des mots? Eh bien, vous serez toujours misérable. Achetez pour revendre ou vendez pour racheter, il n'y a que cela au monde; mais vous ne me comprenez pas et vous me méprisez. Vous dites: «Voilà un brocanteur, un usurier, un crocodile!» Pas du tout, mon cher; je suis un excellent homme, d'une probité reconnue; j'ai la confiance de beaucoup de grands personnages. Des gens de mérite, des philanthropes, des savants même me consultent et reçoivent mes services. J'ai du coeur; je fais plus de bien en un jour que vous n'en pourrez faire en vingt ans; j'ai la main large, et molle, et douce! Eh bien, ouvrez la vôtre si vous avez besoin d'un ami, et vous verrez ce que c'est qu'un bon juif qui est bête, mais qui n'est pas sot.

      Je ne songeai pas à me fâcher de ce ton à la fois insolent et amical de protection bizarre. L'homme était réellement tout ce qu'il disait être, bête au point de blesser sans en avoir conscience, assez bon pour faire avec plaisir des sacrifices, fin au point d'être généreux pour se faire pardonner sa vanité. Je pris le parti de rire de son étrangeté, et, comme il vit que je n'avais aucun besoin de lui, mais que je le remerciais sans dédain et sans orgueil, il conçut pour moi un peu plus d'estime et de respect qu'il n'avait fait à première vue. Nous nous quittâmes très-bons amis. Il eût bien voulu m'avoir pour compagnon de sa promenade, il craignait de s'ennuyer seul; mais l'heure approchait où Obernay avait promis de rentrer, et je doutais que ce nouveau visage lui fût agréable. Ayant donc pris congé du juif et m'étant fait indiquer le sentier que devait suivre Obernay pour revenir, je partis à sa rencontre.

      Nous nous retrouvâmes au bas des glaciers, dans un bois de pins des plus pittoresque. Obernay rentrait avec plusieurs guides et mulets qui avaient transporté une partie des bagages de son ami. Cette bande continua sa route vers la vallée, et Obernay se jeta sur le gazon auprès de moi. Il était extrêmement fatigué: il avait marché dix heures sur douze sur un terrain non frayé, et cela par amitié pour moi. Partagé entre deux affections, il avait voulu juger des difficultés et des dangers de l'entreprise de M. de Valvèdre, et revenir à temps pour ne pas me laisser seul une journée entière.

      Il tira de son bissac quelques aliments et un peu de vin, et, retrouvant peu à peu ses forces, il m'expliqua les procédés d'exploration de son ami. Il s'agissait, non comme M. Moserwald me l'avait dit, d'atteindre la plus haute cime du mont Rose, ce qui n'était peut-être pas possible, mais de faire, par un examen approfondi, la dissection géologique de la masse, L'importance de cette recherche se reliait à une série d'autres explorations faites et à faire encore sur toute la chaîne des Alpes Pennines, et devait servir à confirmer ou à détruire un système scientifique particulier que je serais aujourd'hui fort embarrassé d'exposer au lecteur: tant il y a que cette promenade dans les glaces pouvait durer plusieurs jours. M. de Valvèdre y portait une grande prudence à cause de ses guides et de ses domestiques, envers lesquels il se montrait fort humain. Il était muni de plusieurs tentes légères et ingénieusement construites, qui pouvaient contenir ses instruments et abriter tout son monde. A l'aide d'un appareil à eau bouillante de la plus petite dimension, merveille d'industrie portative dont il était l'inventeur, il pouvait se procurer de la chaleur presque instantanément, en quelque lieu que ce fût, et combattre tous les accidents produits par le froid. Enfin il avait des provisions de toute espèce pour un temps donné, une petite pharmacie, des vêtements de rechange pour tout son monde, etc. C'était une véritable colonie de quinze personnes qu'il venait d'installer au-dessus des glaciers, sur un vaste plateau de neige durcie, hors de la portée des avalanches. Il devait passer là deux jours, puis chercher un passage pour aller s'installer plus loin avec une partie de son matériel et de son monde, le reste pouvant l'y rejoindre en deux ou trois voyages, pendant qu'il tenterait d'aller plus loin encore. Condamné peut-être à ne faire que deux ou trois lieues de découvertes chaque jour à cause de la difficulté des transports, il avait gardé quelques mulets, sacrifiés d'avance aux dangers ou aux souffrances de l'entreprise. M. de Valvèdre était très-riche, et, pouvant faire plus que tant d'autres savants, toujours empêchés par leur honorable pauvreté ou la parcimonie des gouvernements, il regardait comme un devoir de ne reculer devant aucune dépense en vue du progrès de la science. J'exprimai à Henri le regret de ne pas avoir été averti pendant la nuit. J'aurais demandé à M. de Valvèdre la permission de l'accompagner.

      – Il te l'eût refusée, répondit-il, comme il me l'avait refusée à moi-même. Il t'eût dit, comme à moi, que tu étais un fils de famille, et qu'il n'avait pas le droit d'exposer ta vie. D'ailleurs, tu aurais compris, comme moi, que, quand on n'est pas fort nécessaire dans ces sortes d'expéditions, on y est fort à charge. Un homme de plus à loger, à nourrir, à protéger, à soigner peut-être dans de pareilles conditions…

      – Oui, oui, je le comprends pour moi; mais comment se fait-il que tu ne sois pas extrêmement utile, toi savant, à ton savant ami?

      – Je lui suis plus nécessaire en restant à Saint-Pierre, d'où je peux suivre presque tous ses mouvements sur la montagne, et d'où, à un signal donné, je peux lui envoyer des vivres, s'il en manque, et des secours, s'il en a besoin. J'ai, d'ailleurs, à faire marcher une série d'observations comparatives simultanément avec les siennes, et je lui ai donné ma parole d'honneur de n'y pas manquer.

      – Je vois, dis-je à Obernay, que tu es excessivement dévoué à ce Valvèdre, et que tu le considères comme un homme du plus grand mérite. C'est l'opinion de mon père, qui m'a quelquefois parlé de lui comme l'ayant rencontré chez le tien à Paris, et je sais que son nom a une certaine illustration dans les sciences.

      – Ce que je puis te dire de lui, répondit Obernay, c'est qu'après mon père il est l'homme que je respecte le plus, et qu'après mon père et toi, c'est celui que j'aime le mieux.

      – Après moi? Merci, mon Henri! Voilà une parole excellente et dont je craignais d'être devenu indigne.

      – Et pourquoi cela? Je n'ai pas oublié que le plus paresseux à écrire, c'est moi qui l'ai été; mais, de même que tu as bien compris cette infirmité de ma part, de même j'ai eu la confiance que tu me la pardonnais. Tu me connaissais assez pour savoir que, si je ne suis pas un camarade assez démonstratif, je suis du moins un ami aussi fidèle qu'il est permis de le souhaiter.

      Je fus vivement touché, et je sentis que j'aimais ce jeune homme de toute mon âme. Je lui pardonnai l'espèce de supériorité de vues ou de caractère qu'il avait paru s'attribuer la veille vis-à-vis de moi, et je commençai à craindre qu'il n'en eût réellement le droit.

      Il prit quelques instants de repos, et, pendant qu'il dormait, la tête à l'ombre et les jambes au soleil, je l'étudiai de nouveau avec intérêt, comme quelqu'un que l'on sent devoir prendre de l'ascendant sur votre existence. Je ne sais pourquoi, je le mis en parallèle dans ma pensée littéraire et descriptive avec l'israélite Moserwald. Cela se présentait à moi comme une antithèse naturelle: l'un gras et nonchalant comme un mangeur repu, l'autre actif et maigre comme un chercheur insatiable; le premier, jaune et luisant comme l'or qui avait été le but de sa vie; l'autre, frais et coloré comme les fleurs de la montagne qui faisaient sa joie, et qui, comme lui, devaient aux âpres caresses du soleil la richesse de leurs tons et la pureté de leurs fins tissus.

      Ceci était pour mon imagination, jeune et riante alors, l'indice d'une vocation bien prononcée chez mon ami. Au reste, j'ai toujours remarqué que les vives appétences de l'esprit ont leurs manifestations extérieures dans quelque